Trois mariages et une dépression

Raphaël Confiant signe un roman qui essaie de faire entrer en résonance des thématiques anciennes avec le comportement récent des partis d'extrême droite.

Expliquer les errements politiques d'aujourd'hui en France et dans le monde par le biais de l'Histoire ancienne, s'avère une entreprise fructueuse pour ne pas s'égarer dans les propos de certains éditorialistes ignares. La littérature semble parfois la plus à même de réussir cet exercice. C'est ce que l'on peut déduire à la lecture de Marie-Héloïse, fille du Roy,le nouveau roman de Raphaël Confiant qui paraît le 5 septembre. Ainsi, l'auteur remonte le temps pour installer le décor de son intrigue à l'époque de Louis XIV. Le royaume de France avait le vent en poupe, fort de la découverte du nouveau monde par Christophe Colomb, il s'impliqua dans le jeu des conquêtes de nouveaux territoires en s'assurant des possessions en Amérique du nord et dans les Caraïbes. Pour asseoir sa domination, la France avait besoin de colons robustes et déterminés capables de dominer des autochtones réfractaires, surpris de voir débarquer dans leurs contrées des humains comme eux mais qui ne leur voulaient pas que du bien. Ces colons, soldats et administrateurs installés sur ces nouvelles terres, avaient aussi besoin pour supporter l'exil et l'éloignement du pays natal d'avoir des compagnes et épouses pour peupler leur solitude et s'enraciner tout en calmant les démons de midi qui frappent aux portes de leur libido. Le royaume de France avait trouvé la parade en envoyant des cargaisons entières de femmes issues des orphelinats appelées "filles du Roy" et de filles faisant les trottoirs des grandes villes. Il donnait aux premières la possibilité de vivre une véritable aventure familiale et aux autres de se repentir en sauvant leurs âmes vouées à la débauche. Raphaël Confiant pour étayer cette stratégie de domination coloniale, nous conte l'histoire exemplaire de Marie- Héloïse qui fait partie des "filles des Roy". Celle-ci a été abandonnée à la naissance et élevée par une nourrice dont le souvenir l'accompagnerait tout au long de sa vie comme un viatique salvateur. Tous les instants de sa vie ont été marqués par cette odeur particulière de la nourrice, ses gestes et sa voix singulière. Donc, à l'âge de vingt-ans, elle fut sélectionnée pour rejoindre "La neuve France" appelée aujourd'hui le Canada. Elle embarqua à la Rochelle à bord d'un bateau baptisé "Le Saint Louis". Une traversée mouvementée où elle connut tous les ingrédients de l'aventure entre les flots démoniaques de l'océan et les coups de boutoirs des pirates à l'affût d'un butin hypothétique sans perdre de vue les convoitises lubriques des marins. Le courage du capitaine et son équipage et la résistance héroïques des filles permettent à cette équipée d'atteindre son port d'attache. Dès l'arrivée, les filles rencontrent les prétendants venus à la recherche de l'âme soeur. Chacun de ces célibataires endurcis par le travail et le climat jette son dévolu sur une des filles présentes dans ce "speed-dating" géant pour reprendre une expression moderne. La rencontre ne dure pas longtemps et rapidement un futur mariage se conclut sous l'oeil vigilant de la mère supérieure. Marie- Héloïse après moult hésitations accepta de se lier à un bûcheron d'origine Ardéchoise répondant au doux nom de Paul- Emile. Ce dernier est un travailleur acharné rêvant d'une progéniture prolifique n'eut pas beaucoup de chance avec ses voisins blancs qui lui cherchaient querelle à tout moment, conduisant à des luttes intestines sous le regard hostile des Iroquois qui n'acceptaient pas qu'on profane le territoire de leurs ancêtres. Sa résistance céda et il décida de revenir dans la vieille France mais en embarquant avec Marie- Héloïse à bord de "la Licorne" un bateau amarré au quai, ils se retrouvèrent plein sud dans les Caraïbes à Saint-Domingue. Loin des forêts touffues du nord, Paul Emile et Marie- Héloïse furent contraint de cultiver comme le veut la coutume locale la canne à sucre en s'établissant sur une plantation rachetée à un colon ayant fait faillite. Les deux nouveaux arrivants découvrent les conditions de vie des esclaves et les aléas d'une reconversion professionnelle inattendue. L'arrivée accidentelle et non programmée sur cette terre, rendit malheureux Paul- Emile. Marie- Héloïse relativisa ce mauvais tour que leur a joué le destin grâce à ses lectures incessantes et le journal qu'elle tenait et dont l'auteur ne cesse de livrer des fragments par intermittence aux lecteurs. Ainsi, on suit de près la narration de l'histoire et les pensées profondes de Marie- Héloïse. Lors de ce séjour presque infructueux dans les Caraïbes françaises, elle perdit son mari et son nouveau-né Aymeric. Les malheurs se suivent sans aucun répit pour l'âme de cette jeune femme aux grandes espérances et cela se verra quand un colon  répondant au nom de sieur Laforgue vienne remplacer au pied levé son défunt mari en s'accaparant sa plantation et le produit de ses récoltes sans en référer à Marie- Héloïse. Redevenue presque libre et sans le sou, elle eut envie d'ailleurs pour se refaire, elle choisit comme destination la Martinique en voguant sur le "Dauphin-Royal". Mais ce vaisseau de malheur fut intercepté par les indiens Kalingos. Se retrouvant prisonnière une nouvelle fois, elle put s'échapper en débarquant au Fort-Royal. La beauté et le charme de Marie- Héloïse subjugua l'assistance qui la prit pour la comtesse de Jolignac. Sa chevelure et ses manières très sophistiquées pour les moeurs rudes des Européens déjà établis sur place, suscitèrent un intérêt particulier pour elle la propulsa en femme la plus convoitée de l'Île. Un riche planteur remporta le consentement de Marie- Héloïse. La voilà installée une nouvelle fois dans un grand domaine et découvrant les mauvais traitements subis par les esclaves et les abus infligés aux femmes de couleur. Toutes ces thématiques liées à la violence et à la domination entrent en résonance avec les propos et l'idéologie de certains partis extrémistes dépourvus d'humanisme. Raphaël Confiant comme à son habitude par son style enchantant et son talent de conteur nous ouvre les yeux sur la persistance de la bêtise malgré les évolutions et les luttes salvatrices.

