Au Sénégal, les nouvelles autorités font le choix de l’enseignement dans les langues nationales

Reconnus dans la Constitution, le diola, le malinké, le pular, le sérère, le soninké et le wolof apparaissent comme un vecteur du souverainisme revendiqué par le nouveau pouvoir.

Des milliers d’élèves de Casamance, dans le sud du pays, vont ainsi faire leur première rentrée ce 7 octobre en langue diola. Depuis 2016, région par région, le Sénégal introduit dans l’enseignement public l’usage des six langues nationales reconnues dans la Constitution : le diola, le malinké, le pular, le sérère, le soninké et le wolof. « Sur quatorze régions, les langues nationales seront utilisées dans douze à partir de cette rentrée en 2024 », explique Cheikh Beye, chargé du programme de diffusion des langues sénégalaises au ministère de l’éducation nationale.

« J’ai des livres pour m’accompagner et des formations régulières » se félicite Elhadji Ka, enseignant qui donne ses leçons en wolof et en pular depuis déjà quelques années. Pour lui, il est clair que « les élèves apprennent plus vite à lire et à écrire dans leur langue maternelle. Par la suite, c’est plus facile pour eux d’apprendre le français ». « Les résultats sont là », précisait le ministre de l’éducation à propos de l’usage des langues nationales dans l’enseignement primaire.

« Médiums et objets d’enseignement »

M. Beye pointe aussi un changement de philosophie : « Au départ, on a pensé les langues nationales comme médiums d’enseignement. La nouvelle approche est de les considérer comme médiums et objets d’enseignement. » A terme, elles pourraient être étudiées en tant que telles au collège. Dans le modèle pensé par le ministère, le français, lui, reste étudié dès la deuxième année du primaire. « Dans le fond, le français aussi est une langue sénégalaise », souligne M. Beye.

Ce changement est rendu possible par le travail des linguistes et grammairiens. « Depuis les années 2000, il y a une production croissante de dictionnaires, de lexiques et de grammaires des langues nationales. Des outils indispensables pour permettre une codification et une diffusion des langues nationales dans le système scolaire », explique Mamour Dramé, docteur en linguistique à l’université Cheikh-Anta-Diop à Dakar. Si le wolof et le pular sont aujourd’hui parfaitement codifiés, le travail continue pour établir les règles d’autres langues sénégalaises.

« Il y a encore des efforts à faire. Les enseignants manquent de manuels. Parfois, la désorganisation grippe le processus, lorsqu’un professeur d’une région où on utilise le pular est muté dans une région où on parle sérère », pointe M. Malick Youm. M. Beye n’esquive pas le sujet : « La production et la diffusion de manuels sont le gros défi pour le ministère. »

Au Sénégal, le wolof est la langue nationale la plus parlée au quotidien. 53,5 % des Sénégalais l’utilisent selon le recensement de 2023, lorsque le français ne serait parlé au quotidien que par 0,6 % de la population. En revanche, le français reste la langue d’alphabétisation principale.

« Un patrimoine culturel »

La place des langues sénégalaises dans l’enseignement est un vieux sujet. On retrouve des décrets présidentiels et des rapports gouvernementaux exhortant à l’usage des langues nationales dès 1971. Le débat a engagé jusqu’au premier président de la République, Léopold Sédar Senghor.

Ce dernier, agrégé de grammaire française et fin connaisseur de la langue sérère, a entretenu une ambiguïté au sujet des politiques linguistiques dans l’éducation. Il a parfois défendu l’usage des langues sénégalaises pour des raisons idéologiques, mais laissé la place à l’usage du français à l’école sous couvert de pragmatisme, invoquant notamment l’absence de grammaire du wolof. Ses opposants l’accuseront longtemps de favoriser le français.

« Les langues nationales constituent un patrimoine culturel qui reflète notre manière de penser, nos croyances et nos coutumes », a aussi insisté le ministre de l’éducation. Au ministère, au-delà de la vertu pédagogique de l’utilisation des langues sénégalaises, on planche sur ce qui s’apparente à une sénégalisation des programmes scolaires. La place des tirailleurs sénégalais et du massacre de Thiaroye en 1944 pourrait ainsi être réévaluée. De même, des figures historiques encore absentes des programmes pourraient être appelées à y faire leur entrée, comme le héros du XVIIIe siècle Thierno Souleymane Baal. Pour les nouvelles autorités, en fonction depuis avril, l’enseignement apparaît aussi comme un vecteur du souverainisme qu’elles revendiquent.

Une classe dans une école primaire à Pikine, dans la banlieue de Dakar, en janvier 2018.

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