« Le Collège de France est en passe de devenir le Collège de la France antijuive » : plongée dans l’entre-soi d’un réseau universitaire

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Comme l’a raconté Blast : une coterie d’universitaires a œuvré dans l’ombre, avec une association d’avocats, contre un colloque sur la Palestine qui devait se tenir les 13 et 14 novembre au Collège de France – et qui a été annulé par l’administrateur de cette vénérable institution. Ces chercheurs appartiennent au Réseau de recherche sur le racisme et l’antisémitisme (RRA), dont les nombreux membres échangent force mails sur une liste dédiée. Blast a pris connaissance de ces conversations, dont la consultation permet une plongée vertigineuse dans l’imaginaire de ce réseau très engagé – entre fustigation des musulmans, défense de l’État d’Israël, et dénigrement (et le cas échéant diffamation) d'universitaires jugés déviants, ou dont l’« origine » est perçue comme « palestinienne ».

D’abord, plantons le décor.

Le 7 novembre 2025, le magazine réactionnaire Le Point publie un article dénonçant la tenue au Collège de France, les 13 et 14 novembre, d’un colloque sur la Palestine et l’Europe coorganisé par l’historien Henry Laurens et le Centre arabe de recherches et d’études politiques de Paris (Carep), et qui doit réunir quelques-uns des meilleurs spécialistes du sujet.

L’hebdomadaire présente ce très sérieux symposium - où doivent aussi intervenir l’ancien Premier ministre Dominique de Villepin, la rapporteuse spéciale de l’ONU sur les territoires palestiniens occupés Francesca Albanese et l’ex-vice-président de la Commission européenne Josep Borrell - comme « un colloque propalestinien à haut risque » et « à tendance pro-Hamas ».

Immédiatement après la parution de ce rancuneux papier, la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra), dénonçant à son tour un « colloque antisioniste » et un « dévoiement » du Collège de France, annonce « saisir » le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Philippe Baptiste.

Le 8 novembre, plutôt que de défendre la liberté académique, le ministre, dont l’entourage expliquera au journal Le Monde qu’il a également été alerté par « un écosystème de chercheurs » - gardons cela en mémoire -, écrit à l’administrateur du Collège de France, Thomas Römer, pour lui dire qu’« au vu » du « programme » du colloque, il « doute » que cette vénérable institution pluriséculaire soit « en mesure de garantir un débat où le pluralisme des idées puisse pleinement s’exprimer ».

Philippe Baptiste, qui se défendra d’avoir voulu l’interdire, exprime également – deux intimidations valent mieux qu’une - son « profond désaccord » personnel « avec l’angle retenu » par les organisateurs de la conférence.

Message reçu : le 9 novembre, « face à la polémique », Thomas Römer, cédant très rapidement sous la pression, annule l’événement, au prétexte, ahurissant, des prétendus « risques qui se manifestent autour de ce colloque ».

Dans une cinglante tribune publiée par Le Monde, plusieurs professeurs du Collège de France dénonceront cette misérable capitulation, qui « crée un précédent d’une extrême gravité », car « elle fragilise », expliquent-ils, « la possibilité même de débats scientifiques et intellectuels sur des questions de société, dès lors qu’ils feraient l’objet d’interventions politiques, partisanes ou médiatiques visant à les interdire ou les empêcher ».

 

Humanisme, respect, tolérance

 

Cela est vrai, mais dans cette affaire, comme l’a confirmé le ministère de l’Enseignement supérieur en mentionnant l’intervention d’un « écosystème de chercheurs », le piétinement de la liberté académique n’a pas seulement été le fait de la presse de droite et de la Licra, et d’un ministre qui n’a, dans le meilleur des cas, rien fait pour la protéger : des pressions ont également été exercées, et cela aussi crée un regrettable précédent, depuis l’intérieur même du monde universitaire – par des membres d’une intéressante société savante, dont Blast a déjà évoqué les agissements dans un précédent article : le Réseau de recherche sur l’antisémitisme et le racisme (RRA).

Cette « structure fédérative de recherche qui associe huit universités françaises et des associations de lutte contre le racisme et l'antisémitisme » est dirigée par la psychanalyste Céline Masson (université de Picardie).