Slimane Ait sidhoum.

Raphaël Confiant, Marie-Héloïse, fille du Roy, Mercure de France, en librairie le 5 septembre 2024.

Connexion utilisateur

Dans la même rubrique

Commentaires récents

  • Jean Crusol : "Première tentative d'un gang du narcotrafic de s'imposer dans le paysage politique et social de la Martinique"

    VOUS ACCUSEZ LES MANIFESTANTS MAIS...

    Albè

    20/11/2024 - 10:47

    ...vous vous bouchez les yeux quand il s'agit d'identifier les VRAIS responsables de la situation Lire la suite

  • Jean Crusol : "Première tentative d'un gang du narcotrafic de s'imposer dans le paysage politique et social de la Martinique"

    Propos gravissimes de Crusol

    Nuit noire

    19/11/2024 - 13:10

    Les propos de Crusol sont gravissimes .C'est néanmoins une analyse originale qui mérite qu'on s'y Lire la suite

  • Martinique : un référendum sur l'indépendance pour mettre fin à la chienlit ?

    La constitution s'adapte

    MONTHIEUX Yves-Léopold

    17/11/2024 - 19:16

    Rien de plus facile que de modifier la constitution. Lire la suite

  • Martinique : un référendum sur l'indépendance pour mettre fin à la chienlit ?

    Petit rappel de droit constitutionnel.

    Nuit noire

    17/11/2024 - 18:05

    En droit français actuel PERSONNE ,même pas Macron ne peut "octroyer" l'indépendance à un territo Lire la suite

  • Martinique : un référendum sur l'indépendance pour mettre fin à la chienlit ?

    OCTROI D'INDEPENDANCE

    Albè

    17/11/2024 - 17:51

    C'est ce que l"Angleterre a fait dans la Caraïbe anglophone et personne ne la déteste à Grenade, Lire la suite