On peut être le meilleur locuteur du créole au monde mais il est presqu'impossible d'échapper au contexe dans lequel on vit.
Ce contexte est résumable en quelques lignes : une population antillaise dont les leaders politiques sont incapables d'esquisser un avenir crédible pour leurs îles, un contexte économique surréaliste car n'existant que grâce aux subventions franco-européennes (une "économie de comptoir" modernisée en quelque sorte), un ressentiment général anti-français, voire anti-blanc, qui se lit sur les réseaux sociaux et qui s'appuie sur des délires noiristes qui se nourrissent d'une pyramidolâtrie tragi-comique ou sur les médailles olympiques remportées par des Noirs comme le claironnent certains blogs d'abrutis, sauf que c'est au profit de la... France.
Mais le premier symptôme de ce désarroi (non avoué) est la langue. Nous sommes devenus des bègues d'un nouveau genre, désormais pris en étau entre un français devenu omniprésent même dans les classes les plus pauvres et un créole ou plus exactement un restant de créole qui ne nous sert plus guère qu'à échanger des banalités, à plaisanter ou à s'engueuler. Alors, oui, nos politiciens, journalistes, intellectuels et autres détenteurs du "savoir" donnent l'impression de maîtriser leur sujet, de manier la langue du Maître à la perfection, mais pour dire quoi ? Nos indépendantistes, souverainistes, panafricanistes et autres, donnent, eux, l'impression de savoir parler créole alors qu'il ne s'agit que d'une pure illusion puisque ce qui sort le plus souvent de leurs déclarations enflammées n'est pas très loin du petit-nègre.
Nos partisans du statu-quo parlent donc "grand-nègre", si l'on peut dire, tandis que nos partisans de la rupture parlent "petit-nègre".
Ce serait comique si cela n'était pas tragique...
Car avons-nous le droit de nous détourner (comme c'est le cas des "statu-quoistes") ou de malmener (comme c'est le cas des "sécessionistes") du seul idiome dans lequel nos ancêtres se sont exprimés pendant 3 siècles : 1660 (date à laquelle le créole s'est définitivement formé)-1960 (date à laquelle l'économie sucrière s'est effondrée). C'est cet idiome qui nous a construit en tant que peuple à part entière, qui nous a permis d'affonter la déshumanisation du système esclavagiste, qui a fondé notre culture et notre identité particulières. Notre être-au-monde pour tout dire. Le perdre revient ni plus ni moins qu'à devenir des zombies 2.0 qui s'excitent sur les réseaux sociaux en y diffusant tantôt des posts remplis d'une sottise satisfaite tantôt des vidéos pseudo-révolutionnaires qui indiffèrent ou font sourire ceux qui exercent leur tutelle sur nos iles.
Seul notre réenraciment dans le créole pourra nous permettre de comprendre le vrai problème auxquel nos peuples font face depuis 1946 à savoir : sommes-nous prêts à vivre avec moins, avec un niveau de vie correspondant à notre réalité comme c'est le cas à Sainte-Lucie, Barbade, l'île Maurice, les Seychelles et le Cap-Vert ou préférons-nous continuer à dépendre d'un pays situé à des milliers de kilomètres qui, certes, nous assure un meilleur niveau de vie que nos voisins mais au prix d'une dépendance à la fois quasi-totale et mortifère ?
Parler (correctement) et écrire (sérieusement) notre langue nous oblige à réfléchir sur nous-mêmes. A nous voir tels que nous sommes vraiment et non à être ballotés d'une francité factice à une africanité fantasmatique. Bref...
Venons-en donc au mot du jour à savoir "sous-entendu" ! Si l'on pose la question de butte en blanc à un Antillais d'aujourd'hui de moins de 50 ans, il est très peu probable qu'il sache comment dire ce mot en créole même si on lui dit "allusion". Entre 50 et 70 ans, il y réfléchira à deux fois, voire à trois fois, avant de donner la bonne réponse. Et ce qui est vrai pour "sous-entendu", l'est tout autant pour "versatile", "intrépide", "combatif", "scarabée", "nénuphar" ou encore "ruelle". Même chez les plus âgés, la langue s'oublie, s'efface et c'est notre être-au-monde qui disparait à jamais. Et c'est insulter nos ancêtres qui n'ont parlé que le créole pendant 3 siècles que de s'en foutre, de tourner les efforts des créolistes en dérision tout en se complaisant, comme sur certains blogs, dans des jeux de mots et de l'humour franchouillard ou négro-franchouillard. Ces conards oublient que nous somme encore, pour l'instant, des Antillais et non des Renois du 9-3.
Donc, oui, il existe un mot pour dire "sous-entendu. Il s'agit de : fion.
Et "faire des sous-entendus" se dit : vréyé fion (et surtout pas fè fion!).
D'où vient-il ce mot ? En consultant les dictionnaires du français, on se rend compte que ce terme a une signification très... positive, voire laudative : "ce qui est fait avec talent", "ornement", "fioriture" etc...On est donc à l'opposé de la signification du mot créole. Mais dans les dictionnaires du français parlé en Suisse, on tombe sur la définition ci-après :
"(Est, Suisse). Remarque, allusion blessante. Synon. pique. Il [le curé] préférait les étrangers et les étrangères de passage et lançait le dimanche du haut de sa chaire des fions à ses paroissiens (M. Chappaz, Portrait des Valaisans,Lausanne, Cahiers de la Renaissance vaudoise, no48, 1965, p. 123)".
Bingo !
En effet, fion peut parfois exprimer l'idée de sous-entendu ou d'allusion blessante. Parfois ! Car le plus souvent, il est en quelque sortre neutre et n'exprime que le simple sous-entendu. Sinon, comment est-il possible qu'un terme du français de Suisse ait pu s'implanter dans notre créole est un vrai mystère. Un énième mystère que la lexicologie devra un jour ou l'autre éclaircir.
NB. En éwé, "sous-entendu/allusion" se dit nusi wòfia, en haousa wani tasiri, en igbo hije putara etc... ; en tamoul oru utkurippu ; en chinois yigè anshi ; en arabe syro-libanais dimnan. Aucun rapport donc avec fion !
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