Cinq mois après le retour du mouvement contre la vie chère en Martinique, une enquête de Libération vient confirmer, à partir de documents internes au Groupe Bernard Hayot, l’ampleur des profits mortifères réalisés par la multinationale.
Jeudi dernier, le journal Libération a publié une enquête sur les profits du Groupe Bernard Hayot. Appuyée sur des dizaines de documents internes au groupe (comptes d’exploitation, marges, prix d’achat...) divulgués par l’un des 170 plus hauts cadres d’une multinationale qui compte près de 16 000 salariés présents dans 19 pays, elle vient compléter le portrait d’un groupe familial béké aux mains sales, descendant d’esclavagistes et héritier direct de ce système, qui s’engraisse en imposant la vie chère aux exploités et opprimés des colonies.
Alors que les enseignes du groupe sont régulièrement prises pour cible lors des mouvements contre la vie chère dans les colonies qui marquent les deux dernières décennies (2008 et 2017 en Guyane, 2009 aux Antilles, 2011 à Mayotte, 2018 à La Réunion et de nouveau aujourd’hui en Martinique), le groupe prenait soin de cultiver l’omerta au sein de ses sociétés. « La consigne est de ne divulguer aucun chiffre à personne, pas même à nos équipes », révèle l’informateur, membre du club restreint ayant accès aux discussions et informations stratégiques de la direction, qui s’est décidé à briser le silence.
L’enquête est publiée quelques jours avant que les représentants de la multinationale ne soient convoqués devant la justice, après que quatre personnes aient saisi le tribunal de commerce de Fort-de-France pour dénoncer l’opacité du business colonial du GBH et son refus de publier ses comptes annuels. Une pratique commune dans les colonies françaises pour les prédateurs de la grande distribution, comme le soulignait lui-même Bernard Hayot devant la commission d’enquête sur le coût de la vie en Outre-mer en 2023 : « en Outre-mer, très peu d’entreprises déposent leurs comptes ». En réaction à cette saisine du tribunal et pour calmer les ardeurs, la holding avait discrètement rendu public en fin d’année ses comptes sociaux… qui ne comprennent que le chiffre d’affaires de la société-mère. Une manœuvre qui sous couvert de bonne volonté et de transparence, laisse dans l’ombre ses comptes consolidés (soit le chiffre d’affaires total de l’ensemble des sociétés du GBH) pour dissimuler la réalité de l’ampleur des bénéfices de l’empire Hayot et de son réseau de filiales tentaculaire.
Salarié de la branche automobile de la multinationale, l’informateur livre à Libération des chiffres édifiants sur les marges réalisées par le groupe dans ce secteur qui représenterait près de 40% de son chiffre d’affaires global : « [sur] chaque vente de véhicule de marque Dacia, Renault ou Hyundai, les concessions de GBH réalisent une marge nette comprise entre 18 % et 28 %, soit trois à quatre fois celles pratiquées en métropole. En clair, pour un modèle vendu aux alentours de 20 000 euros, une concession peut gagner plus de 5 000 euros net, même après les éventuelles promotions et efforts commerciaux ». Des marges que le groupe dissimulait aussi aux constructeurs, en modifiant dans les magasins concessionnaires les prix affichés des véhicules avant chaque visites commerciales.
En réponse à l’enquête de Libération, GBH, mis en difficulté devant l’évidence des faits, a vainement tenté dans un communiqué du 10 janvier de justifier les écarts de prix avec l’Hexagone. Des écarts qui seraient principalement dus à l’éloignement des outre-mer et aux frais d’approche (comprenant l’ensemble des coûts liés à l’importation des véhicules sur l’île, comme le transport et l’octroi de mer) générés. Cependant, ces frais sont loin de justifier un tel différentiel de prix, avec des voitures vendues dans les concessions du groupe dans les colonies parfois plus de 45% plus chères qu’en Hexagone. Comme le révèle le quotidien dans son enquête, « [pour] une voiture vendue par GBH, le transport, l’octroi de mer et la TVA (plus faible en outre-mer voire inexistante en Guyane et à Mayotte) représentent en moyenne entre 15 % et 20 % du prix de vente final, soit à peine le taux de TVA pratiqué en métropole ».
