Opéra La Flambeau de David Bontemps

Renel Exentus

L’opéra La Flambeau de David Bontemps a été présenté le 7 février 2023 en première mondiale à Montréal, à la salle Pierre-Mercure du Centre Pierre-Péladeau de l’UQAM. La trame musicale a été exécutée par l’Orchestre Classique de Montréal sous la direction du chef invité Alain Trudel.  Avec l’opéra La Flambeau, le talentueux compositeur David Bontemps a écrit à l’encre d’or une nouvelle page dans l’histoire musicale haïtienne. Cet opéra haïtien, le quatrième composé jusqu’à maintenant, est inspiré de la pièce théâtrale du poète et dramaturge Faubert Bolivar.

L’opéra n’est pas un genre très développé dans le répertoire musical haïtien. Pendant le 20ème siècle, Werner Jaegerhuber a laissé deux opéras : Naïssa et Gouverneurs de la rosée inspiré du roman de Jacques Roumain. Après Maryaj Lenglensou de Ipharès Blain en 2006, La Flambeau est, sans doute, le deuxième opéra haïtien de ce premier quart du 21ème.

Étant un opéra de chambre, le drame se déroule dans l’intimité d’une famille. Avec quatre personnages, il se joue dans l’ensemble en sept tableaux. Dans le registre ténor, le personnage de Monsieur est un intellectuel qui récite à satiété les idéaux républicains.  Au delà des discours, il est incapable d’appliquer les valeurs d’égalité et de justice dans ses pratiques quotidiennes. Situé entre soprano et contralto, le personnage Madame jouant le rôle d’épouse de Monsieur est sous l’emprise de la tyrannie de son mari narcissique. À la limite de la folie, elle se refugie dans son monde d’évocations aux morts, les décédés de sa famille. Mademoiselle jouant le rôle de la servante est une adepte du vodou. D’origine modeste, elle est violée par Monsieur. Elle est soprano. Exécutant le baryton-basse, l’Homme, Ogou-La-Flambeau, a jugé et condamné Monsieur à l’état de Zombi. Emprisonné dans son propre corps, Monsieur se trouve désormais au service de Mademoiselle et de la communauté. Par ailleurs, le jeu des personnages[1] se déroule dans une scénographie simple. Avec un jeu de lumière à la limite du clair-obscur. Le décor se compose d’un lit comme élément central. En périphérie, on retrouve la tribune de Monsieur, la machine à café, des livres et des projections sur le panneau arrière.

Inspiré du génie populaire haïtien, l’opéra de David Bontemps pose le problème de l’égalité et de la justice. D’une portée universelle, cet enjeu demeure un défi dans toutes sociétés divisées en classes. Mais il a un sens particulier dans la société haïtienne. En dépit des nombreuses luttes des classes populaires, l’accès à la justice demeure un privilège de certaines strates sociales. Pour le commun des mortels, il n’existe même pas une parodie de justice. Par sa musique entrainante, l’intrigue de l’opéra a capté l’attention du public du début à la fin. Avec des séquences d’applaudissement à chaque tableau, le jeu des acteurs a vibré dans l’âme de l’auditoire.

Bontemps a gagné le pari de se servir de la polytonalité pour scander les tensions intérieures des personnages. Pour y arriver, il a mobilisé un ensemble rythmique diversifié dans lequel on retrouve fanfare militaire, danses traditionnels haïtiennes Nago, Yanvalou, Kongo et chant du vodou. Pour joindre l’agréable au sublime, il les a combinés à des gammes unitoniques, des harmonies modales et tonales et de percussion. L’orchestration de La Flambeau est conçue pour quatre solistes, orchestre à cordes et maracas. Avec cette cellule musicale, Bontemps a réussi à trouver des tonalités servant à amplifier la portée de l’intrigue. Dans chaque tableau, le choix des rythmes et des tons musicaux contribue à dévoiler l’âme des personnages.

Bolivar et Bontemps ont réussi à appliquer la recette de création de grandes œuvres. Partant de l’histoire de la zombification de la tradition populaire haïtienne, Bolivar a pu écrire une pièce théâtrale hors pair. Une décennie après, Bontemps a mobilisé des rythmes musicaux populaires haïtiens pour adapter la pièce théâtrale à l’opéra. Dans les deux cas, le génie populaire haïtien est au cœur du choix esthétique. Comme tous les classiques, La Flambeau a réuni toutes les conditions pour figurer parmi les grandes œuvres haïtiennes et internationales.  

 

Renel Exentus, doctorant en études urbaines

 

[1] La mise en scène est dirigée par Alain Trudel de l’orchestre classique de Montréal qui accompagne Suzanne Talfot, Paul Williamson, Catherine Daniel et Brandon Coleman.

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