L'écrivain martiniquais Raphaël Confiant vient de publier chez Caraibéditions un ouvrage intitulé La Savane, Papa De Gaulle et la Négresse en déveine. Nous l'avons rencontré...
***
FONDAS K. : Le titre de votre livre interpelle immédiatement le lecteur puisqu'il comporte le terme "négresse". Or, on sait qu'à Bordeaux, récemment, des associations africaines et antillaises ont lutté pour changer le nom d'un quartier qui s'appellait "LA NEGRESSE" et ont obtenu gain de cause devant la justice. Qu'est-il exactement ?
R. CONFIANT : L'exemple que vous donnez démontre que la Martinique n'est pas l'Hexagone et inversement ! En effet, dans l'Hexagone, les termes "Nègre" et "Nègresse" sont péjoratifs, voire racistes, alors que chez nous, ce n'est pas du tout le cas. Quand quelqu'un vous dit en créole : "Sa ou fè, neg-mwen ?" cela signifie absolument pas "Comment vas-tu, mon nègre ?" mais bien "Comment vas-tu, mon ami ?". Pourquoi ? Parce que, comme dans toutes les langues, les mots créoles sont polysémiques, ont plusieurs sens. En créole, le premier sens de "Neg" est "homme", "individu", "ami". Sinon pourquoi dit-on Neg-nwè et Neg-blé autrement dit "Nègre noir" et "Nègre bleu" pour désigner les personnes foncées et très foncées de peau ? Si le mot Neg désignait une couleur pourquoi lui ajouter une deuxième couleur. "Nègre noir" est absurde ! Sauf si l'on comprend que Neg signifie d'abord "Homme". Ce n'est donc que dans un deuxième sens qu'il signifie "Nègre" au sens français du terme c'est-à-dire au sens d'appartenance ethnique. Sinon, ce terme est si peu péjoratif que nombre d'écrivains antillais et africains l'ont utilisé dans les titres mêmes de leurs ouvrages : Aimé Césaire, Ferdinand Oyono, Bernard Dadié, Daniel Picouly etc...
FONDAS K. : Votre livre étonne également parce que le personnage principal est la place de La Savane à Fort-de-France...
R. CONFIANT : En effet, La Savane parle à la première personne, tel un être humain. C'est elle qui raconte son histoire à un vieil homme, Monsieur Nestor, qui est habitué à venir s'asseoir sur l'un de ses bancs et à qui elle demande de la rédiger. Mais n'étant pas un être humain, La Savane ne vit ni dans la même temporalité que nous ni n'expérimente le passage du temps de manière chronologique. Mon livre n'est donc pas une étude historique ou sociologique de La Savane mais une manière d'évoquer, à travers sa vision des choses, les grands événements qui se sont déroulés sur la place publique qu'elle est. Par exemble, l'arrivée du roi Béhanzin du Dahomey, l'époque de l'Amiral Robert, le pélerinage de la Vierge du Grand Retour, le discours du Général de Gaulle quand il s'était écrié "Mon Dieu ! Mon Dieu, que vous êtes français !", l'élection municipale au cours de laquelle Michel Renard, maire du Marigot, avait tenté de ravir son siège a Aimé Césaire, ce qui avait provoqué la mort d'un homme au pied de la Maison du Sport aujourd'hui détruite, le déboulonnage des statues de Joséphine et de D'Esnambuc par de jeunes révoltés etc...Je l'exprime ici dans l'ordre chronologique mais dans mon livre, étant donné que c'est la Savane qui parle, elle les présente à sa guise, dans l'ordre qu'elle estime lui convenir le mieux.
FONDAS K. : Pourquoi De Gaulle est-il si présent dans votre livre ?
R. CONFIANT : D'abord parce qu'il a été vénéré par une large couche de la population. N'oublions pas que c'est son fameux discours du 18 juin, diffusé sur les ondes de la BBC en Dominique et à Sainte-Lucie, qui a poussé nombre de jeunes Martiniquais à traverser les dangereux canaux qui nous séparent de ces deux îles pour rejoindre les Forces Françaises Libres. On les appelait ici les "dissidents" et non les "résistants" comme dans l'Hexagone. Parmi eux, il y avait Frantz Fanon, à peine âgé de 18 ans. Après la guerre, l'image de De Gaulle dans notre population était inimaginable. Je me souviens de son arrivée sur La Savane en 1964. J'avais 13 ans et m'on père m'avait emmené l'écouter. Il y avait des dizaines de milliers de gens et j'ai conservé l'image d'une sorte de géant blanc, sanglé dans un bel uniforme militaire et une casquette décorée d'étoiles. Je le revois arriver debout sur sa DS 19 noire, saluant la foule mais impassible. Je n'ai pas entendu sa célèbre exclamation "Mon Dieu ! Mon Dieu ! Que vous êtes français !" car j'étais un gamin, mais c'est longtemps après que j'ai compris pourquoi des femmes s'étaient évanouies tellement elles était en proie à de la ferveur. La population l'appelait "Papa De Gaulle" et cela longtemps après sa mort. Avec "Papa Césaire", il fut longtemps une des figures tutélaires de notre société martiniquaise. Que l'on soit en droit de critiquer l'action de ces deux "papas" s'agissant de notre île est parfaitement normal ou en tout cas compréhensible, mais nier ou occulter l'espèce d'adoration qu'ils ont eu auprès de notre population grâce à leur aura reviendrait à réécrire l'histoire.
