En Guadeloupe, « si rien n’est fait, les eaux de baignade seront toutes interdites dans dix ans »

Depuis plusieurs années, les autorités alertent. Des pollutions provoquent ponctuellement l’interdiction de baignade dans l’eau de certaines plages ou rivières. En cause, une mauvaise gestion des eaux pluviales, mais aussi du réseau d’assainissement.

L’arrêté municipal surplombe la magnifique baie de l’Anse Tillet, en Guadeloupe, et le texte tranche avec le paysage de carte : cocotiers, sable roux et eau turquoise foncé de la mer des Caraïbes : « Interdiction de baignade pour cause de contamination à la bactérie Escherichia Coli ». La mesure est tombée à la toute fin du mois de janvier, interdisant l’accès à quatre plages du Nord Basse-Terre, une zone de l’île entre mer et montagne très prisée des riverains mais aussi des touristes, privés d’activités nautiques dans la zone.

Ce n’est pas le seul endroit concerné par des contaminations de l’eau aux matières fécales. En octobre dernier, une autre plage paradisiaque, de la Grande-Terre cette fois, était aussi interdite à la baignade pour les mêmes raisons. Et la situation se répète régulièrement sur des zones variées. « On fait les contrôles une fois par mois sur toutes les plages et rivières de la Guadeloupe », explique Marie-Anne Pons, ingénieure des études sanitaires en charge du suivi des eaux de loisirs, à l’Agence régionale de Santé (ARS) de Guadeloupe.

La pollution des rivières pire encore

L’historique des relevés de contrôles sur plusieurs années montre un résultat affligeant pour la réputation de l’Île aux Belles Eaux, le surnom de la Guadeloupe : depuis une dizaine d’années la qualité des eaux de baignade se dégrade drastiquement. Même si la qualité des eaux de mer s’est améliorée pour 21 % des 111 points de baignades répertoriés, 40 % d’entre eux ont connu une dégradation due à deux germes, quand 37 % ont été dégradés par des contaminations à un germe.

En rivière, c’est pire : sur les 17 points de baignade contrôlés, 76 % se sont dégradés avec la présence de deux germes. Pour autant, cela ne signifie pas que les seuils critiques de la présence de ces germes sont dépassés et la majorité des eaux de baignade restent d’excellente ou de bonnes qualités. « Mais ces contaminations sont un indicateur important de la qualité des eaux de baignade qui diminue, avec toutes les implications que cela peut avoir au plan sanitaire mais aussi environnemental », rappelle Patrick Saint-Martin, directeur du département de la sécurité sanitaire de l’ARS.

« En 2021, 80 % des systèmes d’assainissements étaient défectueux »

Les raisons de ces contaminations désormais chroniques sont plurielles. « Les animaux errants ou sauvages, mais aussi les pluies, du fait de la très mauvaise gestion des eaux pluviales, rappelle Patrick Saint-Martin. Mais surtout, l’assainissement. »

« Nous avons fait un état des lieux en 2021, qui a montré qu’environ 80 % des systèmes d’assainissements en Guadeloupe étaient défectueux, qu’on parle de collectif ou de non collectif », précise Dominique Laban, directeur de l’Office de l’eau de Guadeloupe, qui chaque année lance des appels à projet pour financer des réhabilitations de microstations d’épurations. « Il faudrait en faire 50 par an et on arrive parfois à 20 », note-t-il.

En 2021, la loi a décidé de la naissance d’un syndicat unique de gestion de eaux et de l’assainissement, qui doit, pour l’année en cours « réaliser les schémas directeurs de la politique de l’eau, et des investissements », a annoncé lors d’une conférence de presse le président dudit syndicat, mentionnant 25 millions d’euros pour l’assainissement, quand des audits datant de 2018 chiffrent à plus de 900 millions d’euros les dépenses nécessaires à la réhabilitation de tout le système. « Ces dysfonctionnements sont la raison pour laquelle les eaux de Guadeloupe sont 4 à 6 fois plus contrôlées par rapport à la norme, qu’on parle d’eau potable ou de baignade », précise Patrick Saint-Martin.

« Bombe sale »

« Depuis 2011, les collectivités chargées de plages ou de rivières où l’on se baigne doivent réaliser des documents appelés profils de baignade qui recensent les sources de pollutions potentielles afin de mieux le prévenir », explique l’ingénieure des études sanitaires en charge du suivi des eaux de loisirs de l’ARS. En novembre 2022, sur l’île, 43 zones (sur 129) n’avaient pas encore été profilées, 53 devaient être révisées. Et dans son audit daté d’octobre 2022, le conseil économique social et environnemental a prévenu de la « bombe sale » qui attend l’île : « En Guadeloupe, si rien n’est fait, les eaux de baignade seront toutes interdites dans dix ans ».

Connexion utilisateur

Dans la même rubrique

Commentaires récents