Sur les nouvelles pistes de la créolité, avec le Martiniquais Gerry L’Etang

Nouveau venu dans la littérature antillaise, le Martiniquais Gerry L’Etang s’impose avec son nouveau roman La désapparition comme une voix importante de la créolité littéraire. Interrogeant le devenir de son île dans son récit hallucinant de vérité, plus proche de la fable que de la fiction à proprement parler, le romancier raconte les Blancs et les Noirs, les vestiges du passé esclavagiste de son île et les combats à venir.

Anthropologue de formation et professeur d’ethnologie créole à l’université des Antilles, le Martiniquais Gerry L’Etang vient de faire une entrée remarquée dans le monde des lettres antillaises. Qualifié par Raphaël Confiant de « nouvelle voix de la créolité à la fois singulière et puissante », l’homme s’est fait connaître en publiant en 2018, un premier roman, écrit à quatre mains avec le romancier haïtien Dominique Batraville. Fillette Lalo racontait les heurs et malheurs de Haïti sous la dictature Duvalier, sur fond de vaudou omniprésent.

La désapparition, le deuxième roman sous la plume de Gerry L’Etang qui vient de paraître est un ouvrage autrement plus ambitieux, à mi-chemin entre l’allégorique, le politique et l’anticipation. Il s’agit moins un roman que d’un récit poétique, dense et inventif, dont l’ambition de renouer avec l’imaginaire et la verve créoles, est affirmée dès le titre de l’opus. « Le mot 'désapparition' est inspiré d'Édouard Glissant, lequel a très probablement forgé ce mot à partir du mot créole « dézaparet », qui signifie disparaître, explique le romancier. Et Édouard Glissant donne à la désapparition un sens particulier. Il désigne par là quelque chose qui a apparemment disparu mais pas totalement, dont il reste des traces. Et il prend l'exemple des Amérindiens Caraïbes qui en Martinique n'ont pas disparu, qu'ils ont désapparus, c'est à dire qu'ils sont quelque part en nous, notamment à travers certains traits culturels que nous avons hérités d'eux. »

La désapparition ou les désapparitions est le thème central du bref roman du Martiniquais qu’il faut lire comme un récit prémonitoire sur la fin du monde. Enfin, d’un certain monde.  

Fin du monde

L’action du roman de Gerry L’Etang se déroule dans une île qui n’est pas nommée, mais elle ressemble furieusement à la Martinique. Peuplée de fils d’esclaves, cette île pourrait être la Guadeloupe ou la Réunion ou encore Mayotte, terres exotisées à souhait, qui ne produisent rien « sinon de l’illusion », ironise l’auteur. Îlots d’abondance au milieu d'océans de misère et de précarité, ces îles ont en commun leur dépendance totale envers l'Europe. Elles survivent grâce aux transferts de fonds et exportations d’aliments effectués par des cargos européens.

Or, un jour, imagine le romancier, le cargo de la Compagnie chargé d’alimenter l’île, pourtant bien parti de Là-bas, tarde à arriver. C’est le chaos. Coupée du monde et de ses vivres, l’île plonge dans la pénurie, la faim, les luttes à mort pour la survie, « qui rappellent, écrit l’auteur, les violences de l’époque esclavagiste ».

 « Je me suis toujours demandé que se passerait-il si, si aucun navire ne nous ravitaillait, confie Gerry L'Etang. C'est une obsession qui me taraude depuis longtemps et que j'ai transformée en roman. » Allégorie politique, La désapparition se veut une critique féroce de la surdépendance par rapport à l'extérieur des Antilles françaises, qui n’ont pas su se penser comme nation indépendante.

La narration du cataclysme géopolitique à venir conduit le romancier à revisiter parallèlement le passé de son île, notamment les luttes d’Aimé Césaire pendant l’époque coloniale. Le poète du Cahier d’un retour au pays natal est mobilisé ici en sa qualité de figure tutélaire , qui avait su en des temps héroïques « affranchir » le peuple esclavagisé de « sa fange » et « relever l’étendard de la race ». Le poète s'est depuis tu.

Confronté aujourd’hui à l’abandon par la mère-patrie, le petit peuple l’appelle à déclamer de nouveau sa parole prométhéenne, mais le barde est plongé dans ses doutes, et sa désespérance. « J’ai fait ce que j’ai pu, cela n’aura peut-être servi à rien. Qu’ont fait les miens de ce combat ? » s’interroge-t-il, accusant les siens d’être devenus des mendiants arrogants, des quêteux indécents.

 Créolité

On lira La désapparition aussi pour l’intelligence de son écriture qui combine avec brio le français régional et le créole pour dire les réalités luxuriantes et déjantées de la société créole. Ce roman remet au goût du jour les mythologies d’autrefois et puise son souffle dans la nostalgie pour la société de plantation, dans le creuset de laquelle s’est forgée l’âme martiniquaise au long des siècles. L'auteur s'est donné pour mission de restituer la senteur et la saveur de ce passé. 

« J'écris, dit-il, parce que je suis d'une génération, celle née au début des années 60, qui a vécu la fin de l'habitation, c'est à dire la fin de la plantation comme élément structurant de nos sociétés créoles des Antilles. Et j'essaie de construire à travers ma littérature un témoignage de cette époque-là et de l'effet que cette époque a eu dans nos sociétés qui, depuis les années 60, sont passées de tout à fait à autre chose. Nous sommes aujourd’hui francisés, mais bon, ce monde-là est en train de mourir et qui peut-être ne mourra pas si on continue à l’exemplifier et à la valoriser. »

C’est sans doute sur cette nostalgie pour la Martinique d’antan, pour ses hommes et ses femmes, immortalisés dans les pages de La désapparition à travers ses personnages aussi pittoresques que tragiques, que se fonde véritablement la filiation entre les Chamoiseau, les Confiant et la génération montante d’écrivains créoles. Une filiation que Gerry L’Etang revendique haut et fort, tout en renouvelant les thématiques et la visée de l'écriture de la créolité, comme en témoigne son nouveau roman résolument politique. 

La désapparition, par Gerry L’Etang. Project’îles, 130 pages, 15 euros.

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