Tourisme en Thaïlande : risque de submersion, fantasme ou réel danger ?

Patrick Chesneau

   A Bangkok, le ministre du tourisme vient de claironner un objectif : 80 millions de visiteurs étrangers en Thaïlande en 2027. D'ici quatre ans.

Action prioritaire, Phiphat Ratchakitprakarn veut augmenter drastiquement les capacités d'accueil des principaux aéroports du Royaume, à commencer bien sûr par Suvarnabhumi et Don Mueang, aux portes de la capitale. 

   Et simultanément, préserver l'environnement à tout prix. Éviter la congestion et l'engorgement qui prévalaient avant la pandémie. La Thaïlande ne recevait alors ...que...40 millions de visiteurs par an. Dans ses nouvelles prévisions, le ministre en veut au moins le double. Certes, il mise sur des touristes à haute valeur ajoutée (quality tourists) candidats à des séjours longue durée et adeptes des tribulations à forte vertu écolo. Mais aucune étude d'impact n'est prévue en préalable. Quelles seraient les conséquences d'un tel afflux sur la société siamoise ? Comment les différents secteurs de l'activité économique encaisseraient-ils le choc ? " Mai ruu " ( on ne sait pas). Ouvrir les vannes en grand tout en protégeant efficacement la nature, le " en même temps " gouvernemental ressemble fort à une quadrature du cercle.

  Chic alors !!!! diront les cyniques, les opportunistes et les inconscients à courte vue. Où que l'on aille, tableau identique : il y aura plus d'étrangers que de Thaïs. La population de ce beau Royaume avoisine les 68 millions de sujets. En dessous des 70 millions d'habitants. Par ces temps de reprise attendue de la mondialisation plein pot, échanges et voyages vont prochainement enclencher le turbo. En mode surmultiplié, l'écart ira nécessairement en se creusant au détriment des autochtones de cette latitude du bas Mekong. D'aucuns peuvent même espérer que dans certains lieux très prisés des vacanciers, il n'y ait plus, à horizon rapproché, que des aliens de passage ou de séjour. C'est déjà le cas, par exemple, à Koh Phi Phi  Maya Bay, James Bond Island dans le sud, ou au Mae Klong market sur voie ferrée ou au marché flottant Damnoen Saduak en périphérie de la mégapole. Echantillons dantesques. 

   Pour autant, pourquoi ne pas déverser ce type de déluge sur l'ensemble du pays ? Ce ne serait que la stricte application du concept de tourisme de masse. De 20% aujourd'hui, la part de l'industrie des vacances bondira à 70% du PIB que, par ailleurs, on hésitera à appeler thaï.  Puis par paliers, la proportion atteindra les 90%. A fond les manettes !  On connait la phrase célèbre :  une fois les bornes franchies, il n'y a plus de limite. Au point de devoir un jour prochain, qui sait, transférer physiquement la capitale. Bangkok se verrait ravir le titre par Patong-Phuket ou Pattaya, lieux d'ancrage des plus grosses communautés étrangères sur le sol national thaïlandais. Krungthep Mahanakorn, nom originel, ne figurera plus que dans les livres d'histoire.

   Une Thaïlande sans Thaïlandais,... A quand cette perspective cauchemardesque ?  Une Thaïlande où les étrangers seront exclusivement entre étrangers. Une Thaïlande qui ne sera donc plus tout à fait la Thaïlande et plus du tout à brève échéance. Une Thaïlande où les étrangers se sentiront chez eux. Tellement à l'aise dans leurs pénates en circuit fermé qu'ils n'auront plus besoin d'apprendre le thaï. Inutile de se coltiner le supplice d'une prononciation qui torture les cordes vocales. Les idiomes internationaux suffiront. Ces étrangers en duplicata par millions, ça leur fera tout drôle si, par extrême hasard, ils rencontraient un Thaï vraisemblablement égaré. Un local qui se serait aventuré par inadvertance en terre étrangère. En quête un peu vaine d'une enclave thaïe en Thaïlande. Mais comme il ne reconnaitra plus son pays, il faudra naturellement l'aider à retrouver son chemin. A gagner un sanctuaire pour Thaïs menacés d'extinction dans leur habitat naturel. 

   Certes, pourront être aménagés des enclos avec un chapelet de survivances de vie thaïe. Quelques bar girls vernaculaires çà et là, des bières Leo dans certains estaminets homologués, pour accompagner deux trois plats devenus totalement exotiques au Royaume de Siam, le pad thai, le kaw pad muu, ou le som tam. C'est vraiment tout. D'ailleurs, les accueillantes sylphides de Soi Cow boy ou Nana Plaza à Bangkok, Walking Street ou Soi Buakaw à Pattaya et Bangla road à Phuket ne viendront plus majoritairement d'Isaan. Arrivages par charters directs du Kazakhstan, de Russie ou d'Amsterdam. Dans le futur dispositif qui prévaudra en toutes provinces, rien qui pourrait permettre le retour à une Thaïlande authentiquement thaïe, une entité des origines. Non, numériquement ce calcul ne sera plus possible compte tenu de la disproportion numérique entre 80 millions de touristes et nettement moins de Thaïs.  

   D'ailleurs, pourquoi ralentir une jolie courbe en grimpette exponentielle ? Prochaine étape, passer le cap des 100 millions. Seuil aisément franchissable à force de campagnes de promotion sur les grands marchés émetteurs de la planète. Le seul pré-carré de la survivance thaïe sera-t-il cette fois encore l'ilôt historique de Rattanakosin dans la Cité des Anges ? Nouveau pôle salvateur de résistance au déferlement peu ou prou destructeur.

   Une Thaïlande étrangère à elle-même, un cas inédit sur terre? A ce point, ce serait de toutes façons du jamais vu. Une Thaïlande où les natifs feront la queue pour demander un renouvellement de visa ou une extension de séjour dans ce qui était leur chez eux. Jadis. Dans des temps antédiluviens...dont on peine à garder le souvenir. C'était quand le tourisme n'avait pas encore pris des allures de grand remplacement. Reste à voir bien sûr comment se déclinera la version orientale de ce phénomène démographique et migratoire. Quelle réaction de la part d'une population spécifique totalement phagocytée par un afflux massif de touristes importés des quatre coins du monde. A la fois, bizarrerie effrayante et attraction unique. 

   Peut-on imaginer à quoi ressemblerait une Thaïlande en déficit structurel de Thaïs ? Une Thaïlande dénuée de toute trace de thainess. Une Thaïlande sans Thaïs, de taille étrangère. Pareille conjoncture obligerait-elle le pays du sourire a céder le champ à une contrée de la grimace ? En sus des expats et des retraités en mode " j'y suis, j'y reste", il y aurait dans semblable configuration un trop plein de touristes à la mine enfarinée et de bidochons conquérants. Ce qui assignerait de fait les autochtones à portion congrue.  Dérisoire goutte à goutte. Destin peau de chagrin. Une Thaïlande occidentalisée, dont le seul contrepoint serait une sinisation aujourd'hui rampante, demain accélérée. Perspective binaire : pays Farang, pays Chinois. En vis à vis.

   Rêve ou cauchemar ? Sur fond d'objectifs contradictoires, comment concilier l'inconciliable ? Au bout du bout, le scénario heureux " sabai sabai sanook sanook " l'emportera-t 'il sur le risque de l'enfer tropicalisé?

 

Patrick Chesneau

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