5. En marge de la mission : un séminaire sur Joseph Zobel à l'Alliance Française de Nagoya
[1. Alliance Française de Nagoya et annonce du séminaire Zobel]
L'étape de Nagoya a permis de recréer, au Japon, la rencontre aussi fortuite qu'improbable du trio de chercheurs en littérature Matsui-Nakajima-Scheel, qui a eu lieu le vendredi 13 septembre 2024 aux Archives de la CTM à Fort-de-France, lors de la conférence d'Hiroshi Matsui sur La Rue Cases-Nègres de Joseph Zobel, roman qu'il avait traduit en japonais. Dans l'assistance se trouvait Toshié Nakajima qui allait elle aussi intervenir aux Archives de la CTM, le lundi suivant, pour y présenter la Bibliothèque Lafcadio Hearn, conservée à l'Université de Toyama où elle enseigne. Cette rencontre en Martinique a créé un mini réseau avec les chercheurs japonais intéressés par la littérature antillaise, notamment avec des traductrices japonaises d'oeuvres de Simone Schwarz-Bart ou de Maryse Condé, rencontrées en Guadeloupe lors du colloque « La fin et le commencement, hommage au cycle antillais de Simone et André Schwarz-Bart » en octobre 2024.
Or, pour revenir au Japon, Nagoya – où Hiroshi Matsui enseigne le français à l'Université Kinjo Gakuin – se trouvant à mi-chemin entre Matsué et Tokyo, d'où je devais repartir vers la France, c'est avec plaisir que j'y avais proposé une escale. Après tout, je m'étais aussi penché sur Zobel, dont j'ai notamment publié les premiers contes et reportages parus en Martinique, dans un ouvrage intitulé La Forge de Zobel (Paris, Scitep éditions, 2018). Grâce à ses contacts locaux, Hiroshi Matsui a pu programmer une manifestation à l'Alliance Française, et Toshié Nakajima a fait les réservations de train et d'hôtel nécessaires pour la réaliser. C'est ainsi que j'ai pu découvrir la quatrième ville la plus peuplée du Japon, dont la densité urbaine était bien plus similaire à l'immense Tokyo qu'aux presque bucoliques Toyama ou Matsué ! Arrivés à la gare centrale de Nagoya vers 18h, Toshié Nakajima m'a expertement guidé dans les couloirs bondés du métro, pour rejoindre l'hôtel dans un quartier proche de l'AF, où elle a aussi trouvé un petit restaurant très sympathique pour notre dîner – même si le repas a exigé quelques contorsions de ma part, sur le tatami... Le matin, j'ai eu le temps de faire une promenade dans un petit parc du voisinage et de réviser mes notes, avant de partir à l'AF avec mon guide et nos valises – en taxi, car il pleuvait des cordes. Nous avons trouvé Hiroshi Matsui pour déjeuner ensemble, tous les trois, dans un café du voisinage.
[2. Les trois intervenants du séminaire Zobel]
À l'AF, nous avons été reçus par la directrice, Dorothée Rihal, et la chargée des événements culturels, Yuriko Hoshino, dans une salle de cours où attendaient une quinzaine de personnes. Après la présentation par la directrice – en français, avec traduction en japonais – des trois invités du séminaire, Hiroshi Matsui a pris la parole – en japonais, avec traduction française chuchotée par Toshié Nakajima aux oreilles du trio non familier de cette langue, dont je faisais partie.
Le conférencier a commencé par expliquer le thème en deux volets du séminaire, puis évoqué la société de plantation de la Martinique des années 1930, que le roman de Zobel, La Rue Cases-Nègres, et surtout son adaptation filmique par Euzhan Palcy, a grandement popularisé dans les années 1980.
[3. Zobel et Matsui : de Rivière-Salée à Nagoya]
Il a aussi présenté le parcours de l'écrivain Zobel et montré à l'écran une interview de l'écrivain, trouvée en ligne, avant d'évoquer les difficultés de traduction en japonais, que certains passages du roman – et notamment les mots créoles – lui ont posées. Pour finir, il a mentionné les deux conférences qu'il a faites en Martinique en septembre 2024, dans lesquelles il soulignait, qu'au-delà des aspects autobiographiques, dans La Rue Cases-Nègres, Zobel montrait plus de sympathie avec le monde rural des travailleurs qu'avec celui de la bourgeoisie de Fort-de-France qu'il avait découvert, une fois inscrit au lycée.
[4. Couvertures des romans de Zobel discutés au séminaire]
Après avoir répondu à quelques questions du public, Hiroshi Matsui m'a cédé la parole, et mon intervention a surtout eu comme objectif de montrer comment le départ de Zobel pour Paris en 1946 allait lui permettre, à trente-et-un ans, de quitter la Martinique pour la première fois, et de découvrir la métropole française à un moment charnière. En effet, l'inauguration de la IVe République et la création de l'« Union française » se sont traduites, notamment, par la valorisation des productions culturelles des quatre « anciennes colonies » (dont la Martinique), devenues départements d'Outre-Mer. Ainsi le premier roman de Zobel, Diab'la, rédigé à Fort-de-France en 1942, allait être publié à Paris par les Nouvelles éditions latines dans la Bibliothèque de l'Union Française, et être exposé au Salon du livre, alors que Zobel se mettait à rédiger La Fête à Paris, publié en 1953. J'ai expliqué que, dans ce nouveau roman semi-autobiographique, José Hassam, le protagoniste de La Rue Cases-Nègres, découvrait la capitale et y rencontrait des représentants d'autres (ex)colonies françaises, alors que les combats anti-colonialistes se multipliaient dans le monde.
