En attendant la chute du principe d’équivalence

Lancée en 2016, l’expérience Microscope a confirmé avec une précision inédite le principe d’équivalence qui est au cœur de la théorie de la relativité générale d’Einstein. Deux physiciens nous expliquent les implications de ce résultat

Qu’est-ce que le principe d’équivalence ?

Serge Reynaud1 . Selon le principe d’équivalence, deux corps lâchés en même temps dans le vide tombent avec une même vitesse et une même accélération, y compris s’ils sont de masses ou de compositions différentes. Galilée avait déjà étudié ce phénomène, notamment en utilisant des pendules. L’idée a été renforcée par les lois de Newton, où deux types de masses interviennent : la masse inertielle (celle qui « s’oppose » à l’accélération d’un corps massif, Ndlr) et la masse grave (celle qui provoque l’accélération d’un corps massif sous l’effet de la gravité, Ndlr). Alors que rien a priori ne les oblige à être égales, Newton a constaté qu’elles sont visiblement identiques. Les expériences avec des pendules ont été affinées jusqu’au début du XXe siècle, où elles ont vérifié que deux corps en chute libre avaient la même accélération avec une précision relative de 10-6. Depuis, la précision a été portée jusqu’à environ 2x10-13 en utilisant des balances de torsion. En analysant les premières données de la mission en 2017, Microscope2  avait permis d’atteindre une précision record de 2x10-14, encore nettement améliorée cette année dans nos résultats finaux avec un principe d’équivalence vérifié à 2,7x10-15.
 
Pourquoi cherche-t-on à vérifier ou infirmer ce principe ?
S. R. Si le principe d’équivalence était déjà connu de Newton, le terme est véritablement devenu essentiel avec Albert Einstein, qui a construit sa théorie de relativité générale en postulant que le principe d’équivalence était vrai. Cela lui a notamment permis de ne pas faire intervenir la masse dans les mouvements liés à la gravité, qui n’est alors plus décrite comme une attraction entre deux objets, mais comme une déformation de la géométrie de l’espace-temps. La théorie de la relativité générale a prédit de nombreux phénomènes avec succès, comme les ondes gravitationnelles qui ont été découvertes un siècle plus tard, mais on sait qu’elle est appelée à être un jour remplacée, car elle appartient à la physique classique. Cela signifie qu’elle ne prend pas en compte les phénomènes quantiques. Parvenir à unifier les théories de la gravitation avec celles du domaine quantique est un des principaux défis de la physique fondamentale contemporaine. Or la plupart des propositions qui s’en approchent prédisent une violation du principe d’équivalence. Savoir jusqu’à quelle précision le principe d’équivalence est vérifié permet à la fois de tester la relativité générale et de réduire l’espace des possibles pour les théories d’unification.

Gilles Métris3. Il y a une ambiguïté sur le terme même de principe d’équivalence, car, normalement, un principe est accepté et n’a pas besoin d’être testé. Il s’agit bien d’un principe dans le cadre de la théorie de la relativité générale et de la théorie classique, mais ce n’est pas un principe absolu pour toute la physique.
 
Comment l’expérience Microscope explore-t-elle le principe d’équivalence ?

G. M. Fondamentalement, le principe de l’expérience est assez simple puisque nous comparons juste la chute de deux corps. Pour cela, nous essayons d’obtenir la chute libre la plus longue possible, dans des conditions parfaitement contrôlées et avec un chronométrage extrêmement minutieux. Sur Terre, il existe des tours d’impesanteur comme celle de l’université de Brême, en Allemagne. Elles permettent d’observer très précisément des chutes libres pendant quatre secondes. Avec Microscope, la durée totale de chute libre cumulée utilisée dans nos mesures atteint cent trente-huit jours.

 

La tour d'impesanteur au Centre de technologie spatiale appliquée et de microgravité, à l'université de Brême.

 Frank Gayde /Stock.Adobe.com

Microscope y est parvenue car l’expérience s’est déroulée dans un satellite, or les corps en orbite sont comme en chute libre permanente. Les objets ont été installés dans une cage qui les protégeait des perturbations issues des résidus d’atmosphère. Cet enclos fonctionnait également comme un accéléromètre qui assurait que les masses libres ne percutent pas les parois du satellite lui-même freiné par ces frictions. Ainsi, les deux masses tombaient, mais demeuraient maintenues par une force électrostatique. C’est en mesurant la force nécessaire pour contrecarrer leurs déplacements qu’on pouvait alors calculer leur accélération.

