Législatives dans le sud (Martinique) : l'accusation qui tue

   Nos lectrices et lecteurs auront remarqué que FONDAS KREYOL s'est soigneusement tenu à l'écart de la campagne électorale pour le premier tour des législatives. Pas d'articles ni de photos concernant les meetings, pas d'interviews de candidats, pas de tribunes prenant parti pour X ou Y. Nous comptions adopter la même attitude s'agissant du deuxième tour mais les résultats des circonscriptions sud et nord nous ont interpellé. Impossible de continuer à garder le silence !

   Dans le présent article nous nous pencherons d'abord sur la circonscription sud sachant que dans un prochain article concernant celle du nord, nous aboutirons exactement à la même conclusion : les deux candidats arrivés en tête ont misé à fond sur la détestation (voire la haine) des Martiniquais pour Emmanuel Macron. En effet, le refus délirant de la vaccination, basé sur une pseudo-dangerosité de l'ARN-Messager (lequel aurait dû avoir tué les 85% de Français vaccinés !), s'est cristallisé sur la personne du chef de l'Etat français, E. Macron, mais surtout sur celui qui soir après soir et cela pendant des mois, est venu à la télé donner le chiffre des contaminations et surtout exhorter la population à se faire vacciner : Olivier Véran, le ministre de la santé de l'époque. 

   Malgré plus de 1.100 décès (dont plus de 900 à l'hôpital), chose qui correspondrait à 240.000 morts dans l'Hexagone (lequel, on s'en souvient, s'était profondément ému suite à une épidémie de grippe qui, sous Jacques Chirac, avait fait "seulement" 15.000 morts), les Martiniquais ont persisté dans leur refus. Et cela jusqu'à aujourd'hui alors même que l'épidémie s'étant estompée en Occident (mais pas en Chine), chez nous, en Martinique, on continue à avoir 4 ou 5 personnes en soins critiques à l'hôpital La Meynard et deux ou trois décès chaque semaine. La mort lente, quoi !...

   Bref, à bas le vaccin tueur ! A bas Emmanuel Macron ! A bas Olivier Veran ! 

   Et c'est là qu'on en arrive à l'actuelle élection territoriale et au premier tour qui vient de s'achever. Tous les observateurs donnaient Alfred Marie-Jeanne largement en tête au 1er tour face au député sortant, J-P. Nilor, ce dernier longtemps dauphin du premier ayant décidé de voler de ses propres ailes ou de le trahir (au choix !). Pourquoi en tête ? Parce que lesdits observateurs se basaient sur les résultats de la dernière élection territoriale : Marie-Jeanne était sorti premier dans 10 communes du sud, le PPM dans 1 et Nilor dans... 0 (zéro). Impossible de remonter pareil handicap pour le "Brutus lucéen" comme le surnomment ses adversaires ! Arithmétiquement, mathématiquement impossible...

   Or, l'impossible s'est bel et bien produit ! 

   J-P. Nilor réalise 8362 voix lors de ce 1er tour contre 4888 pour A. Marie-Jeanne soit presque deux fois plus. Comment expliquer ce brutal retournement de situation ? D'aucuns évoqueront sans doute l'âge de "Chaben", à savoir 86 ans, sauf que nous avons toujours tendance à confondre âge et santé. A voir l'énergie déployée par celui-ci pendant les meetings (2, voire 3 chaque soir !), on se dit que bien des quadragénaires et quinquagénaires l'envieraient tout octogénaire qu'il soit. D'autres évoquerons le besoin de renouvellement politique et de voir émerger des jeunes, des figures nouvelles, sauf qu'à 57 ans, Nilor ne peut être considéré comme tel sans compter qu'il s'est présenté (sans succès) aux élections municipales à Sainte-Luce et qu'il a été conseiller régional, puis territorial et député. Il n'est donc ni un jeune ni un nouveau venu en politique ! 

   Exit donc l'explication du grand âge de Marie-Jeanne. Exit l'explication du besoin de figures politiques nouvelles. Exit le...quimbois (faut bien rire un peu !). 