Elle s’est donné pour mission, comme l’indique son site, d’« informer le public de certaines affaires dégradant l’image de l’université (actes ou propos racistes et antisémites) » - et de « rappeler » les magnifiques « valeurs fondatrices de l’université » que sont l’ « humanisme », le « respect », la « tolérance » et l’ « attachement aux valeurs républicaines et citoyennes ».

Un tel programme donne bien sûr envie de battre des mains, mais la réalité des pratiques de cette étonnante organisation est parfois moins éblouissante, comme le prouvent les discussions entre ses membres - qui échangent force mails sur une liste dédiée.

Blast a pris connaissance de ces conversations, telles qu’elles vont, au fil des mois – et le moins qui se puisse dire est que leur consultation emmène parfois très loin des belles et bonnes « valeurs » que le RRA prétend défendre.

Car dans le cocon de cet entre-soi, des chercheurs se laissent aller, en vrac, à calomnier et diffamer des collègues - en raison, notamment, de leur nationalité fantasmée - et à réunir des informations susceptibles de les compromettre, à théoriser « un lien évident » entre « résurgence de l'antisémitisme » et « présence musulmane » (voir encadré 2) et à relativiser ce qu’ils appellent le « prétendu génocide » en cours à Gaza, ou encore à vitupérer contre les mauvais sujets universitaires qui osent annuler leur participation à une conférence par solidarité avec les Palestiniens – avant d’œuvrer dans l’ombre, quelques semaines plus tard, pour l’annulation d’un autre colloque, accusé de « légitimer » l’antisémitisme : celui, donc, du Collège de France, rebaptisé pour l’occasion, et en toute obscénité, « Collège de la France antijuive ».

Reprenons tout cela, dans l’ordre.

 

Le prétendu “génocide en cours à Gaza“

 

Au mois de septembre 2025, pour protester contre les crimes perpétrés à Gaza par l’armée israélienne, cinq chercheurs basés en France annulent leur participation à un colloque organisé à Paris par le Musée d’art et d’histoire du judaïsme (MAHJ), après avoir notamment découvert que le déplacement d’une intervenante doit être financé par l’université hébraïque de Jérusalem, qui entretient des liens étroits avec ladite armée.

Cette nouvelle consterne et enrage les discuteurs du RRA.

Sa directrice, Céline Masson, leur adresse ce message cosigné par ses deux directrices adjointes, Isabelle de Mecquenem (université de Champagne-Ardenne) et Martine Benoit (université de Lille) : « Chers collègues. Nous souhaitons exprimer tout notre soutien au Musée d’art et d’histoire du judaïsme (…) ainsi qu’aux organisateurs du colloque ( …) qui devait se tenir les 15 et 16 septembre (…). La décision de certains chercheurs de boycotter cette rencontre (…) constitue une atteinte grave à la liberté académique (…) mais aussi à l’esprit d’indépendance et d’ouverture qui fonde la recherche. (…) Ces chercheurs commettent ainsi un tragique amalgame entre science et politique. »

Cette missive ne mentionne nulle part la véritable raison pour laquelle les cinq chercheurs incriminés ont annulé leur participation au colloque du MAHJ – qui est que les universités israéliennes sont étroitement liées à l’armée qui extermine les Palestiniens de Gaza.

Le 11 septembre, le politologue Pierre-André Taguieff (CNRS) écrit, en majuscules comminatoires : « POURQUOI NE PAS PROPOSER UNE TRIBUNE SUR LA QUESTION, ET LA PUBLIER DANS LA PRESSE AVEC UN NOMBRE SIGNIFICATIF DE SIGNATAIRES? PAT »

Vif succès : l’historienne Annette Becker recommande immédiatement de « suiv(re) très vite la proposition de Pierre-André Taguieff », et de confectionner rapidement une « tribune courte et incisive en n’oubliant pas de dire que les universitaires israéliens luttent massivement pour la paix ».

Aussitôt dit, aussitôt fait : une pétition est rédigée, qui déplore que « cinq chercheurs (aie)nt décidé de se retirer d’un colloque d’historiens médiévistes et modernistes en raison de la présence de chercheurs israéliens ».

