Au Burkina Faso, une université franco-arabe engagée contre la radicalisation de la jeunesse

Par Sophie Douce (Bobo-Dioulasso, envoyée spéciale)

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Bobo-Dioulasso, dans l’ouest du pays, Amadou Sanogo a créé l’institut As-Salam pour enseigner les sciences islamiques, les lettres modernes et la traduction.

Huit heures trente, derniers selfies avant d’entrer en classe. Comme chaque vendredi, jour de prière chez les musulmans, les étudiants de l’institut As-Salam ont revêtu leur boubou préféré et le costume traditionnel de leur village. « Ce n’est pas obligatoire, ils s’habillent comme ils veulent, mais c’est l’occasion de valoriser leur culture », se réjouit Amadou Sanogo, le directeur de ce complexe scolaire et universitaire, à Bobo-Dioulasso, dans l’ouest du pays.

Au Burkina Faso, As-Salam est la seule université privée, reconnue par l’Etat, à enseigner à la fois les sciences islamiques, les lettres modernes et la traduction. Cours de langues, étude du Coran, histoire des religions, littérature française et africaine… L’ambition de son fondateur, El Hadj Amadou Sanogo, est d’en faire « une école de paix et de tolérance », dans un pays confronté à la radicalisation d’une partie de la jeunesse et à la multiplication des attaques perpétrées par les groupes djihadistes.

Ce matin-là, au premier étage de l’institut, les étudiants de première année de licence de sciences islamiques débattent d’une sourate, assis à leur pupitre. « Il ne faut pas juger la couleur de peau », lance un élève en se levant. « Oui, le racisme est l’un des maux qui minent notre société », acquiesce le professeur de théologie, au tableau.

Trente heures par semaine, ils étudient le Coran, l’histoire de l’islam et la jurisprudence. « L’idée est de les aider à développer un esprit critique », résume le directeur Amadou Sanogo, qui a élaboré le programme en s’appuyant sur des docteurs et des conférenciers reconnus.

Promouvoir le malékisme

Son objectif : lutter contre la « mauvaise compréhension » des textes et promouvoir le malékisme, un courant modéré du droit musulman sunnite, majoritaire en Afrique de l’Ouest, qui prône notamment l’intérêt commun et tient compte des coutumes locales.

« On enseigne un islam tolérant et intégré à la culture africaine, alors que de plus en plus de jeunes sont influencés par un discours radical importé et pensent qu’il faut faire le djihad [la guerre sainte], parfois par la force », regrette ce leader religieux. En l’absence de statistiques officielles, il est difficile d’estimer le nombre de musulmans pratiquant une version rigoriste de l’islam au Burkina Faso.

Dans ce pays du Sahel, longtemps cité comme un modèle de pluralisme religieux dans la région, la diffusion d’un islam « venu d’ailleurs » s’est intensifiée dans les années 1970, avec l’arrivée d’ONG d’Arabie saoudite et du Qatar, qui ont financé la construction d’écoles et de mosquées. Faute d’établissements universitaires spécialisés dans le pays, des étudiants burkinabés bénéficient également de bourses pour se former dans les pays du Golfe.

« Mais là-bas, on leur enseigne la doctrine wahhabite, plus radicale, et leurs diplômes ne sont pas reconnus ici », précise Amadou Sanogo qui sait de quoi il parle, ayant lui-même étudié à l’université islamique de Médine, en Arabie saoudite. De retour à Bobo-Dioulasso, sa ville natale, en 1989, cet imam commence par reprendre le flambeau de la vieille école de son père.

« Comme notre deuxième papa »

Ce dernier est l’un des premiers à avoir ouvert des classes bilingues franco-arabes dans l’ancienne Haute-Volta, devenue le Burkina Faso, pour éviter que les familles musulmanes envoient leurs enfants dans les « médersas », les écoles coraniques, au Mali voisin, haut lieu d’apprentissage de l’islam dans la région.

