"Versatile" se dit "Palayi-Palaya" en créole

Une enquête récente, publiée ces jours-ci dans le quotidien Le Monde, révèle que la langue tahitienne est en grave danger de disparition.

   En effet, seuls 25% des Tahitiens utilisent aujourd'hui leur langue, pourtant millénaire, dans les échanges intra-familiaux. En clair, la grande majorité des parents ne l'utilisent plus pour parler avec leur progéniture laquelle en vient à ne plus la maîtriser du tout. Pourtant, le tahitien dispose d'une académie, d'une graphie et est enseigné à l'école depuis beaucoup plus longtemps que le créole. Si l'on de dispose pas de chiffres, faute d'enquêtes, pour les échanges intra-familiaux en créole, on peut à vue d'oeil ou à tout le moins à l'oreille, estimer qu'ils avoisinent les 40%. D'autre part, s'il y a désormais des jeunes Tahitiens qui ne comprennent plus du tout la langue de leurs parents, ce n'est pas le cas des Antillais. Même quand ces derniers ne parlent presque jamais, voire jamais, le créole, il n'y en a aucun qui ne le comprenne pas. Même chez Békés ou la bourgeoisie dite de couleur. 

    Cette différence entre le tahitien et le créole tient à deux facteurs : le tahitien est radicalement différent du français alors que le créole est né, non pas du français (comme on le répète à loisir) mais des dialectes d'oïl (normand, poitevin, vendéen etc...) qu'utilisaient les colons du 17è siècle. Du choc plutôt entre la langue kalinago ou caraïbe, des dialectes d'oïl et de diverses langues africaines, notamment l'éwé et le fon. Paradoxalement, cette proximité partielle du créole avec le français le protège d'une disparition brutale comme c'est le cas du tahitien mais constitue un piège à moyen terme : il va se diluer petit à petit, sans qu'on n'y prenne garde, dans le français. Ce processus mortifère mais assez peu visible pour le locuteur moyen a commencé à la fin des années 60 du 20è siècle lorsque la quasi-totalité de la population antillaise a été scolarisée.

   Cette dilution progressive et invisible du créole se manifeste par le remplacement progressif des vocables et des expressions idiomatiques créoles par leurs équivalents français : nénifa remplace chapo-dlo (nénuphar), libélil remplace marisosé (libellule) ou encore dégerpi (déguerpir) remplace pwan lanmè sèvi savann. Seul l'instauration de cours de créole obligatoires (et non facultatifs comme c'est le cas) dès l'école primaire pourrait inverser cette tendance mortifère. On en est, hélas, fort loin ! Est-il trop tard ? Difficile à dire. Et c'est là qu'intervient un autre facteur qui différencie le cas du tahitien de celui du créole : l'immigration créolophone en provenance des îles voisines (Haïti, Sainte-Lucie, Dominique etc.). Elle freine le processus de décréolisation linguistique. Les employeurs des Haïtiens sont bel et bien obligés d'échanger en créole avec eux !  Autre exemple assez peu connu des Martiniquais : le Market Day (Jour de Marché). De quoi s'agit-il ? Voici : une fois par semaine, les Sainte-Luciens sont autorisés à venir en Martinique pendant une journée, juste une journée (cela demande 45mn de bateau ou 15 mn d'avion) pour y faire des courses. Leur passeport est alors retenu par la douane, ce qui les contraint à réembarquer le soir même pour leur île. On pourrait penser que certains en profiteraient pour rester en Martinique, or ce n'est pas du tout le cas. Il est possible que certains choisissent d'être illégaux mais s'ils étaient nombreux, il y a belle lurette que la Préfecture aurait supprimé le Market day. Quand donc des Saint-Luciens débarquent à Fort-de-France pour y faire des achats, on pense bien que ce n'est ni en anglais ni en français qu'ils s'expriment mais bien en créole. Et nos commerçants sont bel et bien obligés de leur répondre dans la même langue. Le tahitien, lui, ne dispose ni d'une proximité partielle avec le français ni d'une immigration en provenance de pays tahitianophones.

   Pour en revenir à la décréolisation laquelle est moins critique que la détahitianisation, il n'en demeure pas moins qu'elle est, sournoisement certes, à l'oeuvre. On peut ainsi entendre la phrase suivante : 

   Konpè'w la ni an ti manniè versatil ki man pa djè enmen : ton ami a un petit côté versatile que je n'apprécie guère.

   Or, il existe un terme tout ce qu'il y a de créole pour rendre versatile palayi-palaya.  

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