Widad Amra : "Connaître deux pays, deux histoires, c'est aller à l'universel"

     Le Festival "Mai de la poésie" (26-28 mai),​ organisé par l'association Balisaille en partenariat avec la médiathèque de la ville de Saint-Esprit, a choisi comme invitée d'honneur Widad Amra, poétesse à la fois palestinienne et martiniquaise.

     Nous l'avons rencontrée..

 

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FONDAS KREYOL : Widad Amra, vous êtes l'invitée d'honneur du Mai de la Poésie organisé par l'Association Balisaille avec le concours de la médiathèque du Saint-Esprit, comment avez-vous accueilli cette nouvelle ?

 WIDAD AMRA :  Merci pour l'interview. J'ai accueilli cette nouvelle avec une grande joie. A double titre. Modestement et joyeusement, pour la reconnaissance de ma contribution poétique évidemment, mais surtout pour l'élan impulsé par l'association Balisaille, dont je connais la force de travail. Dans le suivi des "Rencontres pour le lendemain", car j'en étais membre. Par les temps qui courent, ces temps qui bousculent, qui privilégient le  "buzz", parvenir à mettre au centre, la poésie, avec ce qu'elle charrie : les questions, les contradictions, les silences, la révolte, l'amour, le rejet du repli, l'universel, et tout ce qui appartient à l'humain,  était un pari incroyable.  Cela, dans l'interrogation et la célébration de la beauté. Il fallait avoir en soi le feu de la poésie, pour déployer l'énergie nécessaire à une telle utopie. Comme quoi, ne jamais lâcher ses rêves. Cette force de travail qu'a supposée une telle organisation, pour ce qui ne relève pas du mercantile, mais de la pensée qui émergerait de ces échanges, de ces rencontres avec d'autres ailleurs, j'ai trouvé cela simplement magnifique. Pour nous tous, qui depuis quelques temps, ne vivons pas forcément, dans l'île, le meilleur de nous .Donc, j'ai accueilli cela, simplement avec joie. Dans un esprit de partage. Je nomme cette association: semeuse d'espoir! 

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FONDAS KREYOL : Vous écrivez depuis de nombreuses années et avez publié plusieurs recueils poétiques, comment expliquez que votre oeuvre soit assez peu connue à la Martinique ? Est-ce dû à votre discrétion ?

WIDAD AMRA : Oui, j'écris depuis toujours, cela m'est essentiel. Mais il est vrai que plus que discrète, je suis un peu sauvage, et peu à la recherche de reconnaissance, persuadée que les choses arrivent parfois comme cela. Au hasard des rencontres. Ce qui a été parfois, le cas. Ah ah ah, bien espacé dans le temps néanmoins. Comme si l'essentiel pour moi, était d'écrire. Mais entamer le dur parcours de la recherche d'éditeurs, je ne sais pas bien faire. Je n'y mets pas assez d'énergie. Ceci dit, j'ai souvent été entendue, dans mes lectures poétiques. Souvent dans un esprit de café -théâtre. Avec carte blanche à la bibliothèque Schoelcher, à chacune de mes publications; avec une manifestation importante impulsée par la ville du Robert et la détermination du comédien Jacques Olivier Ensfelder qui l'avait organisée. Et même, à ce moment-là, un petit film plein de poésie, réalisé par le même comédien et mon fils Vincent Mercier.  Je me réjouis que ce film, modeste lui aussi, mais avec une âme, et des poètes habitant la poésie, comme Monchoachi, André Lucrèce, Monsieur Desportes, existe. Ne serait-ce que pour monsieur Desportes, qui n'est plus. Deux passages à la Faculté des Lettres, invitée par mesdames Mencé Caster et Bertin, femmes que je respecte; des entretiens dans les librairies; deux spectacles à la scène nationale avec mes textes, en 2015 et 2017, le premier centré sur Suzanne Roussi Césaire, quand l'Atrium a été rebaptisé "Tropiques -Atrium". Il faut dire qu'à côté, je travaillais énormément. Professeure de lettres, de théâtre et travaillant aussi avec la direction de mon établissement. J'y mettais de la passion, du temps, de l'énergie. Cette priorité a certainement pénalisé le reste. Et puis, être enseignante, se démarquer en faisant de la poésie, du théâtre et même en produisant un album. Faut-il y croire suffisamment pour le faire..J'y mets des points de suspension. 