Selon ce texte, « ce boycott (…) ostracise des collègues uniquement en raison de leur nationalité. Il amalgame les individus et le gouvernement de leur pays. Ce qui revient à leur faire porter le fardeau de complicité avec le prétendu “génocide en cours à Gaza“, selon le discours en vigueur dans nos établissements d’enseignement supérieur depuis le 8 octobre 2023, lendemain du plus grand massacre de Juifs depuis la Shoah. »

Cette tribune occulte donc de nouveau le fait que les universités israéliennes collaborent étroitement avec l’armée et l’industrie militaires israéliennes, et que c’est pour cette raison précise que des chercheurs ont annulé leur participation au colloque organisé par le MAHJ.

Mais ce n’est qu’au prix de cette omission calculée que les auteurs de ce texte peuvent décréter faussement que ce « boycott » cible des chercheurs « uniquement en raison de leur nationalité » israélienne.

D’autres fois, comme on va le voir : ces mêmes fières sentinelles de la liberté académique peuvent se montrer beaucoup moins fermes dans leurs principes.

 

Montée du nazisme

 

Le 6 novembre, à midi, Céline Masson souhaite, au nom du RRA, la « bienvenue à Emmanuel Droit, professeur des universités et directeur de Sciences Po Strasbourg, qui rejoint notre liste », et à Véronique Benzaken, professeure des universités à Paris-Saclay.

Quelques heures plus tard, des militants pro-palestiniens perturbent pacifiquement un concert de l’orchestre national d’Israël à la Philharmonie de Paris, où ils brandissent notamment des fumigènes.

Le lendemain, la philosophe Danièle Cohn (EHESS), qui assistait à l’événement, saisit le réseau : « Hier soir le concert (…) a été violemment perturbé (quatre fois dont deux avec des fumigènes et des heurts violents) par des militants pro-palestiniens malgré une sécurité renforcée (…). Une honte et un scandale : voilà où nous en sommes dans le monde de la culture, qui ne vaut pas mieux que notre monde académique. »

Elle dit vrai lorsqu’elle mentionne des « heurts violents ».

Mais elle omet de préciser qu’ils ont été provoqués par des spectateurs, qui ont violemment agressé les protestataires pacifiques.

Cet oubli fort peu scientifique favorise quelques outrances : il permet par exemple à cette philosophe d’écrire ensuite que les événements dont elle a fait un compte-rendu partiel lui ont rappelé « la montée du nazisme » en Allemagne, au siècle dernier...

Le Collège de la France antijuive

Le 8 novembre, Pierre-André Taguieff sonne une nouvelle alarme : « Le colloque à venir au Collège de France est un autre signe du basculement progressif dans la légitimation et la banalisation des actions antijuives sous couvert d'antiracisme et d'anticolonialisme. »

De fait : le très vénérable Collège de France doit, comme on l’a dit, accueillir la semaine suivante, les 13 et 14 novembre, le colloque coorganisé par l’historien Henry Laurens et le Centre arabe de recherches et d’études de Paris (Carep), et qui aura pour thème : « La Palestine et L’Europe : poids du passé et dynamiques contemporaines. »

Il faut beaucoup d’imagination pour voir dans un tel événement une entreprise « antijuive » - mais lorsqu’il s’agit de se chauffer le sang la petite coterie du RRA ne manque certes pas de créativité, et l’annonce de ce colloque où Dominique de Villepin et Francesca Albanese doivent également intervenir la plonge dans un abîme de fureur.

Chacun y va donc de sa surenchère, d’Annette Becker fulminant qu’au siècle dernier déjà « Marc Bloch a échoué à entrer au Collège de France » - où perdurerait donc, c’est induit, une déjà longue tradition d’antisémitisme – à Pierre-André Taguieff écrivant cette infâme diffamation : « De Didier Fassin à Henry Laurens et quelques autres, académo-militants qui occupent le terrain, le Collège de France est en passe de devenir le Collège de la France antijuive. »

Le même jour, Céline Masson, présidente du RRA, souhaite, sans plus de précisions, la « bienvenue » au sein de ce réseau à « Déborah Journo, avocate ».

Cette juriste préside l’association Actions Avocats – qui va jouer dans les heures suivantes un rôle considérable.

