Dégradations de statues : il était un fois Joséphine…

Le 27 octobre 2011 paraissait dans l’hebdomadaire ANTILLA la contrechronique intitulée « Haro sur Joséphine de Beauharnais » (voir Internet). Elle m’avait été inspirée non pas par la décapitation en effigie de l’Impératrice, mais par des événements du moment : « …le cri de colère d’une grande dame, la très estimée Olga Ménil, …l’intervention remarquée d’un jeune président d’association de Ste Thérèse », deux évènements qui laissaient indifférente la classe politique. Puis « les célébrations des victimes de la loi du 15 octobre 1960 et l’anniversaire de la mort de Frantz Fanon » qui, en revanche, mobilisèrent des dizaines de militants. Mais un sujet a été vécu comme une déclaration de guerre par les intellectuels martiniquais, en particulier des historiens : l’attribution par le gouvernement du label touristique dite « demeure illustre » à la demeure où Joséphine de Beauharnais naquit et vécut jusqu’à l’âge de seize ans ». « …Pour ces intellectuels, il y a une odeur de régalien et de négationnisme dans cette affaire : insupportable ! », écrivais-je. « Un débat fut promptement ouvert à la manière des débats martiniquais ; la conclusion étant connue d’avance, il s’agissait pour chacun de trouver le bon argument pour dire non à ce projet. »

« … C’est d’abord Patrick Chamoiseau, missionnaire de la Région Martinique, qui ouvre le ban avec sa formule « Maisons illustres ou lieux terribles ? » Je poursuivais : « Ainsi, l’histoire n’a pas retenu que l’épouse de Napoléon avait été à l’origine du rétablissement de l’esclavage en Martinique », mais dans l’esprit du récit national martiniquais il y avait besoin de convaincre les Martiniquais que Joséphine de Beauharnais était « une esclavagiste notoire ». « Notoire ! » En noyant ainsi le poisson, le dignitaire du PCM et historien Armand Nicolas ne prend pas beaucoup de risque. Il n’est pas en mesure d’apporter la preuve de l’assertion qui est donnée en pâture à la population. Mais il ne la dément pas et sa réponse est fléchée ». Dans « un appel à l’opinion publique », le Parti communiste martiniquais lui apportera un soutien moins timide. Justice écrira que l’impératrice a « encouragé son époux Napoléon Bonaparte à rétablir en 1802 cet odieux système aboli par la Révolution Française en 1794. » Cette mâle déclaration du parti communiste n’a pas le moindre support historique, mais elle colle parfaitement au cahier des charges du récit national en marche.

« Pour sa part, (…) l’agrégée Elisabeth Landi prend moins de libertés avec l’histoire. Mine de rien, elle infirme assez frontalement l’accusation de son collègue Armand Nicolas en assurant que « si Joséphine a été impératrice des Français, elle n’a pas eu d’action dans l’histoire de la Martinique » (…) Selon Mme Landi, Joséphine n’a pas fait du bien et n’a pas fait non plus du mal.  Mais la native des Trois-Ilets ne s’en sortira pas à si bon compte. Faussement dubitative, l’historienne pose la question « Est-ce que (Joséphine) c’est un personnage « essentiel » de la Martinique » ? « Je ne le crois pas », répond-elle. « A question prudente, réponse prudente, Mme Landi ne parvient pas à dire le « non » qu’on attend d’elle, comme si elle n’entendait pas cesser d’être l’historienne respectée qu’elle a été ». Respect qu’elle mérite encore en ce mois de mai 2020 lorsque, donnant son avis sur la controverse de ce jour, elle affirme "qu'on le veuille ou non, tous les martiniquais ne sont pas 100% african-american !"

« Mais l’argumentation la plus originale toujours conforme à la pensée unique est celle de l’historienne Marie-Hélène Léotin. Celle-ci reconnaît l’intérêt touristique pour la Martinique de distinguer les lieux retenus [donc la demeure de Joséphine]. Elle ne conteste même pas leur caractère historique, mais ce qui la choque c’est le qualificatif « illustre » que leur reconnaît le nouveau label touristique. Ce hiatus sémantique lui est insupportable : elle tient donc son « non », elle aussi ».

