Le texte de Chamoiseau paru dans le monde est très beau et sa description et le « syndrome du poulailler » a de beaux jours devant lui.
Il reste que j’ai deux désaccord majeur avec ce lui.
D’une part, il fait état pour la Martinique d’une « postcolonie ». Je récuse tant juridiquement que politiquement ce terme. La Martinique est une colonie, un pays dépendant d’une métropole au sens du droit international public, loin de l’habillage pseudo juridique de l’impossible assimilation.
D’autre part, Chamoiseau souhaite que la constitution française soit changée pour permettre aux « peuples nations » « de vivre sans crainte leurs projections, et d’aller au bout de leurs diverses imprévisibles, irréductibles, maturations ». Il rejoint en cela une idée affichée par Letchimy en 2010 pour s’opposer à la (petite) réforme de l’article 74. Le président du PPM lui aussi voulait que la France change sa constitution pour y inscrire le droit à une possible autonomie sans risque.
Bref, conditionner notre destin de « peuple nation » au choix de la France et sa classe politique est tout à fait contraire à l’idée d’émancipation. Mais surtout, il est illusoire de supposer que la France va accepter de mettre en place un cadre généreux permettant notre épanouissement.
La simple expérience de la Kanaky et le rôle néfaste joué par Macron pour enterrer les accords de Matignon/Nouméa démontrent le danger d’une telle démarche.
On observera que l’actuel président du Comité Exécutif n’a aucune légitimité (on peine à rappeler que la « majorité » actuelle de la CTM représente à peine 17% du corps électoral en Martinique) pour réclamer quoique ce soit à la France pour la Martinique car non seulement il n’a pas fait campagne pour cela mais en outre ce qu’il réclame est un énième aménagement de notre dépendance. On observera que depuis le début de la colonisation, il y a eu de nombreux aménagements et que ceux-ci se sont multipliés depuis ces dernières années, preuve d’un système à bout de souffle. En réalité, Letchimy tente d’expliquer à Macron comment faire pour préserver le système actuelle pourtant marqué par une inégalité profonde et une hiérarchie sociale à base raciale.
Ce n’est donc pas la France qu’il faut tenter de convaincre (avec peu d’espoir d’y arriver) de nous laisser un peu d’espace pour respirer et vivre comme un peuple libre mais bien mobiliser les énergies martiniquaises pour créer une alternative nationale.
Les démarches sont antagoniques.
Notons en passant que le discours des élus depuis quelques mois vise à obtenir ou de nouvelles habilitations ou de nouvelles structures aux pouvoirs limités sur telles ou telle matière (l’eau, la mer, etc…). Cette balkanisation sans moyens réels ne va rien changer à la réalité de l’actuel échec social, économique et environnemental. Pire, elle conforte l’image d’élus incompétents et incapables de faire face aux difficultés quotidiennes.
Il faut un pouvoir martiniquais sur toutes les réalités martiniquaises et non quelques compétences octroyées ça et là au gré des difficultés et des évolutions. Ainsi, l’état français dont c’est la mission régalienne qui s’avère incapable de lutter contre les sargasses depuis près d’une dizaine d’années n’a pu que se réjouir de la demande de la CTM de créer une structure unique de lutte contre ce fléau.
Créer une alternative nationale implique avant tout la clarté.
Sinon un programme de lutte, je voudrai proposer quelques pistes de travail.
En premier lieu, sur la question de l’unité. Il est beau de crier que les martiniquais ne savent pas s’unir et réclamer une unité à tort et à cri. La société martiniquaise est traversée de contradictions et il est, là aussi, illusoire de croire que tout le monde sera d’accord sur tout. Il existe une partie de la population qui profite du système actuel et nul doute qu’elle veut le préserver. Il faut rallier une majorité à un projet et nul doute que ce sont ceux qui pâtissent le plus aujourd’hui du système qui seront en première ligne.
Les bases d’une unité (d’Organisations ? de personnes ? constitution de Front ?) doivent être claires. De Fabulet à Césaire en passant par Bissète, nous, nos supposées élites ou leader, n’avons eu de cesse de vouloir ménager la chèvre et le chou avec le résultat que l’on sait.
Je pense que pour qu’une unité soit solide il faut poser certaines règles de base. Ce qui suit est loin d’être exhaustif mais serait un minima.
