On entend par massacre l’action de tuer une quantité importante de personnes — au moins une dizaine — qui ne sont pas en pouvoir de se défendre. Quand un massacre est perpétré dans l’objectif d’exterminer un groupe humain, on parle de génocide.
L’histoire de l’humanité regorge de massacres qui ont été commis dans presque tous les pays pour plusieurs raisons : ethniques, nationales, religieuses, politiques ou raciales. Tandis que les génocides sont plus rares. Les génocides les plus récents qu’on a retenus dans l’histoire du monde ont été le génocide arménien qui s’était conclu par la mort d’un million et demi de ressortissants d’Arménie par les Turcs entre 1915 et 1923 ; celui qui été décidé par Hitler contre les Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale qu’on appelle communément Shoah ou Holocauste qui avait conduit à la disparition de six millions de Juifs ; et celui du Rwanda où périrent entre le 7 avril et le 15 juillet 1994 environ 800 000 Tutsis originaires du même pays.
D’après les opinions des auteurs, Haïti aurait connu plusieurs génocides et quelques dizaines de tueries pour des raisons religieuses, politiques, raciales ou foncières. Ce qui fait que ce pays a une réputation de pays de massacres depuis les premiers temps de sa colonisation.
Les pages qui suivent sont une tentative de décrire et d’analyser les massacres qui ont été commis sur la Terre d’Haïti et une approche pour faire prendre conscience aux Haïtiens de rompre avec la politique de massacres qui est malheureusement ancrée dans l’histoire du pays.
Haïti est un pays né dans le sang où le moindre conflit a tendance à se résoudre dans le sang au nom d’une tradition de violence qui s’est transmise de génération en génération. En effet, le territoire a subi d’abord de nombreux massacres des Indiens pendant la période espagnole, qui ont abouti à la disparition des natifs de l’ile. Sous la colonisation française, les massacres étaient légion. De nombreux massacres furent commis également dans le cadre de la lutte entre les groupes raciaux. Après l’indépendance, ponctuée par le massacre des Français, décidé par Dessalines, la porte restait grandement ouverte aux tueries de masse qui étaient devenus une constante des politiques des gouvernements pour la plupart dictatoriaux et en en même temps une des caractéristiques majeures de l’instabilité politique du pays pendant tout le 19e siècle. Les choses n’avaient point changé, sinon empiré au 20e siècle avec les batailles politiques pour le pouvoir, qui avaient atteint un premier pic entre les années 1950 et la fin du 20e siècle, et qui se sont déroulées dans presque tous les points du pays avec tous les records battus par Port-au-Prince qu’Henry Christophe appelait Port-aux-Crimes. Mais, le pire a été observé au cours des trois premières décennies du siècle actuel caractérisé par l’exacerbation des luttes politiques et par un virage vers le banditisme qui atteint actuellement son point culminant avec la pullulation des gangs menaçant de toute évidence le fondement de la « nation ».
De nombreux facteurs expliquent la permanence des massacres en Haïti. Le pays a démarré dans une atmosphère de crimes, de guerres civiles qui se sont succédé pendant les deux périodes coloniales espagnole et française. Pour la première, on sait que ce sont les Indiens qui avaient fait les frais des exactions commises par les hommes qui avaient débarqué à Hispaniola dans le sillage de la découverte de l’île par Christophe Colomb. Pour la seconde, c’était, d’une part, l’ensemble des souffrances et des mauvais traitements auquel les esclaves étaient en proie ainsi que les luttes qu’ils avaient engagées contre leurs conditions. Et d’autre part, les diverses turbulences et les guerres civiles qui avaient émaillé les oppositions et les divergences entre les groupes sociaux de la colonie jusqu’à l’obtention de l’Indépendance.
La violence a été exacerbée très tôt avec les mouvements qui avaient été boostés par :
Il est impossible de recenser pendant la période allant de 1789 à 1804 le nombre de tueries issues des luttes entre les groupes raciaux de Saint-Domingue, encore moins le nombre de morts découlant des batailles entre les troupes des puissances européennes et des batailles qui avaient opposé l’armée française et les indigènes.
À cette époque de pouvoir militaire et de guerres civiles à répétition dans la colonie, presque tous les hommes dans la force de l’âge étaient impliqués dans les guerres entre les armées européennes présentes dans la colonie et les batailles diverses qui s’y déroulaient. Saint-Domingue était devenue un lieu où ne parlait que la poudre immense depuis l’affranchissement général des esclaves décidé par Sonthonax le 29 août 1793 et la distribution en mai 1796 de 30 000 fusils aux nouveaux libres (les anciens esclaves) pour contrecarrer les tentatives des Blancs de Saint-Domingue de livrer la colonie aux Anglais.