La précision de Microscope revient à détecter le poids d’une mouche qui se poserait sur un supertanker. Il est impossible de le faire directement et nous avons contourné cette difficulté par deux stratégies complémentaires. Pour commencer, comme les masses cylindriques et le satellite sont en chute libre, nous ne mesurions que des différences d’accélération, de l’ordre de grandeur de la fameuse mouche, et non pas l’accélération totale. Ensuite, le satellite Microscope était équipé de tout un système de micro-propulsion qui permettait de compenser les variations d’accélération du satellite dues aux frottements de l’atmosphère résiduelle. Ce système a permis de stabiliser le mouvement de rotation du satellite sur lui-même à un niveau jamais atteint auparavant. Microscope s’est arrêté en 2018, avec l’épuisement du gaz alimentant le système de micro-propulsion.

D’où viennent donc les gains de précision qui vont ont permis d’obtenir ces résultats finaux ?

G. M. Depuis la publication des premiers résultats en 2017, nous avons continué à travailler pour réduire deux catégories d’erreurs. Les erreurs statistiques diminuent avec le temps et l’accumulation des mesures. C’est ainsi que nous avons amélioré notre précision d’un facteur dix. Mais ce faisant, nous nous exposons aux erreurs systématiques, qui surviennent lorsque l’on mesure un signal qui n’est en fait pas celui que l’on veut étudier. Nous avons donc réalisé de gros efforts pour prendre en compte différents effets, en particulier thermiques, afin de réduire leurs contributions aux erreurs systématiques.

 

Éclaté de l'instrument au cœur du satellite Microscope. On voit deux masses d'épreuves pleines, en platine, pour l'unité de référence, et deux masses d'épreuves en coupe, en titane doré (externe et interne).

 CNES/Virtual-IT, 2017

Quelles sont les pistes futures pour vérifier ce principe avec encore plus de précision ?

S. R. De nombreuses équipes travaillent sur ces questions. Microscope offre en tout cas un extraordinaire retour d’expérience, nous pouvons analyser ce qui a bien fonctionné et ce qui a limité la précision finale pour que les prochaines missions aillent plus loin. Pour la suite, on retrouve deux grandes approches. La première consiste à utiliser les enseignements de Microscope pour monter un projet similaire, mais en plus précis. La seconde serait de mener les expériences avec des atomes refroidis par laser jouant le rôle des masses à comparer. Ce domaine a bénéficié de nombreuses avancées ces dernières années, offrant un contrôle et une précision toujours plus poussés.

G. M. L’Office national d'études et de recherches aérospatiales (Onera) et le laboratoire GéoAzur4 ont déjà entrepris, sous l’égide du Centre national d’études spatiales (Cnes), des premières études pour un successeur de Microscope dans l’objectif de faire encore cent fois mieux. Par ailleurs, un projet basé sur les atomes froids a déjà passé un premier filtre de sélection de l’Agence spatiale européenne (ESA). Ces processus sont donc déjà engagés, mais, dans le domaine spatial, l’aboutissement des projets est toujours assez long. ♦

Notes

  • 1.Serge Reynaud est directeur de recherche émérite au Laboratoire Kastler Brossel (unité CNRS/Collège de France/ENS-PSL/Sorbonne Université) et membre du Science Working Group de Microscope.
  • 2.Le projet Microscope (Microsatellite à traînée compensée pour l’observation du principe d’équivalence) a été mis en œuvre par le Cnes, avec la participation de l’Onera, du laboratoire Géoazur, de l’ESA, du Centre allemand pour l’aéronautique et l’astronautique (DLR) ainsi que d’un groupe de travail scientifique (SWG) composé de différents experts (CNRS, Institut des hautes études scientifiques, Imperial College, université de Brème, DLR, université de Delft, Institut national de l’information géographique et forestière).
  • 3.Gilles Métris est directeur adjoint du laboratoire GéoAzur (unité CNRS/IRD/Observatoire de la Côte d’Azur) et co-investigateur principal de la mission Microscope.
  • 4.Cf. note 3

Éclaté de l'instrument au cœur du satellite Microscope.

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