Les Mots immigrés

À l’heure où revient le débat sur l’identité, avec des opinons opposées de plus en en plus violentes, Erik Orsenna a voulu, par la voie du conte commencée avec sa  Grammaire est une chanson douce, raconter l’histoire de la langue française. Pour une telle ambition, le savoir lui manquait. Bernard Cerquiglini, l’un de nos plus grands linguistes et son ami de longue date, a bien voulu lui apporter ses lumières aussi incontestées que malicieuses.

Et nous voilà partis, deux millénaires en arrière, chez nos ancêtres les Gaulois dont les mots sont bientôt mêlés de latin, puis de germain. Avant l’arrivée de mots arabes, italiens, anglais... Un métissage permanent où chaque langue s’enrichit d’apports mutuels.

Jusqu’à ce que déferle une vague de vocables dominateurs nés de la mondialisation économique et inventés pour son service. Ce globish aura-t-il raison de la diversité linguistique, aussi nécessaire à nos vies que cette biodiversité dont nous avons appris à reconnaître l’importance capitale, et la fragilité ?

Et si les mots immigrés, c’est à dire la quasi-totalité des mots de notre langue, s’ils décidaient de se mettre un beau jour en grève ? Ce jour-là, les apôtres de cette illusoire pureté nationale deviendraient muets. Il n’est pas interdit d’en rêver…

Illustrations de François Maumont.

Commentaires

Créoles.

Oeil

30/01/2022 - 16:50

Alain Rey (père du Robert) expliquait que le français est une langue créole.
Aux Antilles, la confrontation de Français et d’Africains a produit des créoles antillais. En Europe, la confrontation de Romains et de Gaulois puis de Francs et de Gallo-Romains a produit des créoles français.
Il faut parler au pluriel car les idiomes qui se sont mélangés se différenciaient selon les régions. Il n’y avait pas qu’une seule langue africaine, un seul celte gaulois, un seul latin, un seul parler franc… ce qui a donné plusieurs créoles, aux Antilles comme en France.
Chacun parlait son créole, antillais ou français, en tant que langue maternelle. Ce qui n’empêchait pas d’apprendre un autre langage, plus ou moins complètement, pour communiquer avec l’extérieur, mais en conservant son créole parmi les siens.
Les choses changent quand on veut unifier les créoles.
Il peut s’agir d’une volonté politique. Le pouvoir royal français, hostile à la féodalité, a réduit la noblesse à une cour contrainte de parler le créole du roi. Puis la IIIe République a unifié l’expression de tous, par l’enseignement obligatoire d’un créole français unique, appelé significativement "langue de Molière".
Un deuxième facteur d’unification est la littérature. Pour se développer, elle a besoin d’une langue un minimum codifiée, directement accessible par un minimum de lecteurs. Ainsi, le créole haïtien est-il de plus en plus normalisé. En Martinique, se multiplient dictionnaires et grammaires d'un créole martiniquais.
Ces démarches visent à remplacer des créoles maternels différenciés par un créole unique, antillais ou français, celui des dictionnaires et des grammaires, voire des académies. Ceux qui ne s’y plient pas sont moqués, accusés d’agresser le créole élu, dès lors sacralisé.
Les mots immigrés n’ont pas immédiatement la bénédiction des gardiens du temple. Quels qu’ils soient, ils sont a priori perçus comme problématiques. On leur reproche un génocide par substitution ou un grand remplacement, au choix.
L’invasion (bien réelle) de l’audiovisuel et du numérique transforme la donne. Ce qu’on doit dire (jusqu’à la manière de le prononcer) nous tombe dessus par écrans interposés. Avec la force de la simplification : quelques expressions suffisent, qui nivellent tout le monde par le bas.

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