1.3 Circonstances des conflits et des massacres en Haïti
Les conflits et les massacres auxquels Haïti a toujours été en proie se sont manifestés sous les formes les plus diverses.
Tantôt des tentatives de coups d’État ou des coups d’État réussis. Dans le premier cas, comme celui qui fut concocté par les membres de l’Assemblée de , qui était un parlement autoproclamé opposé aux réformes de la Révolution française, et qui se prétendait au-dessus du gouverneur général et qui avait voulu imposer la sécession de Saint-Domingue. Cette assemblée était particulièrement remontée contre l’application du décret du 15 mai 1790 qui accordait aux gens de couleur les mêmes droits politiques que les Blancs. Ou encore le coup d’État du 30 septembre 1991 contre Jean-Bertrand Aristide qui a été perpétré par les militaires dont les réactions brutales contre la population avaient provoqué des dizaines de morts et des centaines de blessés. Le général Cédras qui avait pris la tête de la junte allait rester trois années au pouvoir avant le retour de l’ancien président avec les troupes américaines.
Tantôt des soulèvements comme celui qui fut organisé par Ogé et Chavannes, deux chefs de file de la lutte des gens de couleur de la colonie pour l’obtention de l’égalité des droits politiques avec les Blancs. Le premier, qui était l’initiateur du mouvement, avait fondé en France la Société des colons américains. À son retour à Saint-Domingue, il avait dirigé une rébellion appuyée par un groupe de 300 mulâtres dans les montagnes du Nord qui, dans la nuit du 28 octobre 1790, avait parcouru les plantations, menacé les Blancs et pillé quelques habitations. Les choses s’étaient mal terminées pour lui, car, après avoir dû fuir en territoire espagnol, il a été livré aux autorités françaises avec son complice Chavannes et exécuté le 25 février 1791. C’était la fin des espoirs pour les affranchis d’arracher seuls les droits qu’ils réclamaient. Malgré leurs préjugés, ils n’avaient plus que le choix de s’allier avec les esclaves pour voir changer leurs conditions.
Tantôt des massacres comme celui qui avait suivi le soulèvement général des esclaves dans la nuit du 21 au 22 août 1791. Au cours de cette nuit, les esclaves avaient brûlé cinq habitations, massacré les colons, sans épargner les femmes et les enfants. Et pendant une dizaine de jours, ils avaient mis la Plaine du Nord en feu et en flammes. Le décompte était spectaculaire : près de 1000 Blancs assassinés, 161 sucreries et 1200 caféteries brûlées. Et Boukman, le chef de l’insurrection, avait tenté de pousser jusque vers le Cap-Français avant d’être mis à mort par les agents de l’armée coloniale.
Tantôt des rivalités entre les plus hautes autorités militaires de l’ancienne colonie. On ne saurait oublier parmi ces conflits qui ont aggravé la situation sécuritaire de la colonie la Guerre du Sud, connue également connue sous le nom de la Guerre des Couteaux. Ce fut en partie un conflit « racial » qui avait mis aux prises dans la partie sud de la colonie les Noirs et les mulâtres sous le couvert de la rivalité entre André Rigaud et Toussaint Louverture qui se disputaient le contrôle de la colonie de Saint-Domingue après avoir été des alliés en 1794.
En juin 1799, quelques mois après le débarquement d’Hédouville, la guerre du Sud avait éclaté entre Toussaint, soutenu par Jean-Jacques Dessalines,et Rigaud soutenu par Alexandre Pétion et Lamour Desrances, un officier noir qui avait rejoint le camp des mulâtres. Cette guerre avait abouti à l’extermination de près de 10 000 mulâtres du Sud. Après son échec et la prise de Jacmel par les troupes de Toussaint Louverture en mars 1800, André Rigaud avait dû partir pour la France pour ne revenir à Saint-Domingue que trois ans plus tard en 1803 avec les membres de l’expédition Leclerc qui avait vu débarquer 50 000 hommes dans la colonie.
Et tout le reste de l’histoire du pays s’est calqué sur le même fond délétère de violence comme on le vit quotidiennement aujourd’hui avec les méfaits des groupes armés dans l’ensemble du pays.
