Cocorico siamois

Patrick Chesneau

   Bangkok surclasse Paris et devient la ville la plus visitée au monde. Enthousiasmant pour la Cité des Anges. On a ici la symbolique de la thèse et de l'antithèse. La capitale inventive et fascinante du plus beau des Royaumes contre celle qui se targue d'être la ville lumière. Bangkok incarne la ville qui ne dort jamais. 

   Par goût de la contradiction, Paris se ménage d'impressionnants temps de repos. En particulier, le rythme de l'activité ralentit sitôt le soir venu, sauf dans quelques quartiers très délimités faisant office de vitrine. Chacune des cités en compétition soupèse ses atouts, et met en avant ses plus beaux atours, pour séduire toujours plus de visiteurs. Le duel à distance prend appui, au départ, sur un déséquilibre de taille. Celui des forces en présence : trois millions d'habitants à Paris intra-muros, douze millions d'âmes dans la Venise de l'Orient. A partir de là, s'enchaînent les différences.

   Wat Arun cartonne plus que la tour Eiffel dans les préférences des touristes internationaux. Fait acquis désormais en la faveur du mythique temple-monument. Le Grand Palais rassemble plus de suffrages que l'Arc de Triomphe. Constat similaire dans toute une série de bras de fer :  l'îlot historique de Rattanakosin versus l'île de la Cité. Le fleuve Chao Phraya rivalise sans effort avec la Seine. Les long tail boats détrônent les bateaux mouches. La capitale française est certes riche de ses monuments historiques prestigieux mais ceux-ci n'éclipsent en rien les temples flamboyants de Bangkok. La ville phare de l'hexagone semble prise à la gorge, étouffant littéralement dans un corset appelé périphérique, quand The Big Mango caracole à perte de vue et déploie ses tentacules dans un panorama qui tutoie l'infini. Jusqu'aux confins proches de l'horizon. 

   La nuit, un tapis luminescent prend son envol vers le firmament. La forêt des tours stratosphériques indique la modernité connectée et futuriste de la mégalopole thaïlandaise. Son homologue française est plombée par l'abondance des immeubles haussmanniens. Les façades cossues en pierres de taille témoignent d'un passé illustre qui, aujourd'hui, stérilise l'innovation et empêche les hardiesses d'aménagement. Décor empesé peu propice aux fulgurances architecturales. Le patrimoine s'érige en facteur d'immobilisme. Alors que Bangkok joue à merveille de l'imbrication de ses quartiers ancestraux parsemés de masures en bois et les îlots avant-gardistes des immeubles en verre acier. Que peut espérer représenter la tour Montparnasse face à Maha Nakorn Tower couronnée de son skywalk en altitude ?  

Sur le plan de l'urbanisme, les Champs-Elysées peuvent certes prétendre à un lustre plus imposant que Rajadamnoen Avenue. Sinon, l'esplanade de Sanam Luang vaut bien le Trocadero. Et le Wat Phra Kew n'est pas loin de reléguer le Sacré Coeur au fin fond des dépliants pour touristes chinois. 

   Pour ajouter au constat désabusé qui dessert Paris, difficile d'ignorer le retard technologique qui pénalise l'agglomération. Avec de flagrantes répercussions dans la vie quotidienne. Un déficit de praticité mis en exergue par les multiples commodités fonctionnelles de la conurbation orientale. Exemple patent : les centaines de 7 Eleven ouverts 24H/ 24 d'un bout à l'autre de l'année face aux boutiques d'arrondissements parisiens. A 20H au plus tard, rideau baissé. Extinction des feux. Retour au bercail. Seules, quelques épiceries tardives deviennent des oasis de survie dans une ville soudain frappée d'atonie. En Thaïlande, il est tellement aisé de se restaurer à toute heure. Comment ne pas céder à l'engouement pour la street food omniprésente, préférablement aux quelques roulottes à gaufre et kebabs égarés aux abords du Champ de Mars ? Pour être magnanime, Paris offre une étonnante diversité culinaire dans la catégorie restaurants. Mais, topo identique pour Bangkok qui affiche de stupéfiantes propositions gastronomiques. 