Quoi qu’il en soit, le résultat négatif connu d’avance [conforme au lahier des charges] est ainsi partagé par un Chamoiseau en mission, un Armand Nicolas qui dénonce l’action raciste de Joséphine, une Elisabeth Landi qui ne reconnaît pas à cette dernière d’action raciste mais ne l’absout pas pour autant, enfin, une Marie-Hélène Léotin qui condamne une grave erreur de sémantique. Pour ces deux petits mots, « maisons illustres », on assiste à une levée de boucliers de politiques et d’intellectuels qu’auraient souhaitée pour leurs justes causes Mme Olga Ménil ainsi que le jeune président de l’association des jeunes de Ste Thérèse soutenue par la seule Catherine Conconne, l’élue de la ville en charge des problèmes de sécurité. »

Deux enseignements apparaissent de ces longues citations.  Il n’est pas un seul historien martiniquais qui croit que Joséphine de Beauharnais ait été à l’origine du rétablissement de l’esclavage. Cependant tous se taisent ou biaisent leurs discours, et permettent ainsi de donner libre cours aux inventions du roman national. Aujourd’hui, à l’instar des vieux militants embourgeoisés, certains historiens effrayés par l’ampleur des dégâts, sortent du bois. Il est bien tard ! Les jeunes ne sont pas ignorants mais riches des enseignements qu’on leur a inculqués. Pendant 50 ans les historiens ont laissé dire et laissé faire. Rarement ils ont pris la plume pour condamner le révisionnisme et, par exemple, expliquer aux Martiniquais que le sort fait à la statue de Joséphine ne pouvait aucunement se justifier par son comportement pendant l’esclavage.

Ce silence coupable a permis de légitimer, chez les jeunes, un comportement négationniste qui a conduit à une véritable culture du vandalisme mémoriel. Hier Joséphine, aujourd’hui Schoelcher, demain…

Fort-de-France, le 29 mai 2020

Yves-Léopold Monthieux

Commentaires

En attendant Godot

Oui

17/04/2022 - 10:30

La statue de Joséphine, inaugurée en 1856, fut érigée à l'instigation de Napoléon III, alors empereur, dont Joséphine était la grand-mère. Sans ça, la Martinique ne lui aurait pas élevé de statue. En effet, à part y être née, Joséphine est étrangère à la Martinique : sa vie s'est faite en Europe.
La statue fut d'abord dégradée par sa décapitation. Pourquoi ? On n'en sait rien, les responsables ne s'étant pas fait connaître. On ne les a pas cherchés non plus... Dans l'ignorance, on allègue une influence de Joséphine dans le rétablissement de l'esclavage. Il n'y a pas de preuves historiques en ce sens. Mais peu importe, si ce n'était elle, c'était donc quelqu'un des siens, qui n'épargnaient guère les esclaves ; eux, leurs commandeurs et leurs chiens.
La statue décapitée devint une attraction touristique qui avait le mérite d'interroger l'histoire. Avant, la plupart des gens croisaient la statue sans bien savoir de qui il s'agissait. Un homme me dit que sa mère se signait à son approche, la prenant pour une représentation religieuse.
Puis, la statue fut abattue dans une curieuse hystérie. Cette fois, l'acte fut perpétré à visage découvert. Les protagonistes se disaient insultés par la statue. Ils ont été entendus par la police puis ont disparu de la scène médiatique. On n'en sait pas davantage.
Toutefois, il y avait du nouveau : la destruction concomitante de la statue de Belain d'Esnambuc et des statues de Schoelcher. La relation du premier avec l'esclavage se discute. Mais celle du second est claire : c'était un anti-esclavagiste qui, par son action au sein du Gouvernement provisoire de la Seconde République, obtint l'abolition de l'esclavage !
Qu'on abatte la statue de Joséphine parce qu'on pense, même à tort, qu'elle eut une responsabilité dans le rétablissement de l'esclavage, peut se comprendre. Qu'on abatte les statues de Schoelcher, qui obtint l'abolition de l'esclavage, est difficile à saisir.
Une clé est que l'esclavage fait l'objet d'une campagne d'appropriation par certains, qui dénient aux autres son évocation, que ce soit par l'histoire, la statuaire, les gravures (Cf. les étiquettes de Macouba), le cinéma (Cf. Case départ), etc.
En attendant Godot, ne subsiste de la statue de Joséphine qu'une part de son piédestal, maculé d'inscriptions. Semblable aux innombrables tas d'ordures qui parsèment le chef-lieu.

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