FONDAS K. : A côté du viel homme, monsieur Nestor, chargé d'écrire l'histoire de La Savane, il y a aussi "La Négresse en déveine". Que représente-t-elle ?
R. CONFIANT : Dans notre tradition créole, lorsque deux personnes se font des salutations et se demandent comment chacune va, il ne faut jamais répondre que tout va bien. Soit on répond sobrement "Man la !" c'est-à-dire "J'existe" soit "Man an dévenn toubannman" c'est-à-dire "la malchance me poursuit". Cette manière de faire visant à éviter d'attirer le mauvais oeil sur soi n'est pas propre à la Martinique. Elle est présente dans de nombreuses cultures à travers le monde. Mon personnage représente toutes ces femmes qui, depuis au moins l'abolition de l'esclavage, ont lutté au jour le jour, pied à pied, pour ne pas sombrer dans la désespérance et pouvoir élever leurs enfants fort souvent avec un père absent. Surnommée dans mon livre Améliya-totoblo, figure d'une chanson créole célèbre, la Négresse en déveine aime à s'asseoir sur le même banc de La Savane que Monsieur Nestor, l'octogénaire et à échanger avec lui. C'est sur La Savane qu'elle vend des pistaches grillées et des gâteaux pour pouvoir survivre, son concubin, le "major" Fils-du-Diable-en-personne, ne lui donnant pas de quoi subvenir correctement aux besoins de leur progéniture.
FONDAS K. : Le petit peuple est très présent dans votre ouvrage...
FONDAS K. : Je n'aime pas trop cette expression et son côté péjoratif mais, en effet, il n'y a pas que La Savane et deux personnages dans mon texte. Il y a de célèbres "majors" comme Fils-du-Diable-en-Personne, Bec-en-Or et Lapin-Echaudé. J'évoque aussi des bourgeois mulâtres et des Békés. De même qu'un certain Romule Casoar, dont j'ai à peine modifié le nom, qui tenait un journal, Le Rénovateur, dont le nom a lui aussi été à peine modifié, qui terrorisait la bourgeoisie parce qu'il contenait des révélations, voire des secrets d'alcove, sur certaines personnes bien placées. Tout Fort-de-France fréquentait la place de La Savane à un moment où un autre de la journée. D'ailleurs, chaque classe sociale ou groupe ethnique y avait son banc attitré. Ah oui, j'évoque également son célèbre kiosque à musique ! Au fait, monsieur Nestor dialogue aussi avec un tout jeune lycéen mulâtre tout au long de l'ouvrage.
FONDAS K. : Avez-vous voulu transmettre quelque message à travers ce personnage principal insolite puisque La Savane n'est pas un humain mais une place publique ?
R. CONFIANT : Je laisse les messages aux rappeurs et aux footballeurs. Les Martiniquais sont vaccinés, alphabétisés, éduqués, connectés etc...et il n'ont pas besoin de moi pour analyser et comprendre leur situation ! Je ne crois pas du tout au rôle rédempteur ni salvateur de la littérature. Mon livre s'adresse à tout le monde sans la prétention d'éclairer le chemin de qui que ce soit ! Il s'adressera surtout aux générations futures car d'ici 2060 La Savane n'existera très probablement plus.
FONDAS K. : Comment cela ?
R. CONFIANT : Ce n'esst pas du catastrophisme du tout ! haque année, à cause du dérèglement climatique, le niveau des océans augmente de 10cm, ce qui a l'air très peu mais qui a déjà et aura des conséquences graves pour les petits territoires insulaires comme le nôtre. On commence à le voir sur notre côte Nord-Caraibe, notamment au Prêcheur. Vers 2050 ou 60, toute la ville basse de Fort-de-France, et donc La Savane, sera sous les eaux. Du quartier Texaco à celui de Dillon, des Terres-Sainville à Volga-Plage, tout sera submergé. Les Foyalais devront vivre sur les mornes de Redoute, Didier, Desrochers, Godissard, Balata etc... Mon livre servira à nos descendants afin qu'ils puissent imaginer ce que fut la Savane tout comme les ouvrages traitant de la ville de Saint-Pierre avant l'éruption de la Montagne Pelée, nous donnent à voir le "Petit Paris des Antilles" ou "La Venise tropicale" comme l'avaient surnommée les poètes de l'époque. J'aime bien me plonger de temps à autre dans Nuits d'orgie à Saint-Pierre d'Effe Géache, Youma de Lafacadio Hean ou encore Saint-Pierre avant 1902 de mon lointain ancêtre du côté paternel, Fernand Yang-Ting.
L'Occident n'a AUCUNE leçon à donner à l'islam. Lire la suite
Nous savons que le terme d' islamophobie signifie étymologiquement peur ou bien hostilité à l’isl Lire la suite
... mais ne peut-on pas trouver des "approchants"? "Kouyonnad" Bagay komik. Lire la suite
Les Antillais n'ont même pas d'humour au 1er degré, allez voir au 2è ! Lire la suite
...à un article rédigé en style "humour 2è degré"? Lire la suite