"God Loves Haïti" : le tremblement de terre de 2010 vu d’en haut

Alors qu’Haïti vient de commémorer la bataille de Vertières – le 18 novembre 1803, les troupes de Napoléon capitulent, ouvrant la voie à l’indépendance – un premier roman propose une approche religieuse et géopolitique de l’île. Paru aux États-Unis en 2015, en finale du Prix PEN/Open Book en 2016, « God Loves Haïti » de Dimitry Elias Léger vient d’être traduit en France.

12 janvier 2010. La terre tremble en Haïti durant 35 secondes. Le bilan est terrifiant. 300 000 morts, autant de blessés. Ce drame a inspiré nombre de romans par la suite. Dany Laferrière, Yanick Lahens, Makenzy Orcel, mais aussi James Noël, Laurent Gaudé ou Louis-Philippe Dalembert, beaucoup d'écrivains ont écrit sur ce profond traumatisme. On pourrait se dire à propos du livre de Dimitry Elias Léger : un de plus. Mais on remballe vite ce jugement hâtif quand on a lu God Loves Haïti. Car si l’intrigue a bien pour cadre une fois encore les lendemains du « goudougoudou », ce mot donné par les Haïtiens à la catastrophe, jamais un tel point de vue n’avait encore été adopté. C’est à travers les yeux du président de la République haïtienne, de sa femme et de l’amant de celle-ci, mais aussi ceux du président des États-Unis et même de Dieu, qu’est appréhendé l’évènement. Avec une bonne dose d’humour et d’amour pour son pays, Dimitry Elias Léger a choisi le regard d’en haut pour embrasser le désastre de la rue.

Le cataclysme, cet ancien journaliste l’a connu de près puisqu’il s’est précipité au chevet des siens sitôt son annonce. Alors établi aux Etats-Unis, il officie pour l’ONU qui le missionne et reste huit mois à sillonner les camps, chargé essentiellement de veiller à la protection des femmes et des fillettes. Sa famille, sur place, est miraculeusement indemne. De retour à New York, il couche sur le papier son roman tiré de son expérience. « Un jour, j’ai visité le camp de réfugiés géré par Sean Penn raconte-t-il. En sortant, j’ai croisé une fille qui s’appelait Patricia. Elle était la fille du président de la République, de René Préval. Comme tous les Haïtiens qui ont survécu au séisme, elle m’a raconté son histoire. Elle était dans le Palais national quand c’est arrivé et a mis trois jours avant d’en sortir. J’ai compris alors pourquoi, le temps qui a suivi la catastrophe, Préval était resté muet, un silence qui lui a été reproché : il s’inquiétait simplement pour sa fille ! Comme n’importe qui d’autre. J’avais mon histoire. »

Petit président, puissants Américains

Fauchée sur le tarmac, Natasha, la première dame du roman, mariée par intérêt pour fuir la misère, en réchappe et se lance à la recherche de son amant. Également sain et sauf, le président, lui, porte secours aux habitants et dévoile sa part d’humanité. Un dirigeant finalement sympathique malgré ses défauts, capable de dévouement. Doté d’un master passé à Harvard en développement durable et économie internationale, notre auteur s’intéresse aux hommes politiques, à la vie des présidents et des rois. « En littérature comme au cinéma, celui qui incarne un président africain ou haïtien a souvent le visage du monstre, regrette Dimitry Elias Léger. Mais on a tous plusieurs facettes, on peut passer de vilain à saint dans une même journée ! Comment être père, mari, fils, et en même temps gérer son pays ? Il y a trop peu d’écrits sur la question. »

En tant que représentant de l’ONU, l’écrivain fréquente les parlementaires, navigue dans la sphère des décideurs, parfois loin des préoccupations haïtiennes. Dans God Loves Haïti, il croque avec dérision les arcanes du pouvoir et la solitude de ce petit président haïtien confronté aux tout-puissants Américains. À l’instar de cette scène où le chef de l’État est convoqué dans le sanctuaire des Nations Unies pour répondre aux questions du président des États-Unis : « Comment ça se passe, en bas ? Mal, répondit le président. Mal, genre Katrina ? Mal, genre Hiroshima. Putain, dit l’Américain en se frappant la cuisse (…) Nous sommes prêts à nous occuper de vous. Nous sommes des humanistes après tout. Il nous faudra deux ou trois trucs, en échange ».

Haïti pantin, Haïti dont le destin ne se monnaie pas en tout bien tout honneur, c’est tout le cynisme de cette diplomatie de l’ombre qui éclate. Est-ce cette ingérence qui fait le drame d’Haïti ? « C’est le drame du monde entier, objecte Dimitry Elias Léger. Les pays à la tête de l’ONU détiennent la majorité des ressources de la planète. Plus on s’éloigne géographiquement des frontières de ces pays riches, plus on souffre et plus on est exploité. On ne peut rien faire contre cette mainmise mais on peut négocier. Certains pays du Sud négocient bien avec le Nord comme la Jamaïque, la Barbade, les Bahamas ou la République dominicaine. D’autres, comme Haïti ou Cuba, entretiennent les frictions, c’est rancunier, combatif. Ça souffle des deux côtés. »

Ironie mordante

Un autre souffle le chaud et le froid dans ce roman. C’est Dieu lui-même. Il y a d’abord ce ciel, omniprésent, dans lequel l’avion présidentiel ne parvient pas à s’envoler, stoppé par le séisme. Mais dans lequel atterrit Alain, athée, propulsé par les secousses avec sa voiture en haut d’un arbre. Il y a cette cathédrale qui offre l’asile à Natasha dans sa course éperdue à travers la capitale Port-au-Prince pour retrouver son amant. Tantôt Dieu déteste Haïti, comment sinon aurait-il plongé l’île dans un tel cataclysme ? Tantôt il l’aime, preuve d’amour ultime ainsi justifiée par le prêtre qui recueille Natasha : « Goudougoudou était un test. Voilà tout. Un test. Tu as bien lu la Bible. Tu sais que Dieu fait subir les pires épreuves aux personnes qu’il aime le plus (…) c’est une occasion rare de repartir à zéro. »

Rappelant que les catholiques gèrent le pays et le dominent depuis longtemps, Dimitry Elias Léger a voulu camper ce milieu catholique et y faire évoluer ses personnages, étonné de voir les Occidentaux préférer le côté vaudou de l’île, sans doute plus exotique. Il considère la création de l’ONU et sa Déclaration universelle des droits de l’homme en 1948 comme une manière séculière de « travailler pour le bien être des vulnérables sans nommer Dieu. Avant, seule l’Église catholique accomplissait ce travail. »

Doué pour passer d'un registre grave à la légèreté, notre romancier sait aussi orchestrer la foi avec une belle ironie et elle vaut à ce livre une remarquable séquence. Dans un songe du président, Saint-Pierre reçoit à la porte du Paradis les quelque 40 chefs d’État haïtiens, depuis le premier, Jean-Jacques Dessalines, jusqu’à François Duvalier, les confrontant à leur vanité de s’être pris pour Dieu. Un « Jugement dernier » impitoyable et désopilant.

« God Loves Haïti » de Dimitry Elias Léger, traduit de l’anglais par Patrick Imbert, Caraïbéditions, 312 pages, 19,50 €.

Salon du livre haïtien 2021 8eme édition, du 4 au 5 décembre, mairie du XVe, Paris. 

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