"Nuits de la lecture" dans un pays où 57% de la population ne lit jamais de livres

  C'est l'INSEE qui, dans une enquête récente, fournit ce pourcentage étonnant dans un pays où près de 90% de la population va à l'école et sait lire et écrire même si, par la suite, l'illettrisme frappera un certain nombre de gens. 

   57% des Martiniquais ne lisent jamais de livre, nous dit donc l'INSEE, contre 30% en France. Dans le même temps, démarre comme chaque année Les Nuits de la lecture du 21 au 23 janvier. Initiative fort louable mais qui a peu de chances d'inverser la tendance. Il faut le reconnaître une bonne fois pour toutes : au pays de CESAIRE-FANON-GLISSANT, on ne lit pas alors même que c'est grâce à ces trois écrivains que la minuscule Martinique et sa non moins minuscule population existent sur la carte du monde. Car qui connait un sociologue du Kazakhstan ? Un écrivain indonésien ? Un économiste du Zimbabwe ? Un historien du Paraguay ? Un politologue de Jordanie ? Personne alors que ces pays sont pourtant peuplés de millions d'habitants. 

   Il est évident que les 30% de Martiniquais qui vivent en-dessous du seuil de pauvreté ne sont pas en cause. Ils ont d'autres chats à fouetter que de lire des livres ! Mais QUID des autres ? Qu'on ne nous ressorte pas la vieille rengaine de "la Martinique, société d'oralité" ! Les veillées mortuaires n'existent plus depuis...1970 et nos vieux conteurs créoles sont morts et enterrés depuis des lustres. Les Martiniquais ont saisi la modernité à pleines dents : WhatApp, Facebook, Instagram, Canal +, Tik-Tok et autres outils dits de "communication". Qu'on ne vienne pas non plus nous dire que la non-lecture est la faute de ces réseaux sociaux ! En France, ces derniers sont tout aussi répandus, voire davantage, et pourtant cela n'empêche pas 70% de Français de lire des livres. Si l'on voulait faire une vilaine plaisanterie, on dirait que voilà au moins un domaine dans lequel l'assimilation n'a pas réussi.

   En fait, s'agissant de nos grands auteurs, on se contente de citations, souvent tronquées, que l'on exhibe fièrement sur Facebook sans avoir jamais ouvert les livres dont ils sont extraits. Pour Césaire, cela donne "Quand mon peuple sortiras-tu hors des jours étrangers ?". Pour Fanon, "Chaque génération doit assumer son destin". Pour Glissant, c'est le fameux "Tout-Monde". E l'on est content d'afficher sa "culture" ! Pas étonnant que l'emblématique Librairie Alexandre ait dû fermer et que la très riche en ouvrages antillais PRESENCE CREOLE soit en passe de mettre la clé sous la porte. Cela dans l'indifférence générale. 

   Indifférence des politiques martiniquais surtout car comment expliquer que la Guadeloupe, la Guyane, Saint-Martin etc...aient des Salons du Livre et pas la Martinique ? D'où l'on comprend que sans "politique du livre", la lecture ne se développera jamais chez nous. De même que sans "politique linguistique", notre langue créole demeurera toujours un idiome subalterne et, pire, massacré par ses propres locuteurs jusqu'à se transformer en un véritable charabia sur certaines radios-libres. Il est vrai que très peu de nos politiciens lisent des livres et nous ne parlons pas du tout de livre de littérature. LE LIVRE N'EST PAS LA LITTERATURE. Nous parlons de livres d'économie, de sciences politiques, d'anthropologie, d'histoire, de sociologie, de sciences etc...  Combien d'entre nos élus connaissent "Capitalisme et esclavage" du Trinidadien Eric Williams, "Comment l'Europe a sous-développé l'Afrique" du Guyanien (Guyane anglophone) Walter Rodney, "Portrait du colonisé" du Franco-Tunisien Albert Memmi ou les traités d'économie, très en vogue depuis quelques années, du Français Thomas Piketty ? 

   A quoi cela sert-il à nos élus (es) de construire à grands frais des médiathèques qui sont vides les trois-quarts du temps, sauf quand s'y déroule quelque prestation... musicale ?

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