"Yo lé bisui méritjen an, mé yo pa lé Méritjen-an !"

Raphaël CONFIANT

Rubrique

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    Tout cela pour dire à nos lecteurs et lectrices que les articles publiés sur notre site n'engagent que leurs rédacteurs et rédactrices, pas le site-web en tant que tel...

   Cette phrase est évidemment incompréhensible pour les générations martiniquaises nées à partir de 1980.

   Non pas seulement parce que ces dernières ne parlent plus guère créole (sauf pour décrire l'anatomie des génitrices des gens avec lesquels ils et elles ont quelque conflit), mais parce que l'enseignement de l'histoire de la Martinique au sein du système scolaire est biaisée. Au lieu de s'appuyer sur la parole populaire, elle se contente d'égrener des faits politiques et économiques avec un soupçon de culturel, exactement comme cela est imposé pour l'histoire de France dans les manuels scolaires. Il ne s'agit aucunement pour nous de chercher à mettre en avant une vision populiste de notre histoire, mais d'enseigner à nos enfants, à côté de l'histoire officielle (gouverneurs, abolition, fin de l'industrie sucrière, loi de départementalisation de 1946 etc.), une histoire non officielle qui s'appuierait sur des expressions qui ont traversé le temps et sont inconnues des nouvelles générations ou leur sont obscures, voire parfois incompréhensibles.

   Cela n'aurait rien d'iconoclaste ni de révolutionnaire. Il suffirait de consacrer le dernier quart d'heure de chaque cours d'histoire, à partir de la classe de 6è, à l'étude d'une des expressions ci-après :  

 

   . Man pa ka fè yich ba lestravay.

 

   . I ka sanm moun ki sòti ladjè Meksik.

 

   . Yo koupé koko Kodé. 

 

   . Tout kouyon mò Sen-Piè.

 

   . An tan Wobè.

 

   . Yo lé bisui-a mé yo pa lé Méritjen-an.

 

   Etc...etc...

   Un quart d'heure sur un cours d'histoire qui dure 2h ce n'est quand même pas la révolution. Et cette partie du cours devrait être faite en créole puisque tout ce qui l'a précédé s'est fait en français. Il faudrait bien sûr que les maîtres soient formés à cet exercice et cela ne pourrait se faire qu'au sein de l'ESPE (ex-IUFM). Cela aurait pour effet de susciter l'intérêt des élèves qui, le plus souvent, s'ennuient en cours d'histoire et s'imaginent que cette dernière se résume à des noms de personnages importants et à une interminable série de dates. Car enfin quel élève d'aujourd'hui, fut-il "brillant", serait capable d'expliquer l'une des cinq (parmi des dizaines d'autres possibles) expressions listées plus avant ? Quasiment aucun !

   La première renvoie au fait que pendant la période esclavagiste, beaucoup de femmes noires préféraient étrangler leur nouveau-né à la naissance avec leur cordon ombilical plutôt que ce dernier ne mène un jour l'existence infâme d'un être condamné à couper ou à amarrer la canne au profit du Béké, se voyant enchainé ou battu à mort au cas où il se rebellerait. Man pa ka fè yich ba lestravay !

   La seconde renvoie à la fameuse expédition du Mexique (1861-67) lorsque l'Empereur Napoléon III décida de conquérir ce pays à cause d'importantes dettes qu'il avait contractées auprès de la France et qu'il était dans l'impossibilité de rembourser. 30.000 soldats français transitèrent par Fort-de-France, qui fut désignée tête de pont de l'Expédition, et des Martiniquais, désireux d'échapper au seul avenir qui leur était promis (malgré l'Abolition de l'esclavage une douzaine d'années plus tôt) à savoir couper la canne pour le Béké qui leur versait "dé fwan-kat sou" ou "an lanmonné-kod" c'est-à-dire des clopinettes en français, choisirent de s'engager dans le corps expéditionnaire. Ayant reçu une raclée au Mexique, l'armée française repartit la queue entre les jambes, retransitant par Fort-de-France où elle déposa les soldats martiniquais rescapés. Les Mexicains n'ayant pas été tendres, beaucoup revenaient avec un oeil crevé, un bras ou une jambe coupée. Aucune pension militaire n'ayant été prévue pour ces tout premiers anciens combattants, ils se clochardisèrent et devinrent la risée de la population. I ka sanm an moun ki sòti ladjè Meksik. Toujours au sujet de cette Expédition, quasiment aucun Martiniquais ne sait pourquoi certains d'entre nous ont des patronymes... polonais : Labinsky, Ludosky, Lowinski, Sobesky etc...

   La troisième expression renvoie à l'Insurrection du Sud de 1870 qui faillit ébranler le système colonial et conduire la Martinique sur la même voie que Saint-Domingue trois-quarts de siècle plus tôt. Cette dernière devint Haïti et le deuxième pays indépendant de tout le continent américain après les Etats-Unis. Au cours de cette insurrection des dizaines d'Habitations furent incendiées et un Béké de Rivière-Pilote, Codé, monarchiste enragé et raciste patenté, qui estimait pouvoir en imposer aux Nègres, fut tout simplement... émasculé. Yo coupé koko Kodé !

   D'aucuns diront que cette manière de présenter notre histoire, à partir donc d'expressions créoles, serait beaucoup trop violente pour de jeunes esprits. Sans doute que ces belles âmes ignorent que leur progéniture possède des téléphones portables parfois dès le Cours Moyen 2è année et qu'elle peut accéder à des sites sur lesquels violence et pornographie sont monnaie courante. Et puis, de toute façon, notre histoire fut violente (et continue de l'être sous d'autres formes). Nous devons l'assumer et non l'aseptiser ou s'en effaroucher tels des krab-sémafot. Nos enfants doivent savoir !

   Comme aucun historien avec qui j'ai évoqué cette possibilité de présenter notre histoire de manière différente mais complémentaire de l'histoire officielle, ne semble intéressé par la collecte de ces expressions populaires et leur explicitation dans un ouvrage, je vais m'y coller (47 expressions ont déjà été recensées à ce jour) d'autant que cela n'intéressera pas uniquement le public scolaire mais aussi le grand public. Aucun Martiniquais de moins de 50 ans ne connait le sens d'expressions comme I ka sanm an moun ki sòti ladjè Meksik ou Yo pété koko Kodé, pour ne prendre que ces exemples. Ce n'est pas normal du tout d'autant, répétons-le, qu'y consacrer ¼ d'heure sur un cours qui dure 2h, ce n'est quand même pas la mer à boire. De plus, cela aurait un double effet : enseigner une autre vision de notre histoire d'une part et de l'autre, réconcilier les élèves avec la langue créole ou plus exactement les réenraciner dans cette dernière. 

   Sans compter que lesdites expressions ont dans certains cas des résonnances avec l'actualité immédiate comme celle qui sert de titre au présent article et que nous laissons aux lecteurs le loisir de déchiffrer ou d'expliciter. Yo lé bisui méritjen an, mé yo pa lé Méritjen-an ! disaient nos parents à l'époque de l'Amiral Robert, gouverneur de la Martinique pendant la Deuxième Guerre Mondiale. En français cela donne : "Ils veulent du biscuit américain mais ils ne veulent pas des Américains !".

   Oui, résonnance avec notre actualité immédiate et brûlante ! 

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