Ne pas lire nos penseurs est dangereux pour notre santé (mentale)

   Dans une de ces nombreuses émissions sur les chaines de télé martiniquaises dans lesquelles les mêmes personnes dissertent sur l'état de la Martinique dans quasiment tous les domaines comme si elles étaient expertes en tout, un commentateur a déclaré qu'il n'y avait pas d'intelligentsia dans l'île de Césaire-Ménil-Fanon-Glissant. 

   S'il avait un minimum d'honnêteté intellectuelle, il aurait dû avoir précisé : "Nous avons de brillants intellectuels, parfois mondialemennt connus comme Césaire ou Fanon mais la société martiniquaise n'a jamais reconnu l'existence d'un groupe ou sous-groupe social dénommé "intelligentsia". Le monde politique, syndical, artistique, sportif, entrepreneurial et religieux est et a toujours été reconnu en Martinique, mais pas le monde intellectuel". Mais bon...

   En tout cas si l'on voulait avoir une énième preuve de la non-existence et donc de la non-influence des intellectuels martiniquais, cela dans tous les domaines et surtout le domaine politique, il suffirait de se référer à la proposition farfelue d'un ancien député du nord de la Martinique qui avance, en guise de solutions à nos problèmes actuels, la nécessité de créer ce qu'il appelle une "Méditerranée amérindienne" !!! Or, la mer des Caraïbes n'a absolument rien à voir avec celle de la Méditerranée. Elles sont exactement l'inverse l'une de l'autre comme Edouard Glissant l'avait lumineusement expliqué en... 1991 :  

 

   "Tout oppose la Méditerranée et la Caraïbe. Des zones géographiques différenciées, des espaces insulaires spécifiques, des cultures aux antipodes. 

   Je parlerai maintenant de l’opposition entre la Méditerranée et la mer Caraïbe. Je crois que la Méditerranée, c’est sa grandeur historique, est une mer qui concentre. Ce n’est pas par hasard que les plus grandes religions monothéistes sont nées sur les collines, dans les villes et dans les déserts qui entourent ses rives. C’est une mer centrée sur l’Un, qui entretient autour d’elle la multiplicité du divers, et l’incline tragiquement vers cette unité. C’est la mer du gouffre fondamental, de l’abîme intérieur qui détermine toutes les philosophies de l’Un. Je crois que les lieux où la mer ne concentre pas, mais diffracte au contraire, où le mouvement d’éclatement est très grand, où le vent souffle de partout et dans tous les sens et comme naturellement, sont propices à l’avènement d’une philosophie du divers naturalisé. À une esthétique du détour. Ainsi en est-il de l’Archipel caraïbe.

Les deux espaces archipéliques sont ainsi nettement distingués : la Méditerranée « concentre », est le lieu tragique des philosophies de l’Un, de la « grande » histoire ; la Caraïbe, pour sa part, « diffracte », accueille l’éclatement et le divers, appartient à une histoire opaque ou de l’encore-à-venir…"

 

   Cet ancien député martiniquais, de toute évidence, n'a jamais lu Glissant. Mais on ne peut le lui reprocher vu que c'est le cas de la plupart de nos politiques, syndicalistes, journalistes, blogueurs etc... Non pas parce que la pensée de notre 4 fois nobélisable serait parole d'Evangile mais simplement parce qu'elle devrait faire partie du débat concernant notre situation actuelle et nos perspectives d'avenir. Cela éviterait que des propositions farfelues et donc inutiles voient le jour...

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