Résilience version thaïe

Patrick Chesneau

   Le poids des mots, le choc des images. Ces jours derniers, défilaient sur les écrans des chaînes de télévision dédiées à l'information, une kyrielle de reportages consacrés aux  inondations, dégâts, sinistrés et victimes. En première ligne, les équipes de Thai PBS sillonnant inlassablement les provinces les plus touchées: Chiang Rai,  Nan, Phayao, Nong Khai dans le nord de la Thaïlande. Situation de catastrophe naturelle et tragédie humaine. Au fur et à mesure des clichés et des vidéos dont l'amplitude émotionnelle oscillait entre dantesque et poignant, une constatation somme toute banale s'est imposée. Au point de devenir une irrévocable certitude.   

 

   Les amoureux du pays du sourire s'accordent sur un point majeur. Dans l'épreuve, lesThaïs font toujours preuve d'une résistance stupéfiante face à l'adversité et au malheur. Une capacité de rebond qui laisse pantois. Comment expliquer une telle force de caractère? Au-delà du constat, peu d'hypothèses sont avancées. Sans doute convient-il d'intégrer une donnée essentielle. Cette inflexibilité devant le sort qui s'acharne, les peuples du bas Mékong la puisent d'abord dans une cohésion sociale et culturelle étonnamment dense et compacte. État de fait qui n'existe plus que de façon résiduelle dans les pays occidentaux, souvent disparates et fragmentés. Ici, tout s'imbrique: les valeurs et préceptes du bouddhisme concomitamment à l'expression d'un sens éprouvé de l'intérêt général. La notion de destin commun est constamment placée en exergue. Certes, le processus de réconfort, de réarmement moral et de reconstruction psychique est une affaire individuelle. Et le phénomène de résilience s'enclenche très rapidement. Mais, d'un point de vue chronologique, ce qui compte d'abord, c'est la prise en charge collective d'un drame à ciel ouvert. Tout procède du sentiment d'appartenance à un groupe, une communauté, un peuple. Chacun sait qu'il est l'un soixante dix millions de sujets d'un Royaume immédiatement identifiable. Une entité séculaire dont l'aura reste intacte malgré les évolutions du mondes. Référence absolue de la naissance à la mort. Et chacun a la conscience innée d'être un maillon indispensable dans une chaîne qui glorifie l'unité. Tous les Thaïs ont la conviction intime d'avoir leur pays en partage exclusif. Une nation revendiquée qui confère à tous une identité spécifique, la thainess, source de fierté, voire d'orgueil. Ce corpus de valeurs est adossé à la religion majoritaire, le bouddhisme,  pratiquée par 90% des habitants du terroir siamois. En chaque individu, perpétuellement confronté aux contingences du quotidien, la foi et la spiritualité trouvent alors quantité d'usages très prosaïques quand les circonstances sont exceptionnelles. C'est le cas des drames de forte intensité. La dévotion devient une caractéristique à finalité utilitaire. En constatant une telle attitude d'acceptation des embûches et des graves déconvenues,  une formule fictive et pourtant réaliste pourrait résumer la mentalité thaïe : 

   " Je n'ai plus rien ou si peu. Mais, il nous reste un avenir. En attendant des lendemains meilleurs, ce que l'on me donne, Siam suffit ".

   Cette disposition d'esprit, assimilable à une philosophie de la sagesse, apparaît comme un formidable levier mental!  La psyché thaïe est très opérante quand surviennent de grandes tragédies. Sur le plan organisationnel, un drame local devient invariblement une cause nationale. Phénomène certes connu sur tous les continents mais qui se vérifie ici dans des proportions inédites. Autant souligner que dans les situations de douleur humaine causées par une catastrophe naturelle, c'est un point d'appui formidable à effet trampoline. Sous le magistère et l'autorité morale du Roi de Thaïlande, tous les secteurs de la société se mettent en branle, s'impliquant les uns  et les autres dans le secours immédiat puis dans un exercice salutaire de réhabilitation des âmes et de reconstruction des biens. 

De quoi interloquer les Farang de tempérament généralement râleur. Ici, les douleur les plus vivaces sont muettes. Parmi les gens de condition modeste, ceux qui ont tout perdu, ceux qui se retrouvent les plus cabossés par l'hostilité climatique, les foyers les plus démunis...ceux-là se résignent d'instinct et, sans se plaindre, se retranchent dans une inépuisable  patience. La fatalité semble acceptée comme s'il y avait, par intermittence, une rançon à payer à la nature toute-puissante. Cet ordre immanent qui, ordinairement, dispense ses bienfaits.

 

   Cela explique-t'il une absence notable? Pas ou peu de cellules d'aide psychologique. Aucune anomalie cependant. Cette fonction est assurée par tous quand il y a urgence vitale. L'éventail est large, de la cellule familiale la plus élémentaire aux instances gouvernementales. Ce message d'intervention et d'inclusion, la  nouvelle Première Ministre l'a maintes fois réaffirmé lors de sa récente  tournée dans les zones ravagées. Sur le terrain, la prise en charge est initiée au niveau de la proximité la plus rapprochée puis s'élargit par cercles concentriques. Inouï...dans ce genre d'épisode, les disparités les plus criantes entre classes sociales ont tendance à provisoirement s'estomper. Outre les autorités politiques et les pouvoirs publics, même les ultra-riches font oeuvre de charité en versant à grande échelle leur appréciable obole: contributions financières, secours médicaux, médicaments, aide sous forme alimentaire, de dons de vêtements, de produits d'hygiène et de santé, de fournitures scolaires pour les élèves. Avant de filer au temple pour "  tham bon ".  Faire mérite. Soigner son karma en portant une assistance substantielle aux populations déshéritées. Au plan national, tous les dispositifs relevant de la logistique passent en mode " solidarité, empathie, entraide". Les administrations, rarement exemptes de lourdeurs bureaucratiques, sont soudainement saisies de vélocité. Nécessité faisant loi, on brûle les étapes. Le tout nimbé d'un soutien logistique émanant des provinces épargnées par les intempéries. Ces actions appuient, confortent et amplifient les premières actions in situ. Elles sont prises à l'initiative des populations touchées, toujours promptes à retrousser les manches et à enfiler les bottes de rigueur en situation de pareille désolation. Une prodigieuse fourmilière humaine se mobilise jusqu'aux limites physiologiques de l'être humain. Compassion et  générosité priment dans un tel contexte.

Des slogans d'amour fusent et des logos en forme de coeur éclosent sur les uniformes.

Des milliers de bénévoles et de volontaires  oeuvrent au côté des particuliers, de l'armée et des corps officiels pour entamer la phase des grandes manoeuvres d'après cataclysme. Travail harassant consistant à nettoyer de fond en comble des villes entières, rue par rue, maison par maison, du sol au plafond. A évacuer nuit et jour des tonnes de boue et d'encombrants. Dans ce tableau, pas une once de commisération.

Prévaut au contraire la spontanéité. Epaule contre épaule, coude à coude, main dans la main, un peuple à l'unisson. S'ensuivent les " wai " à la chaîne en guise de remerciement. Reconnaissance et congratulations. De l'affliction au soulagement, on fraie le plus court chemin.

   Pour tous, la priorité est tout simplement de récupérer au plus tôt une vie normale.

   Bouddha le veut ainsi.

 

   Patrick Chesneau

 

Crédit photos: Bangkok Post, Thai PBS

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