Douze mois ont passé, mais le goût amer de l’immense gâchis demeure. Trente-six ans de paix et de processus de décolonisation patiemment négociés, mis à bas par trois ans d’un gouvernement retrouvant ses réflexes coloniaux, n’écoutant que la frange radicale d’une droite calédonienne, au point de nommer sa représentante, Sonia Backès, comme ministre de la République. Des mois d’alertes venues de gauche comme de droite sur un texte, le dégel du corps électoral, qui touchait au cœur même de l’accord de Nouméa et à la réponse originale apportée au fond du problème : la Kanaky-Nouvelle-Calédonie est une colonie de peuplement.
Lorsque la révolte populaire éclate, le 13 mai 2024, après des mois de manifestations pacifiques, elle surprend par sa violence, la détermination et la localisation des insurgés : les quartiers populaires du Grand Nouméa, qui concentre aujourd’hui près des deux tiers de la population de l’archipel. Les barrages se multiplient, les incendies visent souvent les entreprises symboliques du système économique colonial. La situation tourne parfois à l’émeute urbaine.
Le 14 mai, sur décision du Premier ministre d’alors, Gabriel Attal, le gouvernement coupe purement et simplement le réseau social TikTok, mesure jugée illégale par le Conseil d’État en avril. Le 15 mai, l’état d’urgence est décrété. Le lendemain, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin cible la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT), l’outil de mobilisation des indépendantistes, l’accusant d’être une « organisation mafieuse et violente ».
Les révoltes surprennent également par leur durée : près de six semaines. Réalimentées par les déclarations incendiaires du gouvernement, des cadres de la droite locale, qui parle de « terroristes » ou de « racisme anti-Blancs » à propos d’un peuple autochtone vent debout. Réalimentées aussi par l’impunité dont semblent jouir les « milices blanches » qui ont tué au moins trois fois et que le procureur de Nouméa, Yves Dupas, a qualifiées de « voisins vigilants ». Quand dans le même temps, il désigne la CCAT comme une « organisation criminelle » en direct sur la radio anti-indépendantiste Radio Rythme bleu.
Une caricature de procureur colonial, ancien dirigeant du Camp Est, la prison misérable et surpeuplée de Nouméa, construite sur le lieu même de l’ancien bagne, où 90 % des détenus sont kanaks, les 10 % restants étant océaniens. Une mutinerie s’y produit d’ailleurs le 13 mai 2024 sur laquelle très peu d’informations ont filtré, si ce n’est celles d’une punition sauvage, puis la déportation de 70 détenus kanaks en métropole, autant par mesure de rétorsion que pour « faire de la place » aux nouveaux condamnés. Une pratique pourtant interdite par les conventions européennes.
La répression militaire et judiciaire est d’une brutalité inouïe avec le déploiement de 3 000 gendarmes et forces de l’ordre, dont le GIGN, soit l’équivalent de 730 000 personnes rapporté à la France métropolitaine. 60 blindés, 2 530 gardes à vue, 502 déferrements, 243 incarcérations. Et surtout quatorze morts : onze Kanaks, un Caldoche et deux gendarmes ; l’un tué par un tir en pleine tête, l’autre par un collègue qui manipulait une arme. Six Kanaks ont été tués par les gendarmes, trois au moins par des tirs longue portée du GIGN. Exécutés. Quatre autres par des miliciens caldoches. Yves Dupas n’a jamais communiqué sur ces meurtres. Sur les tirs du GIGN, la justice n’a pas ouvert d’enquête indépendante.
Le 19 juin, un vaste coup de filet est organisé. Onze militants de la fameuse CCAT, créée en novembre 2023 par l’Union calédonienne, sont arrêtés au petit matin. Tous sont inculpés d’association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un crime ou d’un délit, de vol en bande organisée, de complicité des crimes de meurtre et tentative de meurtre sur personne dépositaire de l’autorité publique – ce chef d’accusation ayant depuis été retiré.
Yves Dupas pérore, se vantant d’avoir appréhendé « les commanditaires présumés des exactions commises ». Militants politiques, ils « n’ont jamais ni utilisé la violence ni appelé à la violence », rappelle Me François Roux, avocat historique du FLNKS. Pour lui, ces militants « sont très clairement des prisonniers politiques : on les accuse de faits qu’ils contestent », alors que leur action s’inscrit « dans le cadre de leur lutte politique pour la décolonisation ».
Le 20 août 2024, l’ONU pointait dans un rapport « le manque de retenue dans l’usage de la force » et « le traitement exclusivement répressif et judiciaire d’un conflit dont l’objet est la revendication par un peuple autochtone de son droit à l’autodétermination », jugeant l’action de la France « profondément inquiétante pour l’État de droit ». Le 10 mai dernier, un rapport du cabinet d’avocats Ancile, révélé par Blast, a mis en évidence « un usage excessif et disproportionné de la force à l’encontre des populations kanak et des autres minorités ethniques ». S’appuyant sur de nombreux témoignages, il pointe notamment les tirs du GIGN, présentés hâtivement comme des « tirs de riposte », alors que certaines victimes ont été touchées en pleine tête ou dans le dos par des snipers.
Depuis le début de l’année, les discussions ont repris, sous l’égide de Manuel Valls, qui a pour la première fois mis sur la table un texte prévoyant une décolonisation effective, avec la souveraineté de la KNC couplée à un partenariat avec la France. Refusé par la droite anti-indépendantiste de Sonia Backès et de Nicolas Metzdorf, défenseurs, eux, d’une partition du territoire, fidèles à leur logique d’apartheid : « De même que l’eau et l’huile ne se mélangent pas, le monde kanak et le monde occidental sont incompatibles », avait lancé l’ex-ministre le 14 juillet 2024.
Malgré un pays exsangue où depuis mai 2024, le PIB a chuté de 15 %, le chômage explosé, et surtout les fractures de la société sont béantes, les élections provinciales se tiendront, sans doute en novembre prochain, avec le corps électoral gelé. Tous ces morts et ce gâchis pour rien ou presque, si ce n’est le comportement de l’État français, qui n’a fait qu’affermir la détermination d’un peuple, et notamment sa jeunesse, désormais pas seulement kanak, à obtenir l’indépendance, fût-ce au prix du sacrifice.
Après quarante ans à défendre le FLNKS, et notamment Jean-Marie Tjibaou, Me François Roux livre son sentiment : « L’Histoire jugera sévèrement celles et ceux qui ont poussé le peuple kanak colonisé à une légitime révolte, et qui se sont permis de jeter ces responsables politiques en prison. »
Kanaky-Nouvelle-Calédonie : une année d’implacable répression coloniale
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...la société antillaise, mais la société française. Lire la suite
... Lire la suite
Etre dans le cercle du pouvoir n’est pas forcément un gage de reussite. Lire la suite
"...des dirigeants français", lit-on dans cet article. Lire la suite