A Bangkok, vivre l'expérience du train des profondeurs

Patrick Chesneau

Le métro souterrain, MRT, de la Cité des Anges, c'est d'abord une plongée sous terre vertigineuse. La déclivité est de plusieurs centaines de mètres. Stupéfiante prouesse technique dans le sous-sol spongieux de la capitale thaïlandaise.

      Excroissance tentaculaire. Mais, on est d'emblée très loin d'une atmosphère moite et poisseuse. Pas un seul indice qui indiquerait un capharnaüm dantesque et survolté. Ici, tout est fluide. A commencer par le défilé obligatoire des voyageurs empressés sous un portique de sécurité. Lequel s'égosille le cas échéant en produisant une sonorité nasillarde sans que cela émeuve le moins du monde l'agent placide de faction. Presque hiératique, sanglé dans son uniforme bleu ciel. Couleur qui peut être vue comme une réminiscence de la colorimétrie observée à l'air libre. Le rôle du " security guard "  n'est-il pas de filtrer les indésirables potentiels en ces lieux de haute fréquentation publique?

      Dans la foulée, halte imposée aux guichets. Derrière leurs parois en plexiglas, les personnels préposés à la vente des jetons sont affairés mais toujours disponibles. De leur poste de commandement, ils s'ingénient à répondre aux grappes de touristes-bourlingueurs dans un carrousel de langues venues de tous les coins du vaste monde. Rarement polyglottes, ils n'y comprennent goutte. Qu'à cela ne tienne. Avec bienveillance, ils renseignent et orientent ces drôles d'étrangers aux mines intriguées et de prime abord désarçonnées. Ainsi, ils expliquent volontiers que tout client correspondant à la catégorie seniors bénéficie du demi-tarif. Sans aucune distinction de nationalité. Thaïs et aliens,  tarif réduit identique. Pas de discrimination contrairement au système en vigueur dans le métro aérien, BTS, et dans la flopée des lignes à monorail.

     Dans le MRT, la légendaire étiquette thaïe est donc la matrice d'un service impeccable. A leur tour, les machines de reconnaissance digitalisée identifient sans anicroche la panoplie des titres de transport. Commence à ce stade un périple qui revêt instantanément l'allure d'une déambulation au coeur d'un alambic aseptisé. Les niveaux de profondeur s'emboîtent et se chevauchent dans un ordonnancement méthodique. Audacieuse superposition d'étages. Au hasard de couloirs interminables, saute aux yeux une impression cruciale de propreté. Pas un mégot. Pas un papier foissé. Pas un chiffon. Rien ne jonche le sol. Carrelage lustré. On pourrait sans doute s'y mirer pour se recoiffer. Qui plus est, pas l'once d'une agression olfactive.

     Un métro qui respire la fraîcheur climatisée quand la canicule frappe en surface. C'en est vivifiant. Ce qui sent bon s'appelle l'hygiène. Des escouades de nettoyeurs et de professionnelles du ménage arpentent en permanence les dédales du monstre insatiable. Hydre apprivoisée qui avale et déglutit le flot ininterrompu des voyageurs en pleine migration pendulaire. Pas de débordement intempestif. Entre la bordure des quais et les voies ferrées, des barrières en verre, garantissent une sécurié maximale. Quand une rame surgit du tunnel attenant, on sait qu'il sera bientôt possible d'étancher une soif ci-devant inextinguible d'exploration. Pour peu que l'on parvienne  à décoller le regard des téléphones à écran fluorescent, se repérer confine au jeu d'enfant. Toute une mégapole à inventorier au gré de lignes en perpétuelle expansion. Ponctuées de stations à décoration thématique selon les quartiers desservis. Aménagement somptueux. Le réseau enfoui de Krungthep Mahanakorn est aujourd'hui une incroyable toile d'araignée. Panneaux électroniques et bandes sonores en thai et en anglais portées par des voix orientales ingénues et doucereusement aigrelettes, le dépaysement est garanti malgré l'omniprésence des technnologies automatisées.

     Quant aux passagers, Thaïs comme allogènes, ils sont respectueux de leurs congénères au moment d'entrer dans le wagon. Pas de bousculade. Tous en rang d'oignons. Chacun son tour, sans griller la politesse au voisin. Même urbanité quand il s'agit de s'extraire de la carlingue longiligne pour glisser à petits pas feutrés vers les escaliers roulants et les ascenseurs. Les annonces d'hôtesses invisibles, que l'on devine délicates et graciles, empruntent une ribambelle de haut-parleurs nichés dans les anfractuosités des plafonds aussi hauts que des jardins suspendus. Ces filets de voix sont presque des confidences chuchotées à l'oreille du visiteur éberlué de tant d'attention. Leur tessiture acidulée est une pérégrination en soi.

     En enfourchant le " rot fai tai din " ( prononcer rotte faye ta-ï dine ) ( MRT) on expérimente une forme de plaisir très aigu à sillonner la ville géante. En l'abordant par ses bas fonds. C'est un voyage dans le confort d'entrailles étonnamment débonnaires. Reste que cet écosystème industriel atteint une efficacité chirurgicale. Millimétrée. Pour être un voyageur réjoui et comblé, je l'affirme sans ambages : Descendre dans les tréfonds du " Bangkok subway " est un parcours de texture intimiste.

Patrick Chesneau

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