REPRESSION : LA FIN D’UN CYCLE OU LA SUITE AU PROCHAIN PROCES ?

Raphaël Constant

Le 5 avril 2023, après quatre heures d’audience ne portant que sur la forme et non le fond, le tribunal Correctionnel de Fort de France a anéanti la procédure datant de 2019 contre les militants anti-chlordécone dans l’affaire dite des 7 d’Océanis.

Exceptionnellement, le tribunal a non seulement suivi la défense contre l’avis de l’avocat des gendarmes qui étaient parties civiles et du Parquet, mais n’a même pas « joint » cet incident au fond.

Cela est symboliquement très fort car ce dossier a été le premier à être monté par le Préfet de l’époque (ROBINE) et le Procureur GAUDEUL pour faire face aux manifestations de boycott contre les magasins de Bernard HAYOT qui avaient démarré en septembre 2019.

Dans un premier temps, le pouvoir et la caste avaient pensé que ces manifestations s’arrêteraient tout seul puis avait envoyé des policiers martiniquais pas trop prêts à s’engager dans ce combat douteux.

C’est ainsi que le pouvoir fit venir une escouade de gardes mobiles « san papa san manman » (quand on écoute les propos de ces individus dans le dossier NUISSIER, on ne peut être que glacé d’effroi par la violence et le mépris qui les portent) qui avaient, pour le première fois, mis en place la nouvelle tactique sécuritaire française dite de la « nasse ». Avant, la police française dispersait les manifestations en laissant un espace pour s’échapper.  Avec la « nasse », lesdites forces de l’ordre cherchent l’affrontement directement avec les manifestants qui sont encerclés et obligés d’aller au contact avec eux en absence d’autres moyens. Les pandores français ont d’ailleurs été surpris que les manifestants répliquent à leurs coups.

La violente répression mise en place le 23 novembre 2019 devant le centre commercial Océanis ne tient pas du hasard. Elle est pensée et réfléchie par le pouvoir qui face à des militants déterminés opte pour une politique de peur et de répression. Le pouvoir veut faire peur et comprendre qu’il coute toujours cher de s’attaquer aux intérêts de l’état et de la caste.

La suite a aussi été pensée et réfléchie. D’ailleurs l’évènement a été filmé par la police. Ce qui va permettre d’identifier 8 militants avec l’aide d’une « cabinet noir ».

A la manœuvre un procureur qui joue sa promotion (il la gagnera en étant nommé deux ans plus tard à Nantes) et va manifester un zèle peu commun.

Ainsi, au petit matin du 28 novembre, 8 maisons attaqués par des dizaines de gardes mobiles déguisés en Ninja, cassant, frappant, apeurant les quartiers, les familles.

Faire peur est une obsession.

 

Cette première rafle (s’ensuivront une bonne dizaine par la suite) au petit matin va permettre l’arrestation de 7 militants (le 8ème n’est pas au lieu annoncé, chez sa grand-mère. Il restera pourtant dans le viseur des « hommes de l’ordre » : blessé en janvier 2020 puis furieusement tabassé en juillet 2020 devant le commissariat de police) réparti dans 7 lieux différents (l’objectif est de rendre plus difficile le travail des avocats de la défense).

Ainsi démarre un dossier qui durera 3 ans et quatre mois et est le point de départ d’une répression massive jamais vue depuis les années soixante du siècle dernier avec force de procès en tout genre (une bonne dizaine), des dizaines de gardes à vue, de nombreux blessés, plusieurs mois de prison infligées, quatre militants incarcérés, etc…

Impressionnant pour une île de 400.000 habitants.

Après les gardes à vue de novembre 2019, le procès est convoqué pour le 13 janvier 2020.

A cette date, un palais de justice barricadé, une troupe de policiers et de gardes mobiles supervisée par le procureur en personne interdisant à des militants ou de simples sympathisants d’entrer dans la salle d’audience même après que le Tribunal l’a demandé. Une pluie de gaz lacrymogène et de flash-ball sur des militants désarmés allant à créer une situation d’émeute en plein Fort de France.

