Chlordécone : qui cherche à dédouaner qui et pourquoi ?

   Surréaliste émission l'autre jour sur une télé martiniquaise dans laquelle un journaliste, généralement mieux inspiré, interrogeait un ancien député sur la question du chlordécone.

   L'un comme l'autre nous ont sorti "qu'on ne connaissait pas à l'époque la dangerosité du pesticide" et que par conséquent, il est difficile d'identifier un quelconque responsable dans un scandale qui, rappelons-le, a duré 30 ans soit de 1972 à 2002 et même plus longtemps puisque les services de l'Etat avaient découvert plusieurs tonnes de chlordécone prêt à l'usage sur une "Habitation" longtemps après l'interdiction du produit par la France en 1993. A ce propos, rappelons, que les Etats-Unis, où la molécule fut synthétisée et le pesticide fabriqué sous le nom commercial de "Curlone", l'avaient interdit dès 1977.

   Les Américains seraient-ils des imbéciles ? Les nombreuses recherches scientifiques publiées notamment par l'American Cancer Institute seraient-elles du pipeau ? 

   D'où une question ? Qui cherche à dédouaner qui et pourquoi ? 

   Tout un chacun connait pertinemment les noms des importateurs du chlordécone et ceux de ses principaux utilisateurs : des Békés. Ici, il convient d'être net, clair et précis : "des" Békés et non "les Békés". Car nombre de Békés ne sont pas dans le secteur de la banane. Ceci pour dire que si c'étaient des Nègres, des Mulâtres ou des Indiens qui avaient commis ce véritable crime contre la Martinique, il aurait fallu les pointer du doigt exactement de la même façon. C'est pourquoi on a du mal à comprendre la tentative de dédouanement de ce journaliste et de l'ex-député étant donné qu'il ne s'agit pas au premier chef d'une question raciale. Hormis, une minorité d'activistes, personne ne considère que des Békés ont importé du chlordécone parce qu'ils sont des Blancs. Ils l'ont fait par mépris ou indifférence envers leurs employés et atavisme colonial, par appât du gain, pour continuer à bénéficier d'énormes subventions européennes, parce que ce sont des capitalistes et que la recherche du profit maximal est leur religion etc... 

   D'autre part, quand l'ex-député, qui avait demandé à l'Assemblée nationale, que l'usage du chlordécone soit prolongé alors que ce pesticide était interdit aux Etats-Unis, il n'est pas Béké et il aurait agi exactement de la même manière s'il avait été sollicité par des planteurs nègres ou autres. N'a-t-il pas prononcé cette phrase hallucinante : "Si c'était à refaire, je le referais !" ? Ici, en plus de l'appétit du gain, des importateurs békés en question, il convient de souligner l'incurie et le béni-oui-ouisme d'une certaine classe politique dite "de couleur". Cela ne date pas d'aujourd'hui : en 1919, le député mulâtre Joseph Lagrosillière avait initié ce qu'il appela "le bout de chemin avec l'Usine" autrement dit une sorte de pacte entre usiniers et travailleurs de la canne. Presqu'un siècle plus tard, bis repetita : en 2001, les chefs du PPM plantent, sur l'Habitation Clément du plus riche Béké martiniquais, ce qu'ils appelèrent "L'Arbre de la Fraternité" que les médias rebaptisèrent en "Courbaril de la Réconciliation". 

   Dans les deux cas, à un siècle de distance, répétons-le, ce sont les travailleurs martiniquais qui se sont fait avoir, Békés et politiciens "de couleur", y trouvant chacun leur compte.

   Pour en revenir à cette émission-télé, on a du mal à comprendre comment après les plaintes en justice déposées par les associations écologiques, les procès, les multiples manifestations, les ouvrages et articles dénonçant l'utilisation du chlordécone et surtout le non-lieu scandaleux prononcé dans cette affaire, on puisse encore trouver des Martiniquais pour tenter de minimiser le scandale et ses effets terrifiants (cancers de toutes sortes, Alzheimer, Parkinson, endométriose, pollution des sols sur 20.000 hectares, rivières, nappes phréatiques et rivages pour les 150 ans à venir etc...).

   Comment pareille chose est-elle possible ?