On ne présente pas Raphaël Confiant, l’un des chefs de file du mouvement littéraire de la créolité aux Antilles depuis les années 1980. Il est l’auteur d’une cinquantaine d’ouvrages, dont romans, essais, mémoires. Dans son nouveau roman, Le bal de la rue Blomet, paru cette année, aux éditions Mercure de France, le romancier raconte à travers les destins croisés de trois exilés martiniquais à Paris pendant les années folles, le devenir de son île. La véritable héroïne de ce roman est peut-être la musique antillaise qui connaît pendant ces années un succès inattendu auprès du public parisien d’anonymes et de célébrités qui cherchant dans les rythmes endiablés de biguine et de mazurka créolisée, l’oubli des nuages qui s’amoncellent dans le ciel de l’Europe. Au cœur du récit, le cabaret de la rue Blomet où officiaient des musiciens martiniquais de génie et où se côtoient Noirs, Blancs, métis, intellectuels, ouvriers, oubliant le temps d’une danse les frontières invisibles qui les séparent. Entretien.
RFI : Raphaël Confiant, d’où vient la musique biguine dont vous avez réuni dans votre nouveau roman des amateurs et des passionnés ?
Raphaël Confiant : La biguine, c’est une musique extraordinaire, qui est née dans la ville de Saint-Pierre à la Martinique et qui résulte d’un mélange de rythmes africains et de rythmes européens. Cette musique a failli disparaître parce que le 8 mai 1902, le volcan appelé Montagne Pelée, a explosé, et a détruit la ville de Saint-Pierre de la Martinique où la biguine était née et s’était développée. Les survivants ont pu l’emmener à Fort-de-France et ensuite l’ont emmenée à Paris, en France.
Lorsque la première Guerre mondiale de 1914-1918 a éclaté, de nombreux soldats antillais sont partis faire la guerre soit en Europe, soit sur le front d’Orient, c’est-à-dire en Turquie. Au cours de ces années, des travailleurs antillais sont venus aussi dans les usines automobiles Peugeot et Citroën, qui se trouvaient à l’époque dans Paris intra-muros. Il y avait aussi un certain nombre de femmes antillaises qui étaient arrivées en France pour exercer des métiers de servantes, de nounous, de dame de compagnie. Tous ces immigrants se retrouvaient dans le bar de la rue Blomet, à Montparnasse, et ils y dansaient à corps perdu sur fond de biguine, de valse et de mazurka.
Ce bar était devenu célèbre parce qu’un grand poète français, Robert Desnos, qui habitait dans la même rue, avait fait un article dithyrambique expliquant combien cette musique était extraordinaire. À la suite de la parution de l’article, le Tout-Paris, écrivains, artistes, musiciens, peintres, comédiens ont déboulé à la rue Blomet, de même que les sœurs Nardal, qui étaient des intellectuelles antillaises, des premières diplômées de la Sorbonne, d’origine martiniquaise. Elles sont aujourd’hui reconnues comme les précurseurs du mouvement de la négritude. Donc, le bal Blomet est vraiment un élément très important de l’identité antillaise. Notre mémoire, elle n’est pas seulement insulaire. Elle est aussi en Guyane, au Venezuela, aux États-Unis, au Panama, et s’agissant du bal Blomet, elle est aussi à Paris.
Votre roman Le bal de la rue Blomet fait partie du cycle romanesque que vous qualifiez de « comédie créole ». Faut-il entendre « comédie » dans le sens de « comédie humaine » de Balzac ou dans le sens de récit historique ?
Il y a effectivement l’influence de Balzac, mais je pensais aussi à des archives, à la mémoire de la communauté antillaise, une communauté dont l’avènement est lié à des crimes historiques aux conséquences tragiques. Premier crime : le génocide des Amérindiens et le deuxième crime, la mise en esclavage des Africains. Ce sont les deux piliers historiques sur lesquels se fonde l'identité antillaise. Les Antilles sont des sociétés blessées, qui ont besoin en permanence de se reconstruire et qui ne cessent d’avoir de nouvelles populations.