J'ai aussi illustré mes propos en montrant quelques photos, prises dans l'espace Zobel créé à l'Éco-Musée de Rivière-Pilote, comme celle où Zobel serre la main du Président français visitant le Salon du livre de 1950, ou celle de Zobel visitant la vraie rue cases-nègres au Petit-Bourg de son enfance, lors de son premier retour en Martinique en 1959, avec sa femme et ses enfants, alors qu'ils vivaient déjà depuis deux ans au Sénégal.
[5. Deux photos de Zobel conservées à l'Éco-Musée de Rivière-Salée]
Plusieurs questions concernant la Martinique pendant la Seconde Guerre mondiale ont été posées – et traduites par Toshié Nakajima, comme mes réponses. J'ai notamment évoqué le travail de Zobel comme attaché de presse du gouverneur Ponton, nommé en 1943 par le gouvernement en exil d'une France « libre », alors qu'en Métropole régnait encore le pétainisme. Le séminaire a été clos à 16h par les remerciements de la directrice de l'AF, et par les nôtres pour son accueil de la manifestation.
Puis il a fallu partir, tous les trois, à pied sous une pluie battante, jusqu'à la station de métro à quelques centaines de mètres, pour rejoindre la gare centrale de Nagoya, où nous sommes arrivés à l'heure de pointe, un samedi soir. Je n'ai jamais vu autant de voyageurs en un seul lieu de ma vie – ni à Paris, ni à Londres, ni à New York, ni au Caire ou à Istambul – et reste encore sidéré de l'extraordinaire maîtrise avec laquelle ces milliers de personnes négociaient leurs chemins dans les halls et les couloirs, au centimètre près, sans se heurter. Il va sans dire que, sans mes deux guides japonais, je n'aurais jamais attrapé le train prévu pour Tokyo-Haneda. Grâce à leur expertise, nous avons même eu le temps de prendre un dessert et une boisson dans un salon de thé très chic au dixième étage d'un grand magasin, Place de la gare, avant de nous séparer dans le hall. Toshié Nakajima repartait à Toyama, alors qu'Hiroshi Matsui rentrait chez lui en banlieue : le programme de ma mission était accompli.
[6. De Nagoya à Tokyo]
Épilogue
J'avoue avoir été soulagé de quitter l'environnement si urbain de Nagoya, tout en me doutant que celui de Tokyo, où le Shinkansen me déposait quelques heures plus tard, ne le serait pas moins. Il m'a encore fallu prendre un train régional sur un quai battu par la pluie, pour enfin descendre à l'aéroport de Haneda, où j'avais réservé une chambre dans un hôtel situé en bordure du Terminal 3. Il était 21 heures. Il n'y avait aucun comptoir de réception, mais des appareils : ma « clef » électronique m'a été remise par une borne de distribution comme dans le métro et, en sortant de l'ascenseur au cinquième étage, je me suis trouvé devant le plus long couloir d'hôtel de mon expérience de voyageur. J'ai dû pousser ma valise jusqu'à l'avant-dernière porte, à gauche... Pas âme qui vive, ni bruit quelconque.
Une fois installé dans une grande chambre impeccable, avec deux grands lits et un grand écran de télévision muni d'une télécommande incompréhensible, je n'avais pas la moindre envie de ressortir pour trouver à manger. J'ai pu dormir quelques heures sans problème, car la fenêtre était si bien isolée que je n'ai jamais entendu d'avion décoller, ni pu voir autre chose que quelques camions passant sur un pont jeté au-dessus d'une autoroute, sous la pluie. Réveillé dès cinq heures, j'ai quitté la chambre sans rencontrer personne avant de mettre ma clef électronique dans la borne « checking-out » du rez-de-chaussée, qui a émis un feu vert pendant que, juste à côté, une hôtesse en uniforme bleu marine faisait un sourire et une courbette : mais était-ce une créature de chair, de carton, ou de rêve ?
Au terminal, l'efficacité des employés était remarquable. Une fois ma valise enregistrée et les formalités de douane et de sécurité accomplies, j'ai pu prendre un petit-déjeuner mi-américain mi-japonais dans un petit restaurant déjà ouvert, et acheter quelques menus souvenirs, non loin d'un espace de méditation qui surprend, pour être construit dans le style des temples traditionnels sur une mézanine dominant des comptoirs d'enregistrement hyper modernes. Et je dois avouer que, décidément, comme Lafcadio Hearn, c'est ce vieux Japon des estampes que je préfère.
Dans l'avion de Paris – bondé, malgré quatorze heures de vol annoncées – ma jeune voisine japonaise à gauche parlait assez bien l'anglais. Avec deux amies, elle partait découvrir notre capitale. Et elle s'appelait... Youma – comme l'héroïne martiniquaise du roman qui m'avait fait découvrir Lafcadio Hearn !
[7. Dernières images du Japon à Tokyo-Haneda]
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...un Coran ni une Torah... Mais commenter un article ancien est-il interdit ?... Lire la suite
...article paru en octobre 2024 ? Lire la suite
...sériyé on ti moman... On bagay sériyé ki la wi! Lire la suite
...et apprendre. Lire la suite