Sitôt intégrée au groupe, en effet : Déborah Journo adresse à ses membres un message les informant de ce qu’« Actions Avocats se charge d’écrire au ministre de l’Enseignement pour dénoncer ce colloque au sein d’un établissement public sous sa tutelle. »

De fait, l’association adresse alors à Philippe Baptiste un courrier que Blast a également pu consulter, et qui soutient que le symposium du Collège de France « comporte le risque grave de désigner indirectement comme suspects ou coupables les membres de la communauté juive ou toute personne manifestant un soutien à l’État d’Israël, contribuant ainsi à la normalisation d’un climat de stigmatisation contraire aux valeurs républicaines ».

Sur la base de cet étrange postulat, Actions Avocats « sollicite donc » de la « part » du ministre « une intervention vigilante afin de garantir que les principes de neutralité, de pluralisme et de responsabilié académique soient pleinement respectés dans le cadre de ce colloque », et le « pri(e) de bien vouloir rappeler aux autorités du Collège de France leurs obligations légales et éthiques, conformément à leur statut d’établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel »

Nous allons revenir sur cette percutante intervention, après un court détour.

 

Elle n’a que le mot génocide à la bouche

 

Le 8 novembre, toujours, quarante-huit heures après avoir été accueilli par Céline Masson au sein du RRA, Emmanuel Droit, directeur de Sciences Po Strasbourg, s’ouvre à ses nouveaux amis de sa préoccupation du moment.

Il écrit : « Je rebondis sur la discussion autour de ce colloque au Collège de France car je viens de m'apercevoir qu'une collègue politiste, qui depuis un an ne fait plus que du militantisme pro-palestinien au sein de mon IEP, a invité l'une des intervenantes programmées à cette manifestation organisée par H. Laurens au Collège de France. Que savez-vous à propos de Stéphanie Latte-Abdallah? »

Puis il explique pourquoi cette chercheuse l’inquiète tant : « Elle intervient devant des étudiants de Master pour parler de Gaza comme exemple de société en guerre... Quand je vois qu'elle intervient la semaine prochaine dans un panel appelé "Le sionisme comme projet européen d'expansion coloniale", cela me fait peur et froid dans le dos... Associer le sionisme à une histoire du colonialisme est non seulement faux mais relève clairement d'une grammaire antisémite. »

Et de conclure : « Si jamais vous avez des infos sur cette chercheuse du CNRS me permettant d'alerter la présidence de l'université de Strasbourg, je vous en serai reconnaissant. »

C’est donc nettement suggéré : parce qu’elle participe à un panel scientifique consacré aux débats universitaires sur la question du sionisme et du colonialisme, Stéphanie Latte Abdallah serait une chercheuse suspectable, qu’Emmanuel Droit voudrait pouvoir dénoncer comme telle auprès de l’autorité compétente.

Mais cela ne heurte personne parmi les interlocuteurs du patron de Sciences Po Strasbourg, qui s’empressent au contraire de lui confirmer qu’il a raison de se défier d’elle : elle est « clairement militante pro-palestinienne, étant elle-même d’origine palestinienne, toute sa production est là-dessus, ses interventions aussi », écrit la psychanalyste Régine Waintrater (Paris Diderot).

Réponse d’Emmanuel Droit : « Merci, oui, en faisant des recherches, je viens de voir qu'elle n'a que le mot génocide à la bouche... »

Un minuscule détail échappe à ce suave duetto : dans le monde réel, Stéphanie Latte Abdallah n’a pas la moindre « origine palestinienne ».

En aurait-elle, d’ailleurs, que cela ne constituerait nullement la tare quelque peu rédhibitoire que suggère la réponse de Régine Waintrater à Emmanuel Droit .

Mais il semblerait que pour certains membres du RRA, une telle origine, fût-elle imaginaire, puisse éventuellement constituer, par elle-même, une preuve irrécusable de la prétendue partialité d’une chercheuse dont le sérieux est pourtant unanimement reconnu par ses pairs.