1°) la Martinique est une colonie. Il faut en finir avec les analyses pseudo-savantes sur la « colonisation réussie », notre « supposée exception ». La Martinique est une colonies avec des caractéristiques particulières. Il est temps de finir de nous prendre comme un zoo particulier. Nous sommes une nation dominée. Point.
2°) Nous sommes un peuple. Il existe un peuple martiniquais. Cela parait évident et facile à dire mais cela devrait avoir des implications bien concrètes. Ce peuple doit être reconnu et son droit à disposer de lui-même respecté par la puissance française. Nous sommes martiniquais, donc ni français, ni africain, ni indien, ni créole. Croire que la solution se trouve ou en Europe ou en Afrique ou ailleurs découle de cette même conséquence d’une alinéation (ou aliénation à rebours) nous faisant douter de nous. La lutte doit être menée en Martinique. Elle n’est pas raciale. Le combat contre la caste békée n’est pas fondée sur l’idée qu’ils sont blancs mais bien qu’elle constitue la force économique dominante grâce au soutien de la puissance coloniale. Notre combat n’est ni racial, ni noiriste. Il est national
3°) le combat de la libération se mène et se dirige en Martinique. Nous devons cesser d’attendre une solution de France ou d’ailleurs. Nous devons donc sortir du face à face avec la France et nous inscrire plus résolument dans notre bassin géographique. Il est impératif qu’un mouvement de libération en Martinique développe ses relations avec les pays et organismes de la Caraïbe. Il ne doit pas s’agir d’être le cheval de troie de la France dans les institutions régionales mais bien de s’appuyer sur celles-ci (CARICOM, AEC, OECO, ALBA, etc…) pour faciliter notre décolonisation.
4°) Nous ne pouvons à la fois combattre le système et en même temps le nourrir et le faire vivre. Il existe une contradiction à gérer les institutions coloniales que l’on combat. En outre, contrairement à ce qu’on pense, cette gestion ne convainc pas le peuple de la compétence des élus mais bien de leur simple utilité dans le cadre colonial. C’est un dangereux leurre et l’expérience du MIM est une terrible leçon à cet égard. Est tout aussi illusoire de penser que le pouvoir se conquiert pas à pas à la barbe du dominant.
5°) Le mot d’ordre doit être l’indépendance. L’argument sur la nécessité de trouver un mot d’ordre moins choquant (autonomie, souveraineté, etc…) au motif que le peuple ne serait pas prêt est critiquable. Le plus souvent, on se cache derrière le peuple pour expliquer ses propres renoncements. Pour bâtir un rapport de force, il est fondamental de ne pas se mettre en position de faiblesse dès le départ en minorant sa revendication. L’intégrité impose de dire la vérité et seule la rupture peut poser les bases d’une mobilisation nécessaire pour arracher la décolonisation. Il est possible qu’à un moment T on puisse être amené à accepter un compromis mais cela ne peut se concevoir qu’après ou au cours mais jamais avant la lutte.
6°) Une lutte politique ne peut se concevoir sans programme politique, économique, social et écologique. L’indépendance ne doit pas être un simple mot avec un drapeau. Il doit avoir un contenu et une signification. Il reste qu’un tel programme ne peut se concevoir que s’il est à l’avantage des plus défavorisés. Il faut répondre aux questions sur la réforme agraire, l’expropriation des terres, le contrôle des moyens de production, le sort de la puissance économique békée, l’autosuffisance alimentaire, les rapports avec les autres pays de la Caraïbes, etc…
Voici.
Tout cela peut paraître ambitieux mais je ne pense pas que nous puissions échapper à ce minimum à assumer. C’est le prix de la dignité et la liberté.
Cette unité à bâtir doit dépasser les structures actuelles (y compris la mienne) et permettre d’intégrer celle et ceux qui veulent se battre résolument contre le pouvoir colonial.
Depuis près de 400 ans, nous avons privilégié le « débrouya pa péché » en tentant de contourner les obstacles pour ne pas affronter. Cette volonté (noble ?) de préserver a peut-être valu un temps mais en l’état elle conforte une situation et une crise qui mettent en cause l’existence même de notre peuple. A titre de simple exemple, lors de cette rentrée scolaire, les personnes scolarisées représentaient à peine 20% de la population. Il y a 20 ans, c’était plus de 30%. Il faut arrêter cette course folle et le fait colonial est incapable d’enrayer cette chute car c’est dans sa nature.