   Autres éléments du contraste. D'un côté les rooftops audacieux. De l'autre, les terrasses au coude à coude de St Germain des Prés, lieux de promiscuité pour une simple pause-café. Que dire aux visiteurs touchés par une épidémie galopante de fièvre acheteuse ? Où étancher leur soif d'emplettes ? La Samaritaine peut-elle faire le poids face à Mah Boon Krong - MBK pour les familiers - et quid des Galeries Lafayette et du Printemps en vis à vis de Icon Siam, Siam Paragon, Central Embassy ou EmQuartier? En résumé, Bangkok, terre d'accueil des shopping Malls géants. Ouverts sans défaillir d'un bout à l'autre de l'année, hormis les jours fériés nationaux et les fêtes religieuses, d'une importance cardinale dans un pays à 95% bouddhiste. A l'opposé, Paris et alentours ont l'allure d'une contrée où survivent des centres commerciaux passablement obsolètes. Quant aux marchés, il serait cruel de préciser que les étals parisiens, tel celui de la rue Mouffetard, n'arrivent pas à la cheville de talat Klong Toei ouvert en continu jour et nuit ou talat Bang Kapi. L'écart est béant, tant par la profusion et la variété des denrées disponibles que par l'ambiance aussi enfiévrée que bigarrée.

  Dans la même veine, Chatuchak Market, qui opère chaque fin de semaine, l'emporte haut la main sur les puces de Saint Ouen. Bisbille commerciale à distance sur fond de disparités pécuniaires édifiantes. Tarifs prohibitifs à la française contre prix beaucoup plus conciliants au pays du sourire. Surtout en période de vacances, les budgets modestes y trouvent avantageusement leur compte. L'équation est simple : à Bangkok, il y en a pour tous les goûts et toutes les bourses. Dans un climat général de sécurité reconnue par tous les voyageurs venus des cinq continents. Paris, à l'inverse, voit sa réputation plombée ces dernières années par la multiplication exponentielle des incivilités ( pour rester dans la litote ).

   A la rubrique modernité existe un autre point de désaccord entre les deux capitales : les transports en commun. Bonus accordé sans réserve au MRT et au BTS (métro souterrain subway et aérien skytrain  ) à la propreté légendaire au détriment du métro à l'air vicié des sous-sols de Lutéce. Mention spéciale aux canaux de Bangkok, les celèbres klong, sillonnés du matin au soir par une noria de navettes.

   Dans cet exposé des motifs, un domaine assure à Paris une suprématie incontestée. Le champ immense de la culture. Les arts. La capitale française regorge de musées. Une aura mondiale. Littérature, peinture, cinéma, recherches graphiques et plastiques, design, musique...Elle est un paradis pour férus d'expositions, de manifestations d'excellence, de biennales en tous genres, de concerts exceptionnels. Les manifestations éclectiques au service de la beauté, l'esthétisme multiforme : Voilà le point fort incontestable, l'atout maître de Paris. 

   Minute papillon. Bangkok prend immédiatement sa revanche, et de quelle manière éclatante, au chapitre des plaisirs rétribués. Soi Cow Boy, avec ses accortes hôtesses aux yeux en amande, est derechef plus enjouée, plus sémillante que la rue Saint-Denis et sa faune en latex de contrefaçon, poupées-cerbères plantées comme des réverbères. Déguisées en horodateurs de l'amour tarifé tandis que les naïades affriolantes des gogo-bars et salons de massage de Patpong, sourires aguicheurs en bandoulière, incendient l'imaginaire des bidochons en goguette. Nana Plaza la scabreuse contre Pigalle la défraichie, match plié d'office. 

   Au total, Paris semble menacée par un scénario dantesque : une ville arthritique privée de fluidité sociale. L'espace public réduit à un alignement de visages austères. L'humeur ambiante maussade comme un ciel anthracite. À 11.000 kms de là, Bangkok, ville avenante, Eden des amours-orchidées, matrice de rencontres joyeuses et de fous rires démultipliés. La pétulance personnifiée. Même ceux qui vivent dans son intimité en restent bluffés. Paris vient de trouver plus attractive qu'elle. Saura-t'elle trouver la parade salvatrice ? 

 

Patrick Chesneau

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