L’analyse des suites des massacres montre que tout le long de l’histoire, depuis la période coloniale, les auteurs de ces faits ont toujours été impunis à peu d’exception près. Non pas que des actions en justice n’aient jamais été engagées contre eux, mais elles n’ont jamais abouti en raison des complicités dont ont bénéficié les « massacreurs » dans un pays dont le système judiciaire a toujours été très indulgent envers les grands criminels. D’ailleurs, il y a presque toujours les mains des plus hautes autorités ou de réseaux très puissants derrière les massacres les plus importants. On sait que dans certains cas on va abattre les blessés sur leurs lits d’hôpital ou dans « une infirmerie de campagne » comme il en fut pour six adolescents lors du massacre du 17 septembre 1902 en pleine guerre civile entre les firministes et les troupes du gouvernement de Boisrond-Canal. On sait aussi que plusieurs procès avaient été ouverts à la chute de Nord Alexis contre les responsables politiques et militaires de cette tuerie. Mais ils ont tous été graciés. Il en a été de même sous l’Occupation américaine à la suite de l’exécution de 19 prisonniers Cacos à Hinche en janvier 1919 sur ordre du capitaine américain Lavoie. Bien que ce dernier ait été accusé de crimes par d’autres officiers américains, sa responsabilité n’a pas été établie par la commission en charge de l’enquête. Mais, ce ne fut qu’une exception sous l’Occupation américaine parce que des milliers de Cacos et d’opposants divers ont été exécutés sommairement pour la plupart dans le Camp de Chabert entre 1915 et 1934.
Un autre cas fut celui de l’ancien général duvaliériste William Régala dont on dit qu’il était le principal boucher des Vêpres de Jérémie et du Massacre de la Ruelle Vaillant. Aucune action en justice n’a jamais été intentée contre lui en dépit de la demande d’extradition que le ministère de la Justice Jean-Bertrand Aristide avait produite auprès du gouvernement dominicain en 1991.
Quelquefois aussi, les juges d’instruction décident de manière tout à fait arbitraire de délivrer une ordonnance de clôture malgré le nombre élevé de chefs d’accusation comme il en fut pour la suite qui a été donnée pour le « Massacre de Piatte » sous le gouvernement d’Ertha Pascale Trouillot en 1990.
Parfois aussi, sous la pression de l’opinion publique, les assassins sont brièvement détenus, comme dans le cas du « Massacre de Jean-Rabel » qui a été perpétré le 23 juillet 1987 sous le général Henry, avant d’être relâchés à la faveur d’une manœuvre spéciale.
Les seules circonstances où les responsables des massacres aient eu à payer leurs forfaits sont les cas où ils ont été lynchés par la population comme il en fut pour Vilbrun Guillaume Sam le lendemain du massacre qu’il avait commandité le 27 juillet 1915 contre 167 prisonniers politiques qui étaient incarcérés au Pénitencier national. Parallèlement, plusieurs des auteurs de ce massacre, soldats et geôliers ont été jugés et acquittés deux années après.
2. Typologie des massacres en Haïti.
Dans ce pays endeuillé de massacres, il est intéressant de tenter une typologie de cette catégorie d’évènements funestes. Selon mes recherches, on peut distinguer à travers nos recherches et nos analyses quatre types de massacres : les massacres de type génocide, les massacres pour cause de conflit foncier, les massacres pour des raisons religieuses et enfin les massacres pour des raisons politiques. C’est cette dernière catégorie qui offre la plus grande diversité.
2.1. Les quatre catégories de massacres pratiqués en Haïti
2.1.1 Les massacres de type génocide
Selon l’historien Michel Soukar, les Américains auraient été responsables, entre 1915 et 1921, de la disparition de 5000 à 15 000 paysans haïtiens qui étaient incarcérés dans le camp de concentration de Chabert.
Il faut ajouter qu’à l’époque « tous ceux qui étaient contre l’Occupation ou qui étaient soupçonnés de rébellion ont été fusillés » et que le sud du pays est le département qui avait payé le plus lourd tribut à la sauvagerie américaine.
On sait que les phases de la pacification étaient particulièrement brutales jusqu’à l’écrasement total des Cacos après la mort de Charlemagne Péralte en 1919 et après celle de Benoit Batraville en 1920. On retient pour cette période quatre massacres rapportés par les historiens, dont deux particulièrement connus : le massacre de Hinche en janvier 2019 qui vit la disparition tragique de 19 Cacos et le massacre des Cayes qu’on appelle aussi massacre de Marchaterre en date du 6 décembre 1929 où furent tués 12 à 22 Haïtiens parmi 5000 manifestants.