 

Je ne boude pas le plaisir de voir ce colloque annulé

 

Le 9 novembre, vingt-quatre heures après avoir annoncé que son association d’avocats « se charge(ait) d’écrire au ministre de l’Enseignement pour dénoncer » le colloque du Collège de France, Déborah Journo rend compte de l’effet de cette initiative : « Bonjour à tous, nous avons adressé un courrier à l’administrateur du collège de France + copie au ministre de l’enseignement hier par e-mail. J’imagine que notre courrier et toutes les autres initiatives ont permis cette annulation. Bravo à tous, bien à vous, Déborah Journo, présidente. »

Une ex-conseillère ministérielle confirme aussitôt que les interventions du groupe ont pu peser dans cette censure : « Les ministres Aurore Bergé et Philippe Baptiste prévenus depuis jeudi dernier (les alertes que vous faites remonter ici sont donc précieuses) ont demandé à l’administrateur du Collège de France d’annuler ce colloque eu égard le risque élevé de trouble à l’ordre public et afin de garantir la sécurité des personnes. Bien à tous, Déborah Lévy. »

Ces annonces réjouissent plusieurs participants à la discussion.

Danielle Delmaire (université de Lille) confesse : « Je ne boude pas le plaisir de voir ce colloque annulé. »

Véronique Benzaken (Paris-Saclay) ajoute : « Bravo... j'ose espérer que cela puisse nous servir au sein de nos établissements pour faire jurisprudence. Vaillamment. »

Rappel : ces gens qui célèbrent si bruyamment l’interdiction d’un colloque sont les mêmes que ceux qui, un mois et demi auparavant, dénonçaient avec la même passion ce qu’ils appelaient le « boycott » par cinq chercheurs de la conférence organisée par la Musée d’art et d’histoire du judaïsme – et qui présentaient cette décision comme une atteinte intolérable à « la liberté académique ».

 

Des mesures coercitives pour les faire rentrer dans le cadre

 

Dans ce moment d’allégresse, Philippe Zard (Paris Nanterre) ose produire cet avis timidement discordant : « Comme vous pouvez vous en douter, tout dans ce colloque, ses partis pris, ses invités, ses intentions, me révulse. Mais le libéral que je suis reste plus que réservé sur l'interdiction d'une manifestation. (…) Désolé d'être un peu dissonant, mais il me semble qu'à un moment ou à un autre, si le vent tourne, et il peut tourner, cette arme de l'annulation (que nous avons toujours combattue par ailleurs) se retournera contre nous. Amitiés, Philippe. »

Mais ses scrupules sont rapidement balayés par ses interlocuteurs.

Le philosophe Paul Audi, par exemple, écrit, exactement comme s’il n’avait pas pris connaissance du message de Déborah Journo expliquant que les conjurés ont selon elle contribué à cette interdiction : « Aucun d’entre nous n’est responsable de l’annulation du colloque. À ma connaissance, en tout cas, nous n’avons pas demandé une telle chose. Comme beaucoup d’autres, nous avons fait état de notre effarement devant la programmation d’un meeting politique au Collège de France, où il ne faisait aucun doute que les échanges “scientifiques“ annoncés étaient de la poudre aux yeux. Albanese? Villepin? Peut-être en invitée surprise aurions-nous vu monter à la tribune Rima Hassan… (…) Personnellement je crois ces gens capables de tout. Il y a un an j’ai fait une émission de radio face à Henry Laurens, et je l’ai vu accumuler des contre-vérités et des mensonges en s’abritant derrière son “autorité“. C’était ahurissant. Ce professeur n’est pas autre chose qu’un militant. »

Et de conclure : « L’important à ce stade, il me semble, est le précédent que cela crée. L’idée d'inviter des politiques dans un colloque académique - fût-il orienté, malfaisant, et non pluraliste - tentera moins de personnes. »

La philosophe Stéphanie Roza (CNRS) partage ces avis, et prône en toutes lettres, contre les universitaires mal éduqués, une coercition à même de discipliner ces mauvais sujets : « Je pense comme Paul, que certains de nos collègues ont lâché la rampe et ne font plus aucune distinction entre leur expertise scientifique et leur militantisme. Ils ont pris l'habitude de se servir de leurs diplômes et de l'autorité morale qui en émane pour faire passer ce qui est tout bonnement de l'ordre de la propagande. Dans ces conditions, il n'y a pas 36 solutions. Le débat ne suffit pas : il faut leur faire comprendre que leur comportement n'est pas acceptable parce qu'ils ne respectent plus les règles élémentaires de leur profession. Et donc prendre des mesures coercitives pour les faire rentrer dans le cadre. »

 

Des étudiants sont arabes

 

Ce même 9 novembre, Céline Masson, présidente du RRA, est quant à elle en Israël, où elle doit participer le lendemain, à l’université Reichman, à un conférence internationale sur « l’antisémitisme en France ».

