La dernière enquête sur la pratique de la langue corse, publiée en 2021, est sans appel : 88 % des interrogés se disent "convaincus de l'importance de sauvegarder la langue". Marceddu Jureczek, auteur, professeur et premier agrégé en langue corse de l'histoire, dresse son bilan sur l'état actuel des pratiques et précise que l'identité corse, définie en majorité par sa langue, est en train de muter.
La dernière enquête sur la pratique de la langue corse, publiée en 2021, est sans appel : 88 % des interrogés se disent "convaincus de l'importance de sauvegarder la langue". Marceddu Jureczek, auteur, professeur et premier agrégé en langue corse de l'histoire, dresse son bilan sur l'état actuel des pratiques et précise que l'identité corse, définie en majorité par sa langue, est en train de muter.
Notre dossier :
En 2021, la collectivité de Corse annonçait dans une étude menée sur 1 500 insulaires que 63 % des interrogés étaient des "locuteurs au sens large". Aujourd'hui, quelle est la tendance ?
L'ensemble des locuteurs de langue corse, passifs ou actifs, régresse d'un point de vue numérique. Mais il y a une différence entre l'espace urbain et l'espace rural. En ville, la démographie augmente par une population venue de l'extérieur, donc non corsophone. À Ajaccio et Bastia par exemple, la langue corse est en érosion continue. Dans les campagnes, il existe un usage régulier du corse puisqu'il y a encore des locuteurs qui ont hérité de cette langue. Évidemment, l'école crée des locuteurs. Mais, ils sont passifs. Ce problème est lié à la structure même de l'enseignement des langues dites régionales en France.
Comme les locuteurs plus âgés disparaissent, il ne reste plus que des générations qui n'ont pas hérité de la langue, ou dans de mauvaises conditions. La diaspora et les mariages intercommunautaires font partie des facteurs à l'origine de la disparition de la langue. Tout comme la volonté de promotion sociale qui passait par l'acquisition du français, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Et comment en vouloir à nos aïeux ? Depuis 2021, on peut donc parler d'un statu quo, voire d'une régression.
"L'enjeu serait de reconquérir les espaces urbains"
À quel point la langue est-elle en danger ?
Dans 25 ans, il existera encore des gens capables de parler corse. Mais je pense sincèrement qu'il ne nous reste plus qu'une génération avant que le corse ne soit plus une langue vivante. Le problème d'une langue, c'est bien le problème du nombre. Ce qui est étonnant, c'est qu'il reste un désir.
Alors qu'on pourrait vivre en Corse sans parler corse, des gens ont encore besoin de l'apprendre et de le parler. Cette langue vient donc combler un vide, celui de l'identité. La langue est une clé pour entrer dans la communauté.
Pourquoi les nouveaux locuteurs, ceux formés par l'Éducation nationale notamment, sont-ils passifs ? Comment pourraient-ils devenir actifs ?
Le corse leur est enseigné comme une langue vivante. Seulement, lorsqu'ils passent la porte de l'école, la langue s'évanouit. Au même titre que l'italien, l'anglais ou l'allemand, c'est une langue étrangère pour eux. L'enjeu serait de reconquérir les espaces urbains. La langue corse a gagné sur beaucoup de terrains ces dernières années. Le terrain culturel, médiatique parfois, et même politique. Le seul que la langue n'a pas conquis, c'est l'économie. Et ce sera le plus difficile puisque la loi du marché se fiche de la langue, tant qu'elle fait de l'argent avec. Il n'y aurait qu'une seule solution, la mise en place d'une politique linguistique publique. Celle-ci fait cruellement défaut malgré la présence des nationalistes à la Collectivité de Corse.
"Les nationalistes parlent beaucoup de la langue corse, mais la parlent peu"
Alors qu'elle est devenue un étendard pour les nationalistes, la langue est-elle pratiquée autant qu'elle est revendiquée ?