   Quelle a été l'arme fatale de Nilor qui lui a permis de réaliser presque le double des voix de Marie-Jeanne ? Celle-ci : la grave accusation portée par Nilor à l'encontre à la fois d'Oliver Véran et d'Alfred Marie-Jeanne. Ecoutons-le :  

 

 

   Bien joué ! pourrait-on dire en toute neutralité. Les Martiniquais haïssant Macron et son ministre de la santé Véran, accuser ce dernier d'être venu au secours de Marie-Jeanne empêtré dans son affaire de déclaration fautive de ses revenus, c'était comme utiliser un bazooka, une arme fatale. Mettre le "zinzin" Chaben/Véran dans la tête des électrices et électeurs du sud, c'était les amener soit à rester chez eux soit à voter Nilor. Et le résultat est bien là : plus de 8.000 voix pour Brutus contre 4.000 et quelques pour Chaben. En politique tous les coups sont permis, dira-t-on, sauf que dans le cas qui nous occupe, on est dans la diffamation pure et simple. Car qui peut imaginer qu'un ministre se préoccupe d'une élection dans un lointain territoire comme la Martinique ? Véran, comme Macron, appartient à une génération qui n'a pas connu la colonisation et n'a pas d'affection particulière pour les ex-colonies (Afrique noire) ou les actuelles colonies (Territoires d'Outre-mer). L'époque des De Gaulle, Pompidou, Mitterrand, Hollande est finie et elle s'est achevée avec Sarkozy. Pour preuve : le pourtant très cultivé Macron avait, dans un discours, décrit la Guyane comme étant une...île, déclenchant rires (chez les journalistes présents) et colère (chez les Guyanais). Mieux : en décembre 2021, le ministre de l'Outremer, S. Lecornu avait déclaré avoir proposé à des élus guadeloupéens de réfléchir à l'autonomie lesquels élus avaient fait semblant de n'avoir pas entendu.

   Bref, la génération Macron, composée en majorité de quadras, n'éprouve pas d'intérêt particulier pour l'Outremer et on voit mal Olivier Véran commettre cette grave faute qui consiste à intervenir dans une affaire judiciaire alors que la séparation des pouvoirs (politique d'un côté, judiciaire de l'autre) est censée être l'un des fondements de la "démocratie" française. Intervention concernant une Martinique qui a voté Mélenchon, puis Le Pen à la dernière présidentielle en plus ! C'est non seulement peu crédible mais tout simplement invraisemblable.

   Invraisemblable certes, mais terriblement efficace. Au second tour, Nilor battra sans doute Marie-Jeanne (sauf miracle !) non pas parce qu'il est un jeune politicien, ni une nouvelle figure sur la scène politique ni parce qu'il a des idées brillantes ou novatrices pour la Martinique ni parce qu'il a été un député efficace (un "amendement-Nilor" a-t-il jamais été voté à l'Assemblée Nationale ?), mais parce qu'il a utilisé la haine des Martiniquais pour Macron-obligation-de-la-vaccination et Véran-ministre-de-l'obligation-de-la-vaccination. Mais le camp Marie-Jeanne n'a qu'à s'en prendre qu'à lui-même car il n'a jamais eu de position tranchée sur la question du covid et de la vaccination de peur d'aller à l'encontre de la majorité des Martiniquais. Il a appuyé l'attitude irrationnelle des soignants refusant de se faire vacciner. Il a pointé du doigt comme toute la classe politique de gauche la vétusté de nos hôpitaux et le manque de moyens humains et matériels comme si dans une colonie, le Maître vous construirait des hôpitaux dernier cri (pourquoi pas une réplique de l'hôpital Rothschild pendant qu'on y est !). Et surtout, par électoralisme et démagogie populiste, il n'a pas mis les Martiniquais face à leurs responsabilités quant à la fameuse "gestion locale de l'épidémie de covid". Car enfin, comment refuser par 80% des voix, en 2010, un petit début de commencement d'autonomie (Article 74) et en 2020 pousser les hauts cris parce que ce furent le Préfet et le directeur de l'ARS qui ont pris la situation sanitaire en main ? 

   Marcher derrière le peuple, le "soutiré an vis" comme on dit en créole, lui donner toujours raison, le caresser systématiquement dans le sens du poil aboutit forcément un jour ou l'autre à recevoir un coup de bâton de sa part. Nilor lui a dit que le méchant Véran-alias-Macron est intervenu au profit de Marie-Jeanne dans une affaire de justice afin qu'il ne soit pas inéligible, eh bien, le peuple a immédiatement sanctionné Marie-Jeanne ! Dans un communiqué, le MIM a déclaré qu'il porterait plainte devant les tribunaux suite à l'accusation de Nilor, cela après les élections. On verra bien...

   En tout cas, woulo-bravo, Brutus ! T'es un champion dans l'ignominie !... 

   NB. Au fait, quand Mélenchon deviendra premier ministre, il te nommera ministre ou secrétaire d'Etat, toi le député-zéro-amendement, député-zéro-loi, zéro-commission parlementaire...

Connexion utilisateur

Commentaires récents