Ce drapeau et ces couleurs que nous avons discrédités

    Chapeau, les gars ! dirait-on en bon fouançais de Fouance. Ou alors woulo-bravo ! en dialecte (dé-)co-officialisé.

    Vous avez réussi l'exploit phénoménal de transformer un symbole de lutte anticolonialiste et indépendantiste en un banal fanion...régional. Le rouge-vert-noir, jadis brandi par celles et ceux qui luttaient pour la pleine et entière souveraineté de la Martinique,  équivaut maintenant à n'importe quelle oriflamme de province hexagonale. Celui de la Normandie, de la Bourgogne, de l'Alsace et consorts...

   En effet, il est brandi par tout le monde désormais et figure partout, n'importe où. Sur des bikinis suggestifs, dans les vidés échevelés du carnaval, entre les mains de Miss France et de vice-gagnante de Star Academy, sur les pages individuelles des réseaux sociaux etc...Il ne reste plus qu'à attendre que des Békés s'en emparent. Après tout, avant et même après la Révolution française (1789), leurs ancêtres avaient refusé le drapeau tricolore bleu-blanc-rouge. Et même bien après ! Renseignez-vous auprès de vos profs d'histoire de l'Université Tik-Tok : presqu'un siècle après, en 1870 très précisément, lors de la fameuse Insurrection du Sud, le Béké Codé, l'un des plus suprématistes de sa caste, continuait à arborer le drapeau blanc à fleurs de lys de la monarchie au fronton de la villa de son habitation sur les hauteurs de Rivière-Pilote. Bon, ça lui a valu d'avoir les "graines" sectionnées par les révoltés, mais ç'est une autre histoire....

   Nos chers sociologues, qui n'en ratent jamais une, nous expliqueront sans doute que cette utilisation tous azimuts du rouge-vert-noir est une manière de "faire peuple" et qu'il faut s'en réjouir. Sauf qu'ils se garderont bien d'expliquer de quel "peuple" il s'agit ! De celui qui a voté à 80% contre un tout petit début de commencement d'autonomie en 2010, celui qui a donné 73.000 suffrages au parti raciste de Marine Le Pen aux dernières élections présidentielles, celui qui a permis à un candidat du Rassemblement National de figurer au second tour aux élections légistatives dans la circonscription du sud ? Celui qui veut des Miss France, des Star Académiciennes, des joueurs de foot sélectionnés chez les Bleus ou encore des ministres nés au Gros-Morne ou aux Anses d'Arlets dans le gouvernement français ? Ou encore que la boite de petits pois soit vendue à un prix identique à Case-Pilote et dans les Côtes du Rhône ? 

   "Faire peuple", OK? mais de quel "peuple" s'agit-il ? 

   En tout cas, pour se retrouver mis à toutes les sauces et par des gens qui ne veulent ni l'autonomie et encore moins l'indépendance, le drapeau rouge-vert-noir a définitivement perdu sa signification originelle qui était celle d'une désir, d'une volonté de pleine et entière accession à la souveraineté. Il est devenu un drapeau régional ! Il a été discrédité car ce désir et cette volonté ne relèvent pas du mardi-gras ou du mercredi-des-cendres. Il n'est pas un pin's virtuel que l'on arbore sur les réseaux sociaux ! 

   Si jamais un jour, la Martinique accède à l'indépendance ou est sur le point de l'obtenir de manière irréversible, alors ce jour-là et ce jour-la seulement, les Martiniquais décideront de leur drapeau national. Pour l'heure et par notre faute à tous, le rouge-vert-noir n'est,hélas, plus qu'un emblème provincial. Un fanion, quoi !