Ce court voyage lui inspire un enthousiasme ardent : « aujourd’hui », écrit-elle à ses « chers collègues, nous avons vécu une journée exceptionnelle à Jérusalem ».

Elle poursuit : « Nous avons été chaleureusement accueillis par l’équipe de la présidence de l’Université. (…) Le vice-président a rappelé que le monde académique est, par essence, antinomique des boycotts. Il a également souligné que 21 % des étudiants de l’université sont arabes, dont un grand nombre de femmes, ce qui rend ces appels au boycott d’autant plus incompréhensibles. »

Encore une fois, et comme un mois plus tôt lorsque le RRA s’était mobilisé contre ce qu’il avait appelé le « boycott » du colloque du Musée d’art et d’histoire du judaïsme par cinq chercheurs : le fait que les universités israéliennes collaborent avec l’appareil militaire de l’État hébreu est très soigneusement occulté, et remplacé par un édifiant récit où ces mêmes établissements reçoivent des « Arabes », et mieux encore « des femmes arabes » - de sorte qu’il serait en effet inconvenant de trop s’appesantir sur le constat qu’elles forment par ailleurs de futures recrues de l’armée qui tue les Gazaouis.

 

Il faut du pedigree

 

Le 10 novembre, l’historien Emmanuel Debono, manifestement agacé par les pudeurs – limitées - d’un Philippe Zard « réservé sur l'interdiction d'une manifestation », écrit : « Chers tous, il ne faut pas se tromper de sujet. (…) Ce "colloque" (…) n'a rien à voir avec le périmètre académique et (…) il s'agit effectivement d'un meeting. »

Pour preuve : la chercheuse Leila Seurat, qui a participé à son organisation, « parle d'agression génocidaire au sujet d'Israël », et « expliquait dans une interview en avril dernier que "d’une certaine manière, les revendications du Hamas ont fusionné avec celles de l’opposition politique en Israël, ce qui peut contribuer à mettre en difficulté Benyamin Netanyahou" ».

Pour Debono : de telles effronteries ne sont plus tolérables.

Il « souhaite » donc « constituer un petit groupe de volontaires pour travailler sur l'épluchage des bios de » tels « intervenants ».

Il précise les contours de cette noble entreprise : « Il faut du pedigree et du verbatim, et constituer la revue de presse accablante que cet aréopage mérite. »

Puis il lance un appel à collaborations : « Merci de me contacter si vous souhaitez réfléchir et mettre en oeuvre, rapidement, ce travail de salubrité publique. Bien à vous, Emmanuel. »

La précision qu’il s’agit de faire une simple « revue de presse » est assurément heureuse - car la loi interdit de constituer des fichiers de « données à caractère personnel qui révèlent la prétendue origine raciale ou l'origine ethnique, les opinions politiques, les convictions religieuses ou philosophiques ou l'appartenance syndicale d'une personne physique ».

 

Une politique dans un colloque

 

Le 10 novembre, Céline Masson écrit, depuis Jérusalem - où elle a donc participé, rappelle-t-elle, à une conférence sur l’antisémitisme en France -, qu’elle a « pu ouvrir » ce « colloque », avant d’ « entendre de passionnantes conférences ».

Elle omet en revanche de préciser que la conclusion de cette journée a été confiée à une oratrice assez extérieure au monde académique – puisqu’il s’agissait de Caroline Yadan, députée de droite des Français vivant en Israël et supportrice inconditionnelle de l’État hébreu.

Mais on gage que cet oubli de la directrice du RRA était dicté par la délicatesse – et qu’elle a voulu éviter à ses compères de trop s’agacer que « l’idée d'inviter des politiques dans un colloque académique », qui les incommode tant, puisse encore « tenter » tant de personnes…

L’affaire des « fuites »

Conclusion : le 11 novembre 2025, la directrice du RRA et ses deux directrices adjointes adressent, après la publication d’un article du Monde évoquant le rôle de ce réseau dans l’annulation du colloque du Collège de France, un divertissant message aux adhérents, qui doit être cité intégralement.

