La créolisation, ou l’art de forger une arme rhétorique

Clément Viktorovitch ("France-Info")

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Tous les jours, Clément Viktorovitch décrypte les discours politiques et analyse les mots qui font l'actualité.

On dit souvent que la parole est une arme. Mais si tel est le cas, si les mots sont des lames permettant de pourfendre ses adversaires, comment sont-ils forgés ? le concept de "créolisation", dont parle en effet Jean-Luc Mélenchon depuis plus d’un an maintenant est un concept ancien. Il est investi dans le courant du 20è siècle pour désigner le processus qui a permis l’émergence de cultures communes dans les îles des caraïbes, où cohabitaient colons européens et esclaves africains. Mais il a pris, sous la plume du poète Édouard Glissant, une portée plus générale. C’est ce que Jean-Luc Mélenchon lui-même explique lundi 3 janvier sur France Inter. "La créolisation qu'est-ce ça veut dire, questionne le leader de la France Insoumise, candidat à l'élection dprésidentielle. Des cultures s'interpénètrent et produisent quelque chose ,dit le poète, d'innatendu. Quelque chose plaît à tout le monde et ça crée culture." 

Voilà donc l’idée même de la créolisation : dès lors que des cultures différentes cohabitent en un même endroit du monde, elles contribuent à créer une nouvelle identité. C’est ce qui amène Jean-Luc Mélenchon à dire que, en France, la créolisation serait une réalité depuis longtemps déjà. "La créolisation n'est au programme de personne et pas dans le mien. Ce n'est pas un programme la créolisation, c'est une réalité. En 1950 , un Français sur dix avait un grand-père étranger. Aujourd'hui, c'est un sur quatre. Par conséquent le mélange de nos populations produit quelque chose." Pour Jean-Luc Mélenchon, la créolisation est un fait. Il n’y aurait donc pas lieu de la déplorer, pas plus que de s’en réjouir : tout ce que nous pourrions faire, c’est la constater. 

S'opposer à l'idée "d'assimilation"

C'est une manière de s'opposer à l'idée "d'assimilation" mise en avant par plusieurs candidats à l'élection présidentielle, au premier rang desquels Éric Zemmour. C’est ce qui est intéressant à analyser. Quoi qu’on en pense, qu’on soit séduit ou répugné par le concept "d’assimilation", le fait est qu’il est une arme rhétorique puissante, parce que simple. Toute l’idée de l’assimilation peut être résumée en une phrase : "Notre identité est ancestrale : ceux qui désirent vivre en France doivent être prêts à adopter toute la culture française, et seulement la culture française".

Jusqu’à présent, pour s’opposer à l’assimilation, seuls deux mots existaient. "L’intégration", à laquelle tout le monde souscrit, mais à laquelle il est difficile de donner une définition concrète, au-delà de respecter les lois françaises. Et, surtout, le multiculturalisme, qui désigne les sociétés où plusieurs groupes vivent côte-à-côte, tout en conservant chacun leur propre culture. Mais, dans notre République universaliste, une et indivisible, une telle idée soulève de grandes réticences.

Deux visions différentes

L'attrait exercé par le concept d'assimilation peut s'expliquer par l'absence d'un concept alternatif suffisamment attractif pour penser notre identité. Et telle est précisément la force du concept de créolisation. D’ailleurs, Jean-Luc Mélenchon le dit explicitement. "Ce n'est pas vrai que les uns sont en train d'écraser les autres. Quel est le jeune aujourd'hui qui renonce aux rythmes africains, aux rythmes créoles, aux rythmes caribéens. Qui ? Personne, nulle part. Le monde dont rêve monsieur Zemmour et quelques autres est un monde fou, enfermé, réduit, rabougri. La puissance de la France, c'est d'être justement une capacité de création." Pour Jean-Luc Mélenchon, l’assimilation est impossible, et la créolisation est à la fois souhaitable et inéluctable. Pour Éric Zemmour, la créolisation est inadmissible, et l’assimilation indispensable. Le premier adopte un point de vue descriptif : voilà réalité telle qu’elle est, que cela nous plaise ou non. Le second défend un modèle normatif : voilà la réalité telle que nous voudrions qu’elle soit, quel qu’en soit le prix à payer. 

Laquelle de ces deux visions est la plus convaincante ? Cela, les françaises et les français en décideront, en avril prochain. Mais ce qui paraît intéressant, c’est de constater que nous avons désormais, ici, un authentique clivage politique. Deux visions de la France s’affrontent, portées par deux concepts en tous points opposés. C’est la preuve que la rhétorique n’est pas qu’une affaire de forme. Gagner la bataille des mots, c’est aussi, parfois, emporter véritablement la guerre des idées. 

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