Personne ne peut savoir combien des 40 000 Cacos qui combattaient l’armée d’occupation ont été exterminés. De toute façon, le volume considérable de disparitions évoqué par certains historiens correspond à la définition du génocide qui est fondée sur la quantité de personnes tuées dans une communauté.
On ne saurait laisser sous silence le massacre des Haïtiens de 1937 connu également sous le nom de Massacre du Persil, qui avait été perpétré en territoire dominicain sur l’ordre de l’ancien président, Rafael Leónidas Molinas Trujillo. 30 000 Haïtiens qui travaillaient principalement dans les plantations sucrières du pays le long de la rive dominicaine de la rivière Dajabon y avaient perdu la vie entre le 2 et le 4 octobre 1937. Les Haïtiens étaient facilement identifiés comme cibles pendant le massacre parce qu’ils ne pouvaient pas prononcer le mot « perejil » qui signifie persil en espagnol. Ce massacre qui a été surnommé « Kouto a » — le couteau par les Haïtiens, parce qu’il a été exécuté surtout à la machette -, était une action calculée par le président dominicain « pour homogénéiser la population dans la zone frontalière et détruire l’embryon de république haïtienne que décrivaient les autorités dominicaines de l’époque face à l’importance de l’immigration haïtienne dans leur pays ».
2.1.2 Les massacres pour cause de conflit foncier
Les massacres pour cause de conflit foncier qui sont sans doute plus nombreux que ce qui est relaté par l’histoire et dont le plus important est celui de Jean-Rabel perpétré le 23 juillet 1987 sous le gouvernement d’Henry Namphy et qui aurait provoqué plusieurs centaines de victimes (300 selon l’OEA, et 1042 selon l’un des assassins autoproclamés dont le nom est rapporté par Jean-Philippe Belleau dans la « Liste chronologique des massacres commis en Haïti au XXe siècle ». Il y avait aussi le massacre de Gervais dans le département de l’Artibonite (17 janvier 1991), perpétré également sous le gouvernement de Henry Namphy où 12 paysans avaient été tués et 8 portés disparus dans le cadre d’un conflit foncier où plusieurs familles de petits propriétaires terriens en conflit depuis 1973 s’étaient opposées entre elles de manière violente. Aucune enquête n’a été ouverte par la suite.
2.1.3 Les massacres en lien avec des raisons religieuses
2.1.4 Les massacres pour des raisons politiques
Cette catégorie se répartit en quinze sous-catégories :
Conclusion
Haïti a presque toujours été à travers toute son histoire une terre de crimes et de massacres à l’exception d’un petit nombre de présidents qui n’ont pas baigné dans le sang comme ceux de Rivière Hérard et de Nissage Saget au 19e siècle de Michel Oreste au début du 20e siècle ou encore de celui de René Préval dans la période récente. Des massacres surtout pour des raisons politiques en lien avec les rivalités permanentes entre les gouvernements en place et les oppositions dans le cadre de la lutte pour le pouvoir. Le pays a été aussi le théâtre d’au moins quatre génocides depuis celui qui avait provoqué la disparition de sa population originaire, les Indiens jusqu’au génocide des Haïtiens en République dominicaine en 1937 en passant par les tueries massives de Cacos sous l’Occupation américaine et le massacre des Français en 1804. Les massacres pour des raisons économiques, plus précisément foncières, ont été spectaculaires, mais pas très nombreux. Enfin, des massacres à caractère religieux, surtout lors des épidémies de choléra. Le plus grand problème qui se pose de nos jours concerne les tueries perpétrées par les gangs armés, surtout lors des affrontements entre groupes rivaux. Il est temps que les Haïtiens se démarquent de cette culture du crime pour commencer à comprendre qu’ils doivent apprendre à vivre ensemble en frères et œuvrer solidairement pour le développement de leur pays.
Jean SAINT-VIL
Il y a une quatrième raison plus puissante que les trois précédentes réunies. Lire la suite
A quand la continuité territoriale entre Grand-Rivière et Ste Anne ?
Lire la suiteMalgré la rage qui me ronge de voir mon île dévastée par des étrangers venus d'ailleurs qui sont Lire la suite
...cette précision, cela n'a rien à voir avec le fond de l'article. Me semble-t-il...
Lire la suite"National" au sens "national Mquais". Ça va sans dire, mais ça va mieux en le disant...
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