En 2035, la colonisation atteindra quatre siècles.
JA KA TA.
Raphaël CONSTANT
Militant Patriote
J'ai le plus grand mal à comprendre l'attitude de la droite assimilationniste à l'égard du RPCRAC Lire la suite
...OUVERT. Tel devrait être le nouveau nom de la Martinique !
Lire la suiteIl y a une quatrième raison plus puissante que les trois précédentes réunies. Lire la suite
A quand la continuité territoriale entre Grand-Rivière et Ste Anne ?
Lire la suiteMalgré la rage qui me ronge de voir mon île dévastée par des étrangers venus d'ailleurs qui sont Lire la suite
Commentaires
Précisions
OuiNon
08/09/2022 - 20:14
"Une lutte politique ne peut se concevoir sans programme politique, économique, social et écologique. L’indépendance ne doit pas être un simple mot avec un drapeau". J'ajouterais que le programme doit être le plus réaliste possible. Une étude attentive des îles indépendantes de la caraïbes peut être utile ) cette fin.
il faut aussi que l'analyse de la situation présente soit précise. Par exemple, l'article impute la baisse de la population scolaire en Martinique au "colonialisme". C'est vague, mais admettons. Dans l'esprit de l'article, je suppose que la Guyane est aussi une colonie. Or (d'après l'INSEE), à l’horizon 2030, le système éducatif guyanais devrait accueillir 120 000 élèves, contre 78 000 en 2015, soit une hausse de 55 % en 15 ans.
Enfin le PKLS se réveille !!!
Rose
08/09/2022 - 20:32
" un programme politique, économique, social et écologique"....J'ajouterais "chiffré"
GAZ NATUREL
Albè
09/09/2022 - 10:05
J'ai lu sur ce site un article du journal "LIBERATION" qui fait état de l'évaluation par une compagnie américaine d'un gisement de gaz naturel se trouvant au large de la Caravelle et contenant 30 milliardss de mètres-cube. L'article est paru en 2004 et sauf à admettre que "LIBERATION" et cette compagnie américaine sont des farceurs, pour quoi personne n'en parle ? Aucun parti politique martiniquais de la droite à l'extrême-gauche en passant par les autonomistes ne pipe mot là-dessus. Pourtant, le monde est frappé par une grave crise du gaz naturel et 30 milliards de mètres-cube, ça correspond, si on les vend sur le marché mondial, à 5 millions de fois le budget annuel de la CTM.
DES PAROLES .... AUX ACTES.... IL Y A PARFOIS PLUS QU'UN PAS!!!
Karl
12/09/2022 - 07:54
ENFIN LE PKLS SE RÉVEILLE !!!
Ah bon, il était endormi???
"les personnes scolarisées représentaient à peine 20% de la population. Il y a 20 ans, c’était plus de 30%. Il faut arrêter cette course folle et le fait colonial est incapable d’enrayer cette chute car c’est dans sa nature". On fait comment ? On interdit les départs des étudiants en France et de tout autre personne? On oblige les femmes en âge de procréer d'avoir 5 enfants? On réquisitionne pour les loger toutes les lieux d'habitation inoccupés et ceux qui sont sous utilisés se voient imposer des résidents logés gratuitement?
"Une lutte politique ne peut se concevoir sans programme politique, économique, social et écologique. L’indépendance ne doit pas être un simple mot avec un drapeau. Il doit avoir un contenu et une signification. Il reste qu’un tel programme ne peut se concevoir que s’il est à l’avantage des plus défavorisés. Il faut répondre aux questions sur la réforme agraire, l’expropriation des terres, le contrôle des moyens de production, le sort de la puissance économique békée, l’autosuffisance alimentaire, les rapports avec les autres pays de la Caraïbes, etc…"
Il faut donc croire que, puisqu'un tel programme n'existe pas, la aucune lutte politique digne de ce nom n'était menée!!!
Par ailleurs, il n'y aurait que la puissance économique des békés? Celle de nègres disposant d'un patrimoine foncier et immobilier non seulement en Martinique mais aussi au cœur de la métropole coloniale ne serait pas concernée?
Les têtes de chapitre de programme économique esquissé ressemble, à s'y méprendre, au programme des bolchéviks lors de la révolution d'octobre 1917. Il y manque l'industrie lourde, les sovkozes et les kolkozes, mais ça viendra...