L’audience est renvoyée au 3 juin 2020.

Arrive la journée du 22 mai 2020 avec l’abattement des premières statues (celle de SCHOELCHER en attendant JOSEPHINE ET DESNABUCK) qui plonge le pouvoir colonial et ses alliés dans des interrogations sur la suite.

Paris va demander à CAZELLES et GAUDEUL de tenter de calmer les choses en évitant une audience le 3 juin 2020.

Si bien que le procureur va faire d’une pierre deux coups. D’une part, renvoyer (sans date) un procès dont on craint les effets dans l’opinion publique, y compris internationale. D’autre part, mener une opération de déstabilisation au sein des avocats qui va exploser le collectif de la défense avec des effets jusqu’à ce jour !

Le 3 juin 2020, pas de procès car le Palais de Justice est fermé.

Le procureur GAUDEUL déclare dans la presse qu’il ne fixe pas de nouvelle date car il attend l’évolution des choses, brandissant en même temps la menace d’une reprise de la procédure.

GAUDEL part à la mi-2021 sans reprise du dossier et arrive Clarisse TARRON.

Que va-t-elle faire, cette nouvelle qui arrive ici précédée d’une réputation de personne de gauche (deux fois, ancienne présidente du syndicat de la magistrature) ?

TARRON enfile très vite les chaussures de son prédécesseur et continue la répression. Elle y rajoute aussi la lutte contre les soignants qui luttent contre l’obligation vaccinale : nouvelle vague de gardes à vues, de convocations au tribunal, de condamnations, etc…

Ce n’est pas tout. Mme TARRON fait de la surenchère en relançant l’affaire de l’Océanis qui dormait depuis plus d’un an. Des huissiers sont chargés de reconvoquer les sept militants.

C’est ainsi qu’on en arrive, après un premier renvoi, à l’audience du 5 avril 2023 et au crash en plein vol de la procédure.

 

Ainsi, la procédure phare par laquelle tout a commencé était une dangereuse baudruche ne tenant pas sur le plan juridique.

Pour aller plus au fond des choses, observons que les sept militants d’Océanis étaient poursuivis pour avoir participé à un attroupement et ne pas avoir déféré à des ordres de dispersion, outre les violences qui leur étaient reprochés d’avoir commis sur les pacifiques policiers. En fait, les participants au boycott ne pouvaient se disperser car ils étaient cernés.

Mais surtout, cette incrimination pose la question de la liberté de manifester en Martinique.

Nous sommes en plein sur cette question car avant le 5 avril 2023, il y a eu les incidents concernant Lakou Kont Non Lieu.

On ne va pas trop s’étendre sur le rôle déplorable et même ridicule du maire de Fort de France sinon pour dire qu’il permet un étalonnage d’une notion peu étudiée en politologie martiniquaise : combien faut-il de temps à un politicien martiniquais pour céder aux injonctions de l’état français.

Dans le cas qui nous intéresse, cela fait moins de deux mois.

Le 27 janvier 2023, l’édile de Fort de France venait voir les occupants des jardins de l’Espace Darsières en disant qu’on lui avait demandé leur expulsion, qu’il l’avait refusé et que personne ne les sortira de là car il est d’accord avec eux. Il leur donnera même de la lumière et de l’eau !

Mais le 24 mars (donc deux mois moins 4 jours plus tard), le même maire prenait sous des prétextes futiles et peu sérieux un ordre de fermeture du jardin et de fait d’expulsions des militants. Les tentatives de négociations avec cet élu pour un dialogue entre martiniquais ont échoué et mieux c’est le préfet que LAGUERRE a appelé à la rescousse pour s’assurer de la libération des lieux.

Car le même pouvoir qui n’a pas voulu qu’on porte atteinte aux intérêts de Bernard HAYOT du fait de la campagne de boycott considère comme inacceptable que des militants occupent un espace au milieu de Fort de France pour dénoncer (par des tracts, des pétitions, des prises de paroles, des débats, etc…) une décision de justice absolument inique et scandaleuse.