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FONDAS KREYOL : Comment pourriez-vous décrire-vous votre style poétique ? Lequel de vos recueils recommanderiez-vous au public ? 

WIDAD AMRA : Ma poésie est à mon image. Dans le grand écart qu'offre mon métissage. Tantôt, en raison qu'organise le récit, tantôt en émotions fortes. Toujours ancrée charnellement dans l'environnement. Dans la beauté que nous offre ce pays, pour des espaces de solitude, de respiration, de silence, de méditation, mais aussi pour des cris, de joie, d'extase, de révolte, d'insoumission, de peur, d'espoir toujours. Je ne suis pas indifférente au monde, pas indifférente aux problèmes de société, à proximité de moi. Pas indifférente aux problèmes qui se posent, au -delà de nos frontières. Pas indifférente à l'amnésie du monde qui risque de nous précipiter dans une autre guerre. Mais je fais toujours le compte de mes trésors. Et cela se retrouve dans mes textes. En un style plus épuré, dans regard d'errance, plus foisonnant, plus volcanique dans le souffle du pays, évoquant tous nos tremblements, plus grave mais aussi plus amoureux, dans Salam Shalom, la fiction offrant l'utopie de la rencontre au-delà des guerres. Donc, je pense qu'il faut avoir ces trois-là.  Et dans les oeuvres collectives, j'aime beaucoup l'esprit de grand angle, celui de fanm kon flam, et bien sûr, ce qu'île dit pour la contribution importante de Gérald Bloncourt. Les textes sont autres dans ces oeuvres. certains plus oniriques. Par ailleurs, celui sur Suzanne Césaire, doit être traduit et publié à New-York, et celui du dernier spectacle, faut que je me décide à le publier. Suis en ce moment à finaliser deux romans mais la poésie s'y invite allègrement. 

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FONDAS KREYOL : Vous êtes une Palestino-martiniquaise, à quoi cela renvoie-t-il ? Cette identité a-t-elle une influence sur votre poésie ?

WIDAD AMRA : Bien sûr et comment! Etre issue de deux minorités, ce n'est pas rien, avec une des deux histoires en guerres répétées, qui font caisse de résonance à la guerre des Six jours où notre famille a été impactée par les effets collatéraux de cette guerre. Et du côté de notre mère, mulâtresse, élevée néanmoins par un Palestinien, tout le flou de l'histoire, de l'identité. Alors, ou vous restez engluée dans ce choix que ne vous a pas laissé l'histoire, ou vous décidez que votre vie vous appartient. J'ai décidé que j'allais en tirer le sens de l'engagement, de la fidélité à certaines valeurs, celui du refus absolu de tout sectarisme, de tout rejet. En fait, je crois être accrochée à l'essentiel: le sens de la vie et celui de la mort. Par ailleurs, connaître deux pays, deux histoires, c'est aller vers l'universel. Sortir de soi, pour mieux aller vers l'autre. La question de l'altérité; C'est s'accrocher aux droits humains et je crois que cela se retrouve dans ma poésie. Du pire, on peut prendre le meilleur. Par le dépassement. 

        FONDAS KREYOL : Comment s'est déroulé le Mai de la Poésie de l'association Balisaille ? Cela a-t-il été à votre avis un succès ?

       WIDAD AMRA : Un vrai succès. Et ce n'est qu'une première. Et le talent, la générosité de chacun des membres de l'association résonne en moi. Cela s'appelle un vrai partage. Je les remercie vivement de m'avoir sortie de mon trou à crabes, d'une trop grande discrétion, de ma solitude aimée, car si la poésie est là, c'est pour le partage et j'en ai conscience. D'avoir rencontré ces poètes, ce public, on s'aperçoit que l'on n'est pas seul, dans ses chimères d'un monde meilleur, dans sa vision du monde, tant celui d'aujourd'hui, dans la précipitation de la modernité, dans la seule mise en avant de la pulsion des réseaux sociaux, peut parfois faire du mal.aux relations humaines. Les mots ont résonné, les voix ont marqué, les silences ont ponctué. Et le film, sur Jacques Stephen Alexis, m'a confortée dans l'idée que la poésie, aussi éthérée que l'on puisse parfois le dire, est une force vive, essentielle, je dirais vitale, contre "le prêt à penser".

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    Je ne m'abaisserai pas à répondre à un "argument" aussi nul .

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