GBH détient dans certaines colonies plus de 50% de la part des marchés de la vente de voitures aux particuliers. Une position hégémonique dont il tire profit pour imposer ses prix : « [quand] vous avez plus de la moitié du marché, vous faites la pluie et le beau temps, c’est vous qui dictez les tendances », souligne l’informateur. La multinationale n’est pas seulement présente sur la vente dans le secteur automobile, mais aussi sur toute une série d’activités annexes : location, pièces détachées, centres-autos… Toujours d’après le témoignage du cadre, « le groupe maîtrise toute la chaîne, de la vente à l’entretien ( …). Le marché est totalement cadenassé ». Par une multiplication de ses filiales, la holding accumule ses bénéfices à chaque entreprise intermédiaire du secteur appartenant aux sociétés de GBH. Une structuration qui permet aussi au groupe de « ventiler les bénéfices et d’alléger les comptes d’exploitation des entreprises les plus rentables ». De quoi valoriser discrètement son capital, en dispatchant les bénéfices dans ses diverses sociétés pour mieux dissimuler ses taux de marge scandaleux.
Le groupe, au chiffre d’affaires de 4,5 milliards d’euros, ne se contente pas d’une position de quasi-monopole dans le secteur automobile. Il contrôle aussi une large part de la grande distribution dans les colonies où il réalise des bénéfices records en gonflant les prix, creusant ainsi toujours davantage la misère sociale chronique dans ces territoires. Dans l’alimentaire, les taux de marges réalisés sont à l’image des écarts de prix entre l’Hexagone et les colonies. Ils sont en moyenne entre 30 à 40% plus élevés en Martinique, en Guadeloupe, en Guyane, à La Réunion et à Mayotte, et 78% plus chers en Kanaky. Dans ce territoire occupé du pacifique, GBH – à la tête de près de 60% du marché de la grande distribution – avait déjà été condamné pour avoir exigé à ses fournisseurs d’appliquer des marges arrières. Une pratique courante pour ce géant distributeur en position de force, consistant à exiger de ces derniers des remises de prix en fin d’année pour « objectifs atteints ». D’après le consultant Christophe Girardier, auteur de plusieurs rapports sur la distribution dans les colonies, ces marges arrières peuvent atteindre jusqu’à 25% du chiffre d’affaires annuel du groupe.
GBH n’est pas le seul groupe à s’engraisser en imposant la vie chère dans les colonies et en y affamant des milliers d’exploités et d’opprimés. A ses côtés, une poignée d’autres capitalistes békés et métropolitains contrôlent les marchés de ces territoires dits d’ « outre-mer ». Aux Antilles, 80% du marché de la distribution est contrôlé et détenu par 4 groupes familiaux békés : l’empire Hayot, le groupe CréO de Patrick Fabre, le groupe Parfait de Yves Parfait et la Société antillaise frigorifique de Gérard Huyghues-Despointes. A La Réunion, la grande distribution est entre les mains de deux grands groupes, dont de nouveau GBH, détenteur de 37% du marché après avoir mis la main sur l’entreprise Vindémia qui regroupe les filiales du groupe Casino sur deux îles des Mascareignes (La Réunion et l’île Maurice) ainsi qu’à Mayotte et Madagascar. Ce rachat a renforcé à Mayotte le duopole Sodifram-Carrefour (du groupe Hayot), entrainant la fermeture de plus de 1000 doukas et une augmentation des prix des produits dans un territoire où 77% de la population vit sous le seuil de pauvreté. En Guyane, on retrouve les monopoles békés dans les secteurs de l’approvisionnement et de la distribution des biens de consommation, aux côtés de multinationales françaises dans le marché des matières premières et du BTP.