Elles écrivent : « Plusieurs d'entre vous ont été interpellés par l'annulation du colloque sur la Palestine et l'Europe par l'administrateur du Collège de France et des échanges ont naturellement eu lieu à ce sujet. Des avis divergents ont pu s'exprimer, ce qui est la vocation même d'une liste de diffusion entre universitaires. Or, certains de ces courriels ont été divulgués et transmis au journal Le Monde. Un article a été publié ce soir, reprenant verbatim des messages destinés à cette liste. Nous ne pouvons souscrire à la pratique de ces "fuites" qui portent gravement atteinte à la confiance indispensable à aux échanges entre pairs et à l'exercice de la liberté d'expression académique. Le RRA n'a jamais appelé à la censure de ce colloque. (…) Céline Masson, Isabelle de Mecquenem, Martine Benoit. »

Selon les trois dirigeantes de ce réseau, donc : « Le RRA n’a jamais appelé à la censure de ce colloque. »

Il suffit de le répéter - et peut-être que les éléments témoignant d’une réalité moins contrastée finiront eux aussi par disparaître.

 

L’islamo-nazisme

Dans les tout premiers jours du mois d’août 2025, les autorités françaises expulsent vers le Qatar une étudiante palestinienne qui devait intégrer l’Institut d’études politiques de Paris, après qu’elle a publiquement tenu des propos antisémites.

Le 5 août, le magazine L’Express publie un article dont le titre décrète que « l’affaire de l’étudiante de Gaza ravive le spectre de la collaboration entre nationalisme palestinien et nazisme ».

Plus précisément : elle « rappelle les heures sombres de l’alliance entre le grand mufti de Jérusalem et l’Allemagne nazie ».

Un telle démonstration n’est pas inédite : cela fait vingt ans que la mémoire dudit grand mufti - Hadj Amin al-Husseini -, qui a effectivement fait allégeance au Troisième Reich, est régulièrement mobilisée par la presse et les médias mainstream pour suggérer que les musulmans en général et les Palestiniens en particulier entretiendraient un lien indéfectible avec le nazisme – et par conséquent avec l’antisémitisme.

Ce récit rodé laisse de côté quelques faits - car, comme l’a notamment rappelé le journaliste Dominique Vidal en s’appuyant sur les travaux du chercheur franco-libanais Gilbert Achcar, si « le mufti a effectivement pris fait et cause pour la nazisme, au point d’approuver le judéocide », ce sinistre engagement n’était « nullement représentatif des mouvements nationaux palestinien et arabe dans leur ensemble », puisque « le nombre des Arabes qui combattirent dans le camp allié » pendant la Seconde Guerre mondiale « et y trouvèrent la mort a été incomparablement plus élevé que le nombre de ceux qui se joignirent aux troupes de l’Axe ».

Mais dans son article publié le 5 août, L’Express fait le choix de ne pas mentionner cette précision, et de donner plutôt la parole à un expert que réjouit manifestement cette occasion de gloser sur « l’alliance islamo-nazie » : le politologue Pierre-André Taguieff (CNRS).

Le 6 août, quelques heures après la parution de cet article, le même Taguieff adresse ce court message aux membres du RRA : « La question de l’islamo-nazisme (pour aller vite) ne cesse de revenir (et) rebondir. Voyez cet article de L’Express, qui vient d’être mis en ligne. »

L’article en question étant, on l’aura compris, celui dans lequel il a délivré ses vues pénétrantes.

Cet aplomb emporte l’adhésion de la sociologue Eva Illouz, qui lui répond : « Merci beaucoup Pierre-André. (…) Pourquoi ces faits ont été occultés par l'Occident devrait faire l'objet d'une autre recherche. »

Dans le monde réel, on l’a dit : les « faits » en question n’ont pas été « occultés par l’Occident » - où la presse dominante, on l’a dit, évoque régulièrement le cas du grand mufti.

