Même sans évoquer la dette de l'esclavage...

  Sur ce site, un article récent s'élève contre les propos d'une conseillère exécutive martiniquaise affirmant que nous vivons "de l'argent de la France".

 L'argumentation développée par l'auteur s'appuie sur ce que l'on pourrait appeler "la dette de l'esclavage". Selon lui, la France serait débitrice envers les Martiniquais à cause de presque 3 siècles de salaires impayés. Elle le serait aussi, de 1848, date de l'Abolition de l'esclavage, à 1946, date de la transformation de la Martinique en "Département d'Outre-mer, parce que d'une part, les anciens esclaves, devenus ouvriers agricoles, étaient sous-payés et que, de l'autre, la balance commerciale de l'île était excédentaire. Et l'auteur de conclure que c'est à dater de 1946 seulement que nous avons commencés à être dépendants de la France.

 Rien n'est faux dans cette argumentation mais est-il besoin d'en appeler à l'Histoire dans ce débat ?

 A ce compte-là, les descendants des Gaulois (les Français actuels) pourraient demander réparation à Jules César et donc à l'Italie. Les Berbères d'Afrique du Nord pourraient en faire de même avec les Arabes. Les habitants du sud de l'Inde, noirs de peau, pourraient également en demander des comptes aux habitants clairs de peau du nord du pays. Et la liste des réclamations historiques serait sans fin ! Et puis, jusqu'à quand remonter dans l'Histoire de l'humanité ? Est-ce quand ils quittèrent l'Afrique, il y a plusieurs millénaires, les premiers humains, des Noirs donc, auraient "colonisé" le reste de la planète ? 

  Le recours à l'argumentation historique me semble faible, sinon facile.

 Or, il y en a une autre bien plus solide émanant d'un autre collaborateur de ce site et qu'il a développé à maintes reprises : celui de la tutelle. Quand un pays met un autre sous tutelle, il a des droits mais aussi des devoirs dit tous les deux "régaliens". Les premiers ne vont pas sans les seconds. Ce sont les faces d'une seule et même médaille !  Pour parler de la Martinique, celle-ci ayant été mise sous tutelle par la France suite élimination des autochtones kalinagos à compter de 1635, cette dernière y a imposé ses lois, sa langue, sa religion, sa monnaie, sa justice, sa police, son armée etc. Cela s'appelle des "droits régaliens". 

  Par contre, toute puissance de tutelle se voit contrainte de construire des routes, des ports, des hôpitaux, des écoles etc. Cela s'appelle des "devoirs régaliens". Si elle ne le fait qu'à la portion congrue, ce qui fut le cas pendant la période coloniale en Afrique noire, au Maghreb et en Indochine, elle s'expose à la révolte des populations locales dites "indigènes". C'est ce qui s'est passé au Bénin (Roi Béhanzin), à Madagascar (grande révolte de 1947), au Cameroun, au Vietnam, en Algérie et dans bien d'autres territoires. Résultat : la puissance de tutelle est obligée de plier bagages. En Martinique, société non pas précédant la colonisation mais née de cette dernière, les choses sont plus complexes. Le Béninois, l'Indochinois ou le Maghrébin vivaient depuis des siècles et des siècles dans leur pays avec leurs langues, leurs coutumes et leurs religions, ce qui n'est pas le cas des territoires des Caraïbes et de l'Amérique dont la Martinique fait partie.

  La France n'a pourtant pas réussi à faire de nous des Français.

 Nos ancêtres ont inventé une nouvelle langue et une nouvelle culture dites "créoles" qui certes n'étaient plus africaines mais qui n'étaient pas européennes non plus. Une culture mosaïque dans laquelle se sont entremêlés des éléments kalinagos, africains, européens et plus tard indiens, chinois et syro-libanais. Certains, intellectuels martiniquais ont appelé ce phénomène, ou plus exactement sa résultante, la Créolité. Peu importe le terme ! Ce qui compte c'est la réalité des faits. Ce qui compte c'est que nous avons dû nous réinventer. Toutes ces polémiques autour d'un simple terme sont ridicules.

  Mais l'invention de cette nouvelle identité n'a malheureusement pas suffi à nous libérer de notre puissance de tutelle pour une raison très simple : son mode de colonisation fut puissamment assimilateur à l'inverse de celui des Anglais, des Belges ou des Hollandais. Il fut assez similaire à celui des colonisateurs portugais. D'où l'on comprend pourquoi l'Angola ou le Mozambique ne sont devenus indépendants qu'à compter des années 70 du siècle dernier. Cette assimilation consiste à créer des élites indigènes entièrement dévouées au colonisateur. A la Martinique, ce fut incontestablement une réussite. Et jusqu'à aujourd'hui !

 Cette conseillère exécutive martiniquaise n'en est qu'un des affligeants exemples.

 Non, la Martinique ne doit rien à la France ! Non la Martinique ne vit pas aux crochets de la France ! Et, comme expliqué plus haut, il nous semble inutile de faire référence à l'Histoire et à l'esclavage. Il vaut mieux en rester à quelque chose de plus factuel, de plus basique : toute puissance de tutelle a des droits régaliens et des devoirs régaliens. Point à la ligne. Elle nous impose sa justice, sa police, son armée, sa langue, sa religion etc. , fort bien ! Mais dans le même temps, elle a l'obligation de construire des routes, des écoles, des hôpitaux etc. 

 Si la France estime que nous lui coûtons trop cher, rien ne l'oblige à conserver son pouvoir de tutelle. En 1969, l'Angleterre a dit aux élites de Sainte-Lucie et de la Dominique : "Je pars dans dix ans et je vais vous aider pendant cette période à préparer votre indépendance". Il n'y a eu aucun référendum dans ces deux îles pour savoir si leurs peuples étaient d'accord ou pas et, effectivement, en 1979, elles devinrent des états indépendants. Et d'ailleurs, au début paniquées, certaines fractions de ces élites s'étaient rapprochées de la France pour savoir si elle accepterait de prendre leurs îles sous son aile en tant que...départements d'Outre-mer. Et pour quelles raisons ? Parce que Sainte-Lucie et la Dominique furent des colonies françaises à un moment de leur histoire et qu'on y parle presque le même créole qu'en Martinique et en Guadeloupe. 

 Sur ce site, un collaborateur revient assez souvent sur la nécessité d'un référendum sur l'indépendance en Martinique. Comme pour le recours à l'histoire et à l'esclavage, nous ne sommes pas non plus d'accord avec cette proposition. Notre position est la suivante : les cartes sont entre les mains de la France. Soit elle assume pleinement ses devoirs régaliens comme elle sait si bien le faire pour ses droits régaliens soit elle plie bagages. Si elle décide de rester, elle n'a pas le droit de déclarer que nous lui revenons "trop cher" ! 

  Si bien que quand on apprend que cette conseillère exécutive fut enseignante, il y a de quoi s'arracher les cheveux. On serait tenté d'en rire mais c'est tout simplement à en pleurer !

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