C'est la question que l'on est en droit de se poser après la victoire écrasante en Martinique de Jean-Luc Mélenchon au premier tour de l'élection présidentielle française. Le terme "écrasante" n'est pas du tout exagéré car c'est la toute première fois depuis l'abolition de l'esclavage et donc depuis que la majorité de notre population a le droit de voter que l'on voit un seul et même parti sortir en tête dans les 34 communes que compte notre île.
Ce grand Chelem, comme disent les sportifs, est sidérant si l'on tient compte du fait que le parti de Mélenchon, la LFI (La France Insoumise) ne dispose, en Martinique, d'aucun maire, aucun conseiller territorial, aucun député, aucun sénateur. Zéro représentation et pourtant il écrase tout le monde en devançant les macronistes martiniquais, arrivés deuxième du scrutin, de 45.000 voix : Mélenchon (65.292) contre Macron (20.043). Du coup, on est en droit de se poser la question suivante : à quoi correspond cette véritable lame de fond ? Qu'est-ce qui se cache derrière elle sans que le mot "cache" soit pris de manière péjorative ?
Pour ce faire, il convient d'examiner d'abord le discours "hexagonal" de Mélenchon, puis son discours "ultramarin", cela au-delà du personnage qui est quelqu'un de brillant, de cultivé et très certainement sincère à l'inverse d'une grande partie de la classe politique française. Venant de l'extrême-gauche trotskyste, devenu ensuite socialiste, puis aujourd'hui "insoumis", Mélenchon a somme toute une trajectoire assez classique ou en tout cas commune au sein du paysage politique hexagonal. S'il défend les classes populaires victimes du capitalisme libéral et si dans son programme il y a des propositions de réformes indéniablement "progressistes", voire "révolutionnaires", il y a un point qu'il faut se garder d'oublier : Jean-Luc Mélenchon est un Jacobin. Il y a gros à parier que l'immense majorité des électeurs martiniquais qui ont déposé un bulletin dans l'urne en sa faveur ne savent pas ce que cela signifie.
Que ceux qui le savent, nous pardonnent donc, mais il nous semble important de nous arrêter sur ce point. Les Jacobins sont ces hommes politiques qui, lors de la Révolution française (1789), ont mis en place une politique d'unification du territoire français au nom de la "Nation". Politique violente qui a littéralement écrabouillé les identités régionales à un moment où seuls 1/3 des Français parlaient le...français. Ainsi, le même Abbé Grégoire, qui fit parti du "Comité des Amis des Noirs" qui poussa à la première abolition de l'esclavage, publia une étude intitulée "Etudes sur les patois de France et les moyens de les éradiquer" !!! Par patois, il entendait le breton, l'occitan, le basque ou le corse. Il s'agit là rien moins que d'une forme de colonialisme intérieur, réplique du colonialisme extérieur pratiqué au Maghreb, en Afrique noire et aux Antilles. Et, dans l'Hexagone, la Révolution n'écrabouilla pas seulement des langues mais des cultures, des visions du monde, des modes de vie, instaurant un centralisme tel que deux siècles plus tard le géographe Jean-François Gravier publiait un ouvrage au titre très significatif : "Paris et le désert français" (1947). Les premières victimes de l'assimilation furent donc les... Bretons, Basques, Occitans, Corses etc... !
Fermons la parenthèse et revenons à Mélenchon et maintenant à son discours non plus "hexagonal" mais "ultramarin". Le très jacobin chef de la France Insoumise est-il favorable à l'accession à la souveraineté, en clair à l'indépendance, des ultimes colonies de la planète que sont les Antilles, la Guyane, Tahiti etc... ? Aucunement car dans diverses prises de position et notamment dans son programme électoral pour l'actuelle élection présidentielle, Mélenchon se réjouit du fait que la France soit présente sur les cinq continents grâce à l'Outremer. Comment qualifier cela ? Nous ne voyons pas d'autre expression que celle d'assimilationnisme d'extrême-gauche. Nous avons, dans notre histoire martiniquaise, déjà connu deux formes d'assimilationnisme : celui de gauche et celui de droite. Dans l'ordre chronologique contrairement à ce que croient trop de gens !
Ce sont, en effet, les "Mulâtres", dans leur lutte pour le pouvoir politique contre la caste békée, qui l'ont réclamée les premiers et cela dès la fin du 19è siècle. Et quand ils obtinrent satisfaction avec la Loi de 1946, cette dernière fut fort justement dénommée "Loi d'assimilation". Faut-il rappeler que les Békés n'y étaient pas favorables car ils trouvaient leur compte dans le statut semi-autonome de "colonie" ? Ce n'est donc que dans un deuxième temps qu'apparut l'assimilationnisme de droite qui s'aligna sur les idéaux "républicains" et jacobins de son alter ego de gauche. En fait, on peut dire qu'à travers tout le 20è siècle, jusqu'aux années 80 de ce dernier pour être précis, les luttes politiques martiniquaises n'ont fait qu'opposer assimilationnistes de gauche et assimilationnistes de droite. Leur seule différence étant que les premiers réclamaient l'autonomie alors que les seconds se battaient pour rester dans le droit commun.
