La naissance du sentiment québécois

À quel moment avez-vous eu le sentiment d’être Québécois ou Québécoise pour la première fois ? À l’approche de la fête nationale, Le Devoir a rassemblé un florilège de commentaires au sujet de cet instant où l’appartenance au Québec a éclos, pour faire fleurir parfois la fierté et l’attachement, d’autres fois une prise de conscience. Les personnalités citées ont toutes en commun d’avoir contribué, à leur manière et à leur échelle, au rayonnement du Québec. 

Anne-Marie Olivier

L’ancienne directrice artistique du théâtre Le Trident ne se souvient pas d’une étincelle précise qui aurait allumé son appartenance au Québec. « Je me suis toujours sentie Québécoise. Comme j’ai toujours connu mon nom », écrit-elle au Devoir. En plongeant dans ses souvenirs, elle se rappelle une fête nationale de son adolescence où un amour débridé a culminé en une communion avec la vie et sa patrie.

« À 17 ans. J’étais follement amoureuse et, si j’avais déjà fêté la Saint-Jean-Baptiste de tout mon coeur, je ne l’avais jamais célébrée de tout mon corps. Ce soir-là, plusieurs fois, chacune de mes terminaisons nerveuses, de vrais feux d’artifice. Jouissances et réjouissances à la Saint-Jean, grand feu ardent. Ce soir-là, je volais avec les ailes que donne l’amour, cet amour qui déborde tellement qu’on en jette à tous les vents sur les passants, les vieillards, les fourmis, tout ce qui vit. Nous avions le coeur léger qui donne la distance nécessaire pour rigoler des petites laideurs ou incongruités qui font aussi partie de notre fête nationale… de la marchandise fleurdelisée fabriquée en Chine aux colons qui boivent de la Bud en écoutant de la musique loin d’être faite ici.

À ce moment-là, j’ai réalisé que j’étais folle d’amour pour le Québec. »

Photo: Francis Vachon Le DevoirAnne-Marie Olivier

Gilles Vigneault

C’est en constatant que le mot « canadien-français » encarcanait trop étroitement les gens de son pays que Gilles Vigneault a compris son appartenance québécoise pour la première fois.

« Dès l’âge d’aller à la petite école, où la “maîtresse” s’appelait Simone Landry, Berthe Cormier ou Albina Jomphe, j’ai entendu parler de l’histoire du “Canada”. Comme mon père travaillait avec un certain Dave King de Kegaska ou avec un certain Bastien Malec, Innu de Natashquan, avec lequel j’ai moi aussi “reviré” la morue à sécher sur les “vigneaux”, j’ai compris que tout le monde que je connaissais était québécois, et l’ambiguïté du mot “canadien-français” m’a toujours agacé ! Bastien Malec, Joseph Bellefleur et Michel Grégoire, Dave King, Wilfrid Keppen ou George Court m’ont toujours semblé être du même pays que moi et en faire partie intégrante. Puis, plus tard, j’ai compris que certaines dates, 1837, 1980, 1982, 1995, m’ont confirmé dans mes convictions. »

Photo: Marie-France Coallier Le DevoirGilles Vigneault

Guy Sioui Durand

C’est dans le bouillonnement des années 1970, au moment où Woodstock, le Vietnam, le rock’n’roll, Expo 67 et la crise d’Octobre forgeaient la jeunesse du Québec, que Guy Sioui Durand, sociologue et critique d’art né à Wendake, auteur de plusieurs ouvrages sur l’art autochtone contemporain, a pris conscience de sa québécitude.

« En 1970, j’étudie au cégep Limoilou. C’est à la fois une première occasion, dans l’histoire, de pouvoir exercer le droit de vote pour nous, les Autochtones, après la modification de la Loi sur les Indiens de 1960. Et c’est surtout la crise d’Octobre, où l’État fait appel à l’armée, anticipant la crise vingt ans plus tard de Kanesatake-Oka. Pierre Vallières vient faire une conférence au cégep. Il vient de publier Nègres blancs d’Amérique, titre honni aujourd’hui — comme “Indien”, titre officiel de la Loi sur les Indiens toujours en vigueur. En 1971, j’entre en sociologie à l’Université Laval, dont les disciplines font de nous leur objet d’études. Une professeure me dit carrément : “Tu n’es plus un Indien. Ta socialisation est celle d’un Québécois français.” »

Ce fut, pour Guy Sioui Durand, la « prise de conscience dure de la québécité » et l’apprentissage d’une leçon de sociologie : peu importe son origine, nul n’échappe à son milieu et aux idées qui le traversent.

Photo: Marie-France Coallier Le DevoirGuy Sioui Durand

Joanne Liu

Ce sont les hivers enneigés et une certaine moitié gauche du frigo qui ont fait prendre conscience à la Dre Joanne Liu, médecin sans frontières par excellence, de son attachement au Québec.

« Je suis partie à Paris trois ans pour Médecins sans frontières, et c’est la fois où je me suis sentie le plus québécoise. Tous les jours, on me rappelait que j’avais un accent. Tous les jours, on me faisait répéter. Tous les jours, on me reprenait sur comment je disais les choses. Je me rappelle aussi un moment précis où je me suis retrouvée par hasard devant un film québécois, un film de Philippe Falardeau qui s’appelle La moitié gauche du frigo. Il y a une scène qui montre les escaliers de Montréal avec la neige : quand j’ai vu ça, je me suis tellement ennuyée — je me sentais homesick, j’avais le mal du pays. Tout le monde me demandait pourquoi je ne poursuivais pas ma carrière à Paris, les gens capotaient parce qu’on me promettait une carrière incroyable là-bas et que tout le monde pensait que j’allais être la prochaine boss. Je répondais : “Ce n’est pas possible.” Je m’ennuyais trop. Il fallait que je rentre. »

Photo: Martial Trezzini Keystone Associated PressJoanne Liu

Louise Otis

Originaire de Matane, la présidente du Tribunal administratif de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et mère de la médiation judiciaire au Québec dit s’être toujours sentie Québécoise. C’est toutefois dans les paroles du diplomate le plus haut placé de la planète qu’elle a compris la place que le Québec pouvait occuper sur la scène internationale.

« Il y a presque 20 ans, alors que j’étais toujours juge à la Cour d’appel du Québec, le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies, M. Kofi Annan, me demanda de rejoindre le Groupe de refonte du système de justice de l’ONU composé de cinq membres, juges nationaux et internationaux. Au premier jour de notre mission, le secrétaire général, Kofi Annan, nous accueillit formellement dans son cabinet et salua tous les membres provenant de cinq pays différents.

Venu à moi, il me dit : “Merci d’apporter à l’ONU le système de médiation du Québec.” Je me souviens encore aujourd’hui de l’immense fierté que j’ai ressentie de voir le Québec nommé et reconnu. La médiation du Québec. La nôtre ! Elle a depuis voyagé à travers le monde — avec le Québec comme étendard.

Je pouvais aussi ressentir l’immense fierté qui aurait habité mon père, ce digne Matanais qui a gagné sa vie dans les forêts denses de la Côte-Nord jusqu’à l’âge de 72 ans pour m’aider à terminer mes études en droit. Lui qui s’est instruit en lisant son encyclopédie Larousse, un volume par année, au pied des épinettes du Nord. »

Photo: Monic RichardLouise Otis

Photo : Marie-France Coallier archives Le Devoir C’est en constatant que le mot « canadien-français » encarcanait trop étroitement les gens de son pays que Gilles Vigneault a compris son appartenance québécoise pour la première fois.

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