Simplement, non. Le rapport entre les nationalistes et la langue est complexe. Longtemps, politiser la langue était considéré comme une erreur. C'est vrai. Mais comment faire autrement ? Par exemple, en 1951, la loi Deixonne autorise l'enseignement des langues régionales. Le corse en est exclu. À l'époque, pas une seule protestation politique corse n'a lieu : évidemment, il n'y avait encore aucun élu nationaliste. Il a fallu attendre les années soixante-dix pour voir la montée en puissance du mouvement nationaliste et, avec lui, des revendications linguistiques. Forcément, il a politisé le rapport à la langue.
Cela dit, c'est vrai que les nationalistes parlent beaucoup de la langue corse, mais la parlent peu. Le concept de nationalisme corse est en train de muter. En vérité, c'est même le concept de l'identité corse qui change.
Avant, une personne corse était un être qui naissait de père et de mère corse, il pratiquait la langue, il connaissait sa lignée et son village. Avec le temps, la modernité, la diaspora, la population nouvelle, tout a changé. Dans les années soixante-dix, le nationalisme met en avant l'idée que l'identité réside dans la culture et la langue. Aujourd'hui, c'est sous-jacent, ce n'est pas dit clairement, mais nous l'avons compris, pour devenir corse, il suffirait de voter nationaliste.
Une identité corse peut-elle exister sans la langue corse ?
Moi, je ne le crois pas. Bien que le concept d'identité ait beaucoup évolué au cours du temps, elle a toujours été le ciment qui unit les personnes. Qu'est-ce qui nous lie, si ce n'est la langue ? La religion ? Non, un Corse peut être athée. L'amour du foot ? Les derbys insulaires finissent en émeute. Il ne nous reste que la langue. Elle n'est pas le seul facteur d'identité, mais il est majeur. La langue offre, à la fois, l'intimité et la communauté. Rinatu Coti dit que " si la société était un corps, la langue en serait son sang ". Et que contient le sang ? L'ADN.
Quel est votre ressenti personnel au sujet de l'évolution de la langue ? Vous sentez-vous utile ?
Aujourd'hui, oui, j'ai un espoir. Si nous sommes un peu têtus et que nous ne renonçons pas, le corse perdure. Personnellement je pense avoir joué mon rôle. Je me suis toujours adressé à mes enfants en corse. Pendant l'adolescence, eux ne me répondaient qu'en français. J'ai bien été tenté de les obliger. Et puis, j'ai renoncé, je ne voulais pas vivre dans le conflit. Cela dit, je n'ai pas abandonné, j'ai continué à leur transmettre la langue. Aujourd'hui, un de mes fils est en étude de langue et culture corses à la faculté de Corte, et les deux sont bilingues.
Qui est le locuteur passif ?
Il est capable de comprendre la langue, mais n'est pas en mesure de l'employer. Soit par honte, soit par peur, parfois les deux. Les gens disent souvent "j'ai toujours entendu parler corse, mais moi j'ai honte de le parler". Les Catalans appellent ça la haine de soi, c'est un des effets de la diglossie : on complexe d'utiliser une langue minorée. À cela s'ajoute, la peur de se tromper.
Qui est le locuteur actif ?
C'est celui qui est en mesure de lire, écrire et employer la langue, et qui le fait.
Marceddu Jureczek est le premier professeur agrégé de corse de l'histoire.
Alain Pistoresi
Votre arabophobie et vos changements incessants de pseudos pour pouvoir poster vos commentaires s Lire la suite
Je suis frappée par le peu d'enthousiasme que manifestent les media martiniquais (en général, si Lire la suite
Cette situation n'est absolument pas étonnante :au delà de cet exemple pris en France, il ne faut Lire la suite
En deux occasions, j'ai eu un sentiment ressemblant, mais heureusement de façon fugace. Lire la suite
..tu fais ce genre de confusion :même un mauvais élève de sixième ne confondrait pas Non-Blancs e Lire la suite