L'irruption des mouvements indépendantistes à compter du milieu des années 80 du siècle dernier, leurs succès politiques, syndicaux et culturels, sont venus perturber ce tête-à-tête entre assimilationnistes de gauche et assimilationnistes de droite mais sans doute sont-ils arrivés trop tard. La mondialisation était désormais là et la Martinique comme tous les pays du monde s'y trouva embarquée. Trop tard si l'on compare avec la Caraïbe anglophone parce que, par exemple, Barbade devint indépendante en... 1966. De fait, quoiqu'ayant depuis ce milieu des années 80, conquis des municipalités, des collectivités (Conseil Régional, CTM) et des sièges de députés, l'indépendantisme martiniquais n'a toujours pas réussi à faire avancer la Martinique d'un centimètre sur le chemin de... l'indépendance. A bien regarder, les électeurs votaient et continuent à voter pour des indépendantistes parce qu'ils estiment que ceux-ci sont plus honnêtes et meilleurs gestionnaires que leurs alter ego de droite ou de gauche. Pas parce que lesdits électeurs sont indépendantistes ! Dès lors, l'indépendantisme se retrouve piégé et contraint de "marcher au pas du peuple", selon l'expression consacrée. Sauf que ce pas ne se dirige aucunement vers un quelconque chemin pouvant conduire à la souveraineté...
Mais, le plus grave était encore à venir et il vient de se produire spectaculairement à l'occasion de cette élection présidentielle : la naissance d'un assimilationnisme d'extrême-gauche. Evidemment aucun de nos éminents politologues, politistes et autres commentateurs politiques ne l'avaient vu venir ! Car le mélenchonisme à la sauce martiniquaise n'est en réalité rien d'autre que de l'assimilationnisme new-look, de l'assimilationnisme d'extrême-gauche puisqu'il rejette l'idée de séparation avec la France. Il vient s'ajouter aux deux formes d'assimilationnisme historique, contribuant objectivement à les conforter. Déjà mis à mal par le processus de mondialisation, voici que l'indépendantisme martiniquais se retrouve face à un adversaire tout aussi redoutable à savoir cet assimilationnisme d'extrême-gauche qui fait de nous l'équivalent des Beurs ou des Afropéens, c'est-à-dire une minorité nationale. Nous voici devenus "les Noirs américains des Français" en quelque sorte c'est-à-dire des gens qui se battent pour obtenir l'égalité mais AU SEIN du même pays. Si ce positionnement des Noirs américains est parfaitement justifié puisqu'ils habitent le même pays que les Blancs américains, tel n'est pas du tout le cas des Martiniquais qui vivent à 8.000kms de la France.
Nous ne sommes pas "les Noirs américains des Français" !
Est-ce que dire cela relèverait d'une forme de racisme anti-Blanc ? Aucunement puisque Catalans et Espagnols, Corses et Français, Ukrainiens et Russes sont tous Européens, Blancs, Chrétiens et géographiquement proches et pourtant on ne peut pas dire que ce soit le grand amour entre eux ! Il s'agit très banalement de prendre en compte une réalité historique, linguistique, culturelle et géographique : la Martinique n'est pas la France même si une part de l'identité martiniquaise comporte des pans d'indéniable francité. Tout ceci pour dire, en fin de compte, que si jamais le succès électoral de Mélenchon en Martinique n'était pas un simple feu de paille (chose qu'on verra en juin lors des élections législatives), si jamais le mélenchonisme parvenait à s'enraciner, cela signifierait que les indépendantistes auraient désormais affaire à une troisième forme d'assimilationnisme. Forme cent fois plus dangereuse et difficile à combattre que les deux précédentes car plus subtile, plus intelligente et surtout qui parle davantage à notre jeunesse qui, mondialisation oblige, est branchée sur le mouvement "woke". Car enfin on n'entend presque jamais les mots d'"indépendance" ou de "souveraineté nationale" dans la bouche de nos déboulonneurs de statues et autres débaptiseurs de rues qui leur préfèrent "Noir", "Afrodescendant" ou "Afrique". Sans même s'en rendre compte, ils se comportent comme les..."Noirs américains des Français" !
Mais ne parlons pas trop vite car d'ici juin et ses élections législatives, nous saurons si cet assimilationnisme d'extrême-gauche n'était qu'une passade, une baudruche ou si au contraire il correspond désormais à une nouvelle sensibilité politique martiniquaise. Dans ce deuxième cas, les indépendantistes martiniquais, de tous bords, auront du souci à se faire. De gros soucis...
Un lapsus s'est glissé dans mon commentaire ci-dessus: Lire :..les Palestiniens de Gaza et non . Lire la suite
1) Comme vous le dites vous-même: " étant les premiers concernés" par le "racisme anti-noir" des Lire la suite
Soit vous comprenez tout de travers soit vous déformez tout ! Lire la suite
Si on vous suit bien l'Afrique du Sud NE DEVRAIT donc PAS condamner Israel puisqu'elle n'est ni Lire la suite
Ne prenez pas les gens pour des imbéciles avec vos habituels commentaires deux fois plus longs qu Lire la suite
Commentaires
Slogan ?
Oui
16/04/2022 - 15:01
L'affiche reproduite (copiée sur la toile) ne comporte aucune indication quant à son origine. Le texte n'est pas signé. L'imprimerie n'est pas indiquée.
D'autres affiches (également anonymes) se trouvent sur la toile mais sans l'interdiction du breton.
Des photos de pancartes "Interdiction de cracher par terre et de parler breton" sont aussi proposées sur la toile, sans qu'on ne dise jamais leur origine.
Ceux qui diffusent ces documents se dispensent d'en vérifier l'authenticité. A force d'être repris, ils finissent pas passer pour véridiques.
Pourtant, le chercheur Fañch Broudic , dans deux articles parus dans le Bulletin de la Société Archéologique du Finistère, en 2001 et 2002, indiquait que personne n’avait pu présenter une affiche authentique comportant la formule incriminée, associant breton et crachat.
Vingt ans plus tard, c'est toujours le cas (Cf. le site www.langue-bretonne.org, qui met à jour les contributions au débat).
La question est de savoir si la formule fut effectivement utilisée ou s'il s'agit d'un slogan de défenseurs de la langue bretonne, dénonçant la proscription bien réelle du breton.