Jouet sombre

Loran Kristian

Lutter,

c’est un peu comme jouer aux cartes, avec en main des couleurs et des formes, et plus ou moins d’atouts. On tient le tout entre les doigts, les yeux fixés sur sa mise tantôt, ou bien sur l’adversaire, soumis à une réserve hormonale qui gére les shoots de dope à « mine » ou « nine ». On passe contrat avec soi-même ou avec partenaire, parfois plusieurs, puis on s’engage dans la bataille. On fait monter la mise, sous la conduite du hasard ou d’une mantique-pays, pour prendre la main ou un paquet de risques. Dos pour dos.

La manière dont sont rangés les plis peut avoir une influence déterminante sur l’issue du corps-à-corps. C’est de cela qu’elle s’agite. De la façon d’agir pour affronter la guerre ou le conflit. Du genre de forces distribuées pour surmonter l’adversité. De ce qui est levé en nombre supérieur ou des points dépliés devant les opposants. Tout ça n’a de sens que si, au bout du compte, la victoire ou la libération sont au rendez-vous. Car en fin, c’est la mesure du chibre qui détermine toujours la valeur de l’effort.

Quand tu exposes les cartes sur la table selon les règles du jeu, c’est souvent celui qui joue le plus fort la plus haute des valeurs qui s’empare de l’ensemble. C’est là « Loi hiérarchique ». Phénomène antique d’ordre et subordination qui enfile dans le temps des boucles de pouvoir. Avec ça, la maîtrise d’une partie. Ce qui permet d’effectuer d’autres levées que l’on place sous des tas. Face cachée, pour avancer dans la bataille avec l’assurance des gens d’armes.  Face visible, quand tu as la puissance pour décider qui lève par suite, ou pas.

La bataille, c’est parfois l’occasion d’acquérir de grosses cartes, comme de gagner un as. C’est parfois l’occasion d’enchères ou surenchères. Et choisir la couleur de l’atout, en parlant chacun son tour, pour passer, ou pour prendre, ou pour jouer sans prendre. Ce qui est presque toujours sûr, c’est que sans bataille, avec en plus l’égalité rare comme la liberté ou la fraternité : difficile de terminer une partie.

Où que tu joues, il y aura toujours des règles droites et des chemins-chiens. Avec nombre de variantes, pour tenir gagner chaque pli avant de les fusionner sous un petit ou un grand tas. Donc tenir compte aussi de la mémoire du placement, en protégeant tes cartes de très grande valeur pour augmenter tes chances, avec en poche un joker que tu serres, comme un bouffon son chapeau à clochettes, pour pas faire trop de bruit.

En vrai, les jeux solitaires ou casse-tête ouvrent-là, devant des joueurs mûris en jeux de société qui s’originent de résistances au pillage, avec une vive collaboration dans la douleur ou la domination, comme dans la soumission. Des jeux de société ensouchés de mécanismes d’affranchissement qui déroulent en combinaisons de mouvements et d’actions, de l’un à l’autre versant ; chez des joueurs qui avancent et qui cherchent à comprendre comment dehors soleil rayonne, malgré qu’en tête c’est la brume.

Les jeux de sociétés modernes utilisent un système de points de vie et de points de victoire. Pour mieux éliminer ou pour mieux faire gagner.  Ils permettent de jauger la puissance ou la présence d'un joueur. Ce sont des sortes d’équivalents universels qui surgissent avec le jeu et disparaissent avec le contrat social momentané qui les a fait naître. En tant que valeur, ils se marchandent parfois sous la table.

Il y a les équipes de joueurs rompus à la maîtrise du terrain, avec le meilleur matériel, des pièces de choix et de belles décorations. Ce sont elles qui fixent les lois du plateau, avant de les inscrire sur fiche réglementaire, que toutes les autres valident comme les règles du jeu. On sait qu’elles ont toujours l’avantage. Mais comme l’important est de participer, on fabrique des pions de consentement avec rire et plaisir. Des pions neutres qui appartiennent tout entier au mécanisme du jeu, avec des formes qui rappellent leurs rôles ou leurs fonctions, et leur manière de bouger. Des pions heureux de jouer.

Le cercle est ici la figure primordiale. Une ligne imaginaire sur laquelle passent les tours. Le temps y file souvent, au grain d’un sablier, pour indiquer le début et la fin d’une action, ou d’une réflexion. Tout ce qui se situe à même distance de ce cercle, dans un espace à trois dimensions, s’organise donc en sphère. Dimension spirituelle, dimension corporelle, dimension poésuelle, unies dans la complexité de ce qui se perçoit, en perspective ou en relief, comme ombrage ou rendu de matière.

Il y a les équipes de joueurs qui partent avec de mauvaises pioches entre les mains, et qui apprennent à faire avec. Sans maîtrise du terrain, elle construisent des stratégies de jeu qui assemblent les forces dispersées ça et là. Sans commerce inutile. Sans besoin de lire dans les yeux de l’autre l’admiration. Rompus à l’exercice comme à l’effort de vivre. Ce sont des équipes qui mesurent bien leur déficit et leur solde négatif. Et qui savent tout bonnement que d’amas de poussière naissent un jour des étoiles, ces bonnes mères du désordre.

Certaines parties peuvent aussi se jouer en plusieurs manches. Avec toujours les mêmes principes, les mêmes règles, les mêmes joueurs, mais parfois des terrains différents. Faire appel à des stratégies nouvelles fondées sur l’influence ou la manipulation, l’adhésion ou le vote, la connaissance ou l’expérience. Des temps de négociation et de gestion des ressources bien calculés. Ce qui permet souvent de se constituer une vraie bonne pioche, une bonne réserve de cartes pour les phases difficiles, les séquences sous tension.

Parfois l’intérêt même du jeu réside dans la découverte de règles ou l’ajout de certaines durant la partie. Il peut y avoir un meneur de jeu qui donne une ou deux explications, mais pour l’essentiel, c’est en jouant qu’on apprend à jouer. Les règles ainsi posées ne prenant corps que dans le monde des idées. Bien évidemment, il faut un socle minimal de règles afin que le jeu fonctionne. Un socle minimal de joueurs. Quelques variantes pour illustrer.

Parfois, il n'y a pas vraiment de vainqueur, ni de perdant, ni de fin de jeu en réalité. Il se poursuit par accumulation de règles, devenant de plus en plus complexe, tant qu'il reste des joueurs prêts à jouer.

 

Loran Kristian, mars 2023

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