Mais ce renfort d’Illouz comble Taguieff, qui fait à son tour cette réponse - où il mentionne plusieurs de ses propres ouvrages, pour suggérer qu’ils comblent un vide béant : « Il y a bien longtemps que j’ai pris conscience de cette volonté de ne rien savoir sur le phénomène, que j’ai abordé dans divers articles et plusieurs de mes livres, par exemple dans La Judéophobie des Modernes (2008), dans Liaisons dangereuses. Islamo-nazisme, islamo-gauchisme (2021) ou dans L’Invention de l’islamo-palestinisme (2025). »

 

Un lien évident entre la résurgence de l'antisémitisme et la présence musulmane

Le 6 août 2025, l’historien belge Joël Kotek (université libre de Bruxelles) adresse au RRA un texte relatif à l’antisémitisme en Belgique, dont le contenu heurte l’une de ses correspondantes.

Il s’agit de l’anthropologue Florence Bergeaud-Blackler (CNRS), qui adresse à Kotek cette question en forme de discrète remontrance : « L'absence quasi totale de référence à la tradition antijuive islamiste est-elle délibérée ? »

L’intéressé se défend : « Chère Florence, je pense que tu devrais relire mon texte. L’antisémitisme musulman y est très clairement évoqué (très) même si effectivement dans ce cas je pointe en priorité l’antisémitisme chrétien. La Belgique est toujours un état de culture chrétienne que je sache. »

Bergeaud-Blackler le rassure : « Cher Joël, j'ai bien lu ton texte. Ma question était une question et pas une critique du tout. »

Puis elle ajoute, après diverses considérations d’où ressort principalement que « l'antijudaïsme islamique est très ancien », ce propos étonnant : « L'antisémitisme chrétien – qui, tu le montres, ne semble pas très résiduel en Belgique - serait plus facilement combattu si les islamistes qui sont entrés dans tous les partis politiques belges francophones et ont une influence disproportionnée dans la vie politique belge via le vote musulman n'avaient pas cherché à le réveiller. »

Et de conclure : « Il y a pour moi un lien évident en Belgique entre la résurgence de l'antisémitisme et la présence musulmane et islamiste en particulier. Il faut rappeler que tous les pays musulmans sont antisémites à des taux impressionnants (…) . Cela ne peut pas ne pas avoir d'effets sur l'antisémitisme européen. Mais j'ai bien compris que ce n'est pas ton sujet. Amitiés, Florence. »

Ces surprenants développements, où la persistance d’un antisémitisme catholique qui n’a rien de « résiduel » est donc partiellement imputé à des électeurs « islamistes » et où « la résurgence de l’antisémitisme » s’explique plus généralement par « la présence musulmane », ne soulèvent guère d’objection chez les membres du RRA - où certains silences ressemblent d’assez près à des consentements.

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Commentaires récents

  • Municipales à Foyal : l'alliance de la carpe (-ette) du du (compère) Lapin

    PIEGE...

    Albè

    15/11/2025 - 12:48

    J'ai volontairement mis un "t" à fallu pour démasquer votre assimilationnisme crasse. Lire la suite

  • Municipales à Foyal : l'alliance de la carpe (-ette) du du (compère) Lapin

    matété

    abcx

    15/11/2025 - 12:17

    Merci pour la précision, sauf que, finalement, il y a un "t" de plus.

    Lire la suite
  • Municipales à Foyal : l'alliance de la carpe (-ette) du du (compère) Lapin

    POUR QU'IL Y AIT DES "ELECTEURS MARTINIQUAIS..."

    Albè

    15/11/2025 - 10:47

    ...encore aurait-il fallut qu'il existât (oui, subjonctif imparfait !) des..."Martiniquais". Lire la suite

  • Municipales à Foyal : l'alliance de la carpe (-ette) du du (compère) Lapin

    Parole de zigoto...

    abcx

    15/11/2025 - 09:39

    Il faut être aveugle et férocement attaché au passé (quoi qu'on dise), et jouer les vierges offen Lire la suite

  • Mairie de Paris : le duel Dati/Chirikou

    CONNARD, VA !

    Albè

    14/11/2025 - 19:26

    Tu ne sais pas ou tu fais semblant de ne pas savoir que les impérialistes euro-américains ne se p Lire la suite