Plus de 2 000 écoles franco-arabes ont depuis vu le jour dans le pays, représentant environ 50 % des établissements primaires privés et 10 % des enfants scolarisés. Mais ces structures, souvent mal encadrées, manquent de moyens et d’enseignants qualifiés et peinent à appliquer les programmes de l’Etat.

Amadou Sanogo, fondateur et directeur de l’institut As-Salam, à Bobo-Dioulasso.

Amadou Sanogo décide, lui, de combiner les matières générales, en français, aux cours d’arabe et de religion, pour permettre à ses élèves de passer le même examen que dans le public. Il ouvre un collège et un lycée en 1996, avant de fonder, en 2018, l’université As-Salam, dans la cour voisine. L’ensemble compte près de 3 000 élèves et étudiants et propose un « système d’apprentissage accéléré » de la langue française.

« Ceux qui sortent d’écoles coraniques parlent surtout l’arabe, c’est un gros problème s’ils veulent intégrer un cursus classique ou trouver un emploi après », souligne Mamoudou Zouon, l’un des enseignants de FLE (Français langue étrangère) de l’institut, soutenu par l’ambassade de France au Burkina Faso.

A As-Salam, le directeur veille sur chacun des élèves, suit les anciens et échange régulièrement avec les parents. « Il est un peu comme notre deuxième papa, on se confie à lui dès qu’on a un problème », raconte Mamady Touré, un étudiant de 22 ans, qui rêve de faire un doctorat en études arabes et a appris à lire et à écrire, à 5 ans, à l’école de M. Sanogo. « On leur enseigne la discipline et l’entraide, toutes les ethnies et religions sont mélangées ici », insiste ce dernier.

Former un « barrage d’intellectuels »

L’école, qui accueille beaucoup d’enfants du quartier, compte aussi des chrétiens et des animistes dans ses classes françaises. Si les familles les plus démunies sont dispensées des frais de scolarité, les tarifs varient de 35 000 à 80 000 francs CFA (de 53 à 120 euros), au niveau primaire et secondaire, et jusqu’à 200 000 francs CFA (300 euros) pour l’enseignement supérieur.

« J’ai une centaine d’enseignants à payer et ça reste difficile, chacun essaie de contribuer en apportant des craies, des cahiers », indique Amadou Sanogo. Son établissement ne bénéficie pas de subventions de l’Etat, lequel a néanmoins déployé deux instituteurs, prend en charge une partie des salaires de neuf enseignants et a construit deux salles de classe.

Depuis 2015, le ministère de l’éducation burkinabé a un programme d’accompagnement destiné à certaines structures privées franco-arabes du primaire, financé par la Banque islamique de développement (BID) et l’Union européenne. Il vise notamment à former les enseignants et imposer un manuel scolaire en langue arabe unique. « Mais il devient de plus en plus difficile d’avoir de la visibilité sur les écoles restées ouvertes dans les zones contrôlées par les groupes armés », regrette Amadou Sidibé, le coordonnateur de ce programme.

La montée de l’extrémisme religieux inquiète Amadou Sanogo. « Le manque d’éducation, d’opportunités économiques et de perspectives d’avenir constitue un terreau fertile pour le recrutement des jeunes dans les groupes armés » alerte l’imam, qui a créé deux centres de mémorisation du Coran, dès 11 ans, à Bobo-Dioulasso pour mieux encadrer l’apprentissage des textes. Face à l’aggravation des attaques djihadistes dans le pays, il veut former un « barrage d’intellectuels », de chercheurs, de traducteurs et d’enseignants, qui pourront diffuser leur savoir et « guider » les égarés.

Depuis la création de l’institut As-Salam, soixante-dix anciens ont créé leur propre école franco-arabe ou sont devenus instituteurs. Le directeur veut aussi créer une filière professionnelle, avec des formations en électricité, en maçonnerie et en informatique, et nouer des partenariats avec d’autres universités africaines pour faire de son établissement « un centre de référence » dans la sous-région.

Sophie Douce(Bobo-Dioulasso, envoyée spéciale)

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