La nomination de Pap N’Diaye comme ministre de l’Education ne devrait pas conduire à des réactions binaires sur la solidarité de couleur. Certes, un Noir à cette fonction est en soi un élément de fierté pour les Noirs. De même, eu égard l’importance du département ministériel concerné, la notoriété de chercheur sur « la condition noire » de son nouveau titulaire justifie que les Noirs attendent de lui des progrès dans leur rapport à la société. Mais le ministre noir n’est pas le ministre des Noirs, il est un ministre français chargé d’appliquer la politique du gouvernement même si sa sensibilité idéologique a été prise en considération pour sa nomination.
Il serait donc présomptueux de tenter de disserter sur les subtilités de la pensée de cet intellectuel de haut niveau et juger de la pertinence de sa promotion. Cependant, deux idées énoncées par N’Diaye me rappellent ma tribune du 29 novembre 2020 après la bavure policière dont avait été victime à Paris le martiniquais Michel Zécler. Suite à un débat télévisé tenu à propos de cet incident, j’écrivais : « Quand sur un plateau de télévision, le journaliste animateur déclare une demi-douzaine de fois qu'il ne comprend pas pourquoi Michel Zécler a été traité de la sorte par les policiers, que tout le monde, et sans doute le journaliste lui-même, tient la réponse au bout de la langue ... et que personne ne répond : "parce qu'il est noir", je le regrette, ce silence est raciste ». Il ne me semble pas que Pap N’Diaye aurait désavoué cette conclusion, sauf qu’il l’eût peut-être formulée par une expression plus prudente comme « il y a un problème » ou « ce silence est coupable ».
Deux phrases prêtées au futur ministre de l’Éducation avaient particulièrement retenu mon attention. S’agissant des violences policières, « La France n’est pas miraculeusement protégée d’une réalité qui est pourtant évidente : les contrôles au faciès, les difficultés avec la police, parfois les violences » (France Inter). Quant au racisme d’État, « Il existe bien un racisme structurel en France, par lequel des institutions comme la police peuvent avoir des pratiques racistes. Il y a du racisme dans l'État, il n'y a pas de racisme d'État » (Le Monde). « Le “racisme d'État” suppose que les institutions de l'État soient au service d'une politique raciste, ce qui n'est évidemment pas le cas en France. […] Cette distinction sémantique n’est pas éloignée de celle, alors très critiquée, exprimée par le chef de l’État au cours d’une interview accordée à des jeunes. Il en découle la nécessité d’employer avec épargne les termes « apartheid » et « discrimination » dont les déclinaisons font partie des règles de l’État raciste. En effet, jusqu’à sa suppression, les outils de l’apartheid étaient codifiés par les institutions de l’Afrique du Sud. Les déclarations de Pap N’Diaye ne déparent pas mon article paru le 8 décembre 2020, « Le contrôle au faciès de la police », dont l’extrait suivant :
« Le contrôle au faciès par la police exprime deux réalités qui se confondent parfois. La première, qui doit être combattue, tient au racisme ou la xénophobie qu’on retrouve à tous les niveaux de la hiérarchie sociale. Comme la police gère des êtres humains dans un cadre conflictuel, les travers de certains policiers ne peuvent qu’y trouver un terrain favorable. Produits dans l’espace public, les faits de racisme n’en sont que plus visibles, donc plus insupportables. L’autre réalité tient à l’opérationnalité de l’action policière ; il s’agit pour les policiers d’être efficace dans la recherche de délinquants souvent signalés. Lorsque les contrôles se font dans des quartiers chauds où les délinquants non blancs sont surreprésentés, on peut comprendre qu’ils visent davantage cette population. Reste que la juste appréciation se complique du fait que de tous temps les délinquants sont très majoritairement issus des classes pauvres de la société et que celles d’aujourd’hui sont en France majoritairement d’origine africaine ou maghrébine.
Enfin, les conditions matérielles et psychologiques dans lesquelles les policiers exercent leurs missions conduisent à renforcer un esprit de corps nourri par un sentiment de citadelle assiégée. En effet, ils s’exposent à des sanctions venant de toutes parts : de la hiérarchie, des juges, du pouvoir politique, de la presse... Last but not least, il faut ajouter la sanction insidieuse de la rue et de l’espace public, en général, qui les conduit parfois à cacher leur métier et à se couper de la société, eux-mêmes et leurs familles. Dès lors, l’esprit de corps n’est plus un banal sentiment corporatiste mais un véritable rempart « contre tous », dont il n’est pas aisé pour les policiers de se priver. Hélas, cela les conduit parfois à ne pas entendre le propos raciste du collègue ou à regarder ailleurs lorsque la bavure se commet. »
Dans une ancienne fonction j’avais compris qu’il n’était pas toujours aisé de distinguer le racisme dans l’État du racisme d’État. Pour éviter l’engorgement des demandes de retour dans leurs départements d’origine par des agents de services publics, le nombre des admissions de candidats domiens à certains concours avait été arbitrairement limité pendant un laps de temps. Les auteurs de cette tacite discrimination administrative étaient sans doute encouragés par le discours politique du moment qui était défavorable au départ des jeunes en métropole. On ne fut pas moins en présence d’une vraie discrimination. Était-elle d'État ? Leur caractère général et impersonnel (tous les candidats passant les concours dans les DOM) pouvait le laisser croire. Tandis que le niveau de la prise de décision (une Direction de l’administration centrale) pourrait faire penser plutôt à une faute dans l’Etat.
Fort-de-France, le 25 mai 2022
Yves-Léopold Monthieux
Arrêtons avec l'idéalisme ! Lire la suite
...oui j'oubliais une chose, importante par les temps qui courent. Lire la suite
... Lire la suite
Albè, quelqu'un a-t-il jamais nié l'existence d'un racisme anti-noir dans le monde arabe ? Lire la suite
Merci Frédéric...
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