 

C’est toute la question du droit de s’exprimer qui se pose dans ce pays Martinique.

Dans ce grave problème, le temps de résistance de LAGUERRE importe peu. D’autant que cet homme est à la tête d’une édilité si fragile que normalement, il aurait dû être dépossédé du droit de gérer depuis longtemps, sans oublier ces petits soucis avec la justice française à propos de la retraite de son grand ami LETCHIMY. Dans ce cadre, on ne peut demander à M. LAGUERRE d’être courageux et de faire semblant à jouer à Césaire en 1971 enfermé dans son bureau alors le préfet TERRADE le bombardait de gaz lacrymogènes. 

Le danger n’est pas le pauvre LAGUERRE qui n’est pas un résistant mais bien le ou les Préfets.

 

Car il y a une continuité entre ROBINE en 1919, CAZELLES en 2020 couvrant le tabassage de KEZIAH (dont le seul crime était de participer à une manifestation en jouant du tambour) et BOUVIER qui prétend interdire aux martiniquais de manifester à Fort de France.

En effet, le lendemain de l’évacuation militaire des occupants de « lakou », des militants décidèrent de rester sur le trottoir face à la Cour d’Appel pour continuer à distribuer des tracts et faire signer la pétition contre le non-lieu.

Cela était insupportable au chef de la colonie et à quelques magistrats en mal de répression.

On envoya encore des gardes mobiles dont le chef considéra qu’il y avait un attroupement à disperser. D’où l’arrestation de trois militants qu’un parquet zélé à la répression a décidé de faire passer en comparution immédiate dès le lendemain pour (entre autres) la même infraction de refus de se disperser lors d’un attroupement.

A cette audience du 31 mars où le parquet n’a pas craint de demander quatre mois de prison et un mandat de dépôt (pour une distribution de tract, faire signer une pétition et des prises de paroles), le tribunal prononça la relaxe des trois militants.

Il ne faut pas croire que les magistrats du tribunal judiciaire de Fort de France sont devenus des gauchistes enragés mais manifestement le Parquet de Fort de France, fort de ses précédents succès, a poussé très loin le bouchon.

 

On retrouve la même démarche de la violation des droits des martiniquais à manifester avec l’annonce (par communiqué) la veille du procès des 7 de l’Océanis de l’interdiction à Fort de France de toutes les manifestations non déclarées (ce qui est le cas généralement chez nous).

 

Le dénommé BOUVIER est bien le préfet du dénommé DARMANIN. Ce dernier a déclaré que constituait un délit le fait de participer à une manifestation non autorisée. Il s’est fait taper les doigts par le Conseil d’Etat qui a considéré ces propos comme « erronés ». Le communiqué du 4 avril de la Préfecture de la Martinique est du même acabit : un faux fatras d’affirmations juridiques visant à faire peur à ceux qui auraient l’idée d’affirmer leur solidarité avec les militants anti-chlordécone !

Nous sommes bien dans la continuité de cette démarche coloniale visant à faire peur et à interdire aux opprimés leur refus de l’oppression.

Toute l’histoire martiniquaise comme celle des autres peuples opprimés a montré que cette stratégie n’a qu’un effet limité dans le temps et n’empêche pas à la colère populaire de s’exprimer un jour ou l’autre.

 

Le débat qui se pose aujourd’hui est de savoir si M. BOUVIER et Mme TARRON vont tenir compte des deux gifles reçues les 31 mars et 5 avril ou persister dans la voie de l’affrontement et de la négation des droits d’expression des martiniquais.

Il ne faudra pas attendre longtemps pour avoir la réponse.

Des procès de cette vague répressive sont encore en cours. Et le Parquet peut toujours faire appel.

Plus que jamais la vigilance s’impose.

 

Le 09/04/2023

Raphaël CONSTANT

Avocat et Militant.

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