Ces grands groupes, en situation de quasi-monopoles dans les secteurs qu’ils contrôlent, profitent d’une économie de comptoir pour faire grossir leurs profits. Comme nous le décrivions dans un précédent article, la structure de l’économie de ces colonies est caractérisée par une dépendance accrue à la métropole et aux containers, reproduisant sous forme reconfigurée le système du pacte colonial. Aussi nommé régime de l’Exclusif, sous ce système, l’ensemble des marchandises qui arrivaient dans les colonies venaient de métropole. Les colonies ne pouvaient développer des activités ou industries déjà présentes dans l’Hexagone. Leur activité était orientée vers les besoins de la métropole, en cultivant toutes les denrées qui ne pouvaient y être produites, principalement le sucre de canne et la banane. Les traces d’un tel pacte sont aujourd’hui encore bien visibles. Ainsi aux Antilles, 80% des aliments consommés sont importés, principalement depuis l’Hexagone. La production de bananes et de cannes à sucre y occupe encore près de la moitié de la surface agricole et est affectée à l’exportation vers la métropole. Maintenus dans une forte dépendance aux importations pour la plupart des produits consommés, les colonies françaises sont les territoires de prédilection pour les prédateurs de la grande distribution tout comme du fret maritime, à l’image de l’armateur CMA-CGM.
Plusieurs rapports parlementaires ont déjà mis en avant la configuration d’une économie de comptoir persistante dans les colonies, au service de ces grands groupes capitalistes. Le dernier en date, commandé par Macron lui-même et remis en décembre dernier, souligne l’existence d’une structure économique profitant aux oligopoles principalement dans les secteurs de l’automobile et de la grande distribution ainsi que les pratiques de marges arrières couramment imposées par les distributeurs aux fournisseurs. L’enquête de Libération vient donc documenter un scandale déjà bien connu de l’Etat dont l’inertie dévoile la complicité, et qui au-delà de garder le silence participe pleinement à maintenir une économie coloniale caractérisée par la dépendance aux importations, au plus grand bénéfice des prédateurs capitalistes. Un Etat qui, rappelons-le, a permis aux colons esclavagistes antillais de maintenir leur domination après l’abolition de l’esclavage en les dédommageant par des indemnités ou encore en les faisant hériter d’actions dans les banques coloniales. Cette complaisance du pouvoir à l’égard des grands groupes békés et de leur fortune sordide s’est récemment illustrée par un décret présidentiel en juillet dernier, par lequel Macron a élevé le colon Bernard Hayot au rang de grand officier de l’ordre national de la Légion d’honneur. Ce descendant de famille esclavagiste, impliqué dans l’affaire du chlordécone et responsable – tout comme les autres grands groupes – de la vie chère mortifère qui frappe les colonies, se voit ainsi récompensé de la plus haute distinction de l’administration coloniale.
Alors que les révélations de Libération dévoilent de nouveau la responsabilité des multinationales dans la fabrique de la vie chère et la misère coloniale des outre-mer, il est urgent de revendiquer la publication de l’ensemble des livres de compte des distributeurs et armateurs opérant dans les colonies. Mais face à un Etat complice, au fait des marges mortifères réalisées par les grands groupes, qui s’emploie depuis les départementalisations à saper les mouvements indépendantistes par le sang et réprime depuis plus de cinq mois le mouvement contre la vie chère en Martinique, c’est plus largement contre le maintien de la domination coloniale qu’il faut lutter. A rebours des stratégies conciliatrices et des tables de négociation avec un Etat colonial répressif au service des intérêts des capitalistes, il est urgent de porter un programme anticolonial, qui ne pourra être défendu sérieusement que sur le terrain de la lutte des classes.
Scandaleux ,certes mais beaucoup moins que le sort actuel des Subsahariens en Tunisie à l’heure o Lire la suite
...enculés ces politiques "de gauche" qui suçaient le Béké Hayot !
Lire la suite...man pa ka sisè pèsonn KRA KRA!!!... "Nuit noire", mwen kèy réponn ou pi ta, OK? Lire la suite
Adjindjin moin ka métté ou adjindjin, bougue ! Foutte ou siceptib, ébé ! Lire la suite
...mwen pa ka mandé Fondas ban mwen pal-la dann!... Lire la suite