Après l’abolition de l’esclavage en 1848, les planteurs blancs ont fait venir des travailleurs sous contrat en provenance du pays tamoul, du Sud de l’Inde, des Chinois de Canton, des Congolais et, à la fin du XIXe siècle sont arrivées des populations du Moyen-Orient, du Liban, de la Syrie ainsi que de la Palestine. Toutes ces cultures se sont entrechoquées, mélangées pour former une espèce de culture mosaïque, kaléidoscopique. On peut dire que la culture créole est une préfiguration de ce que l’on appelle aujourd’hui la mondialisation. Cette préfiguration date de trois siècles déjà. Quant à la « comédie créole », il ne faut pas l’entendre dans le sens d’amusement ou de légèreté. Il y a du rire dans cette société, mais c’est un rire qui est marqué par la souffrance, par la violence. Mon travail de romancier a consisté à plonger dans les entrailles de cette culture créole pour essayer d’en tirer au plan littéraire une expression de cette culture qui soit compréhensible non pas seulement par les Antillais, mais dans le monde entier.
Raphaël Confiant publie son roman « Le bal de la rue Blomet » aux éditions Mercure de France © Jean-Claude Gisbert Opale Leemage
Il faut qu’elle soit compréhensible pour être mieux acceptée ?
En effet, il faut savoir que la langue et la culture créoles ont été toujours méprisées et ce n’est que depuis vingt ans que l’on enseigne le créole à l’école, par exemple. Le mépris colonial a frappé les Noirs, ensuite les Indiens. C’est pour ça que Jean Bernabé, Patrick Chamoiseau et moi-même, nous avions publié en 1989 L’Éloge de la créolité (Gallimard). Il nous avait semblé important de faire cet éloge pour faire comprendre à la population que la créolité participe de la dynamique de la société martiniquaise, mais malheureusement, jusqu’à aujourd’hui, elle n’est pas encore pleinement reconnue, y compris par les Martiniquais eux-mêmes. C’est ça le paradoxe.
Pour être pleinement reconnue, la créolité n’a-t-elle pas besoin de trouver son idiome propre ? L’affirmation de la culture créole, ne passe-t-elle pas par l’invention d’une langue créole, imprégnée des valeurs propres à l’être créole ?
Cette langue existe. Elle a été inventée entre 1625 lorsque les Français débarquent aux Antilles dans l’île de Saint-Christophe et 1665, lorsque la culture de la canne à sucre arrive. La langue créole, elle s’est créée en cinquante ans ; elle a progressé dans le mépris, dans le déni, parce que les colonisateurs la méprisaient et les gens qui étaient colonisés ont (eux) intériorisé le mépris de la langue, tout en continuant à la parler tous les jours. J’ai écrit mes cinq premiers livres en créole. J’ai voulu rendre hommage à cette langue. La langue créole, elle est l’élément fondamental de notre culture. C'est pourquoi j'ai écrit mes cinq premiers livres en créole, afin de rendre hommage à cette langue. En tant que professeur d'université, je me suis battu avec des collègues pour créer une licence et un master de créole. Depuis 2008, sous la pression des militants, l'État a créé un Capes de créole et une agrégation de créole depuis 2020. Nous sommes aussi conscients que le créole n'est pas le seul élément linguistique de notre culture. Désormais, le français est aussi notre langue. Il l'est devenu au fil de l’Histoire, alors qu'il n'était pas la langue de nos ancêtres esclaves. Nous avons le devoir de défendre nos deux langues qui sont le créole et le français. C’est ce que j’ai fait tout au long de ma vie.
Le bal de la rue Blomet, par Raphaël Confiant. Editions Mercure de France, 269 pages, 21 euros.
"National" au sens "national Mquais". Ça va sans dire, mais ça va mieux en le disant...
Lire la suite...mè "dannsòl".
Lire la suiteSi on vous comprend bien, MoiGhislaine, le charbon de Lorraine devrait, pour reprendre votre expr Lire la suite
Je crains que vous n'ayez mal compris cet article. A moins que ce ne soit moi qui me trompe. Lire la suite
Il faut être un sacré farceur pour faire croire aux Martiniquais qu'un deuxième Cuba est possible Lire la suite