Un nouveau volet de l’enquête décrit la façon dont le trio d’hommes d’affaires d’origine indienne a fait main basse sur des pans entiers de l’économie avant de les siphonner, sous le mandat de Jacob Zuma.
Il est presque arrivé au bout de sa tâche. Son œuvre, serait-on tenté de dire. Fin avril, le juge sud-africain Raymond Zondo a remis au président Cyril Ramaphosa le quatrième et avant-dernier volet de son rapport sur le système de corruption qui a gouverné l’Afrique du Sud pendant près d’une décennie. Accablant pour le précédent chef de l’Etat, Jacob Zuma, il raconte comment un président devenu le pantin d’une fratrie d’hommes d’affaires leur a permis de réaliser le casse du siècle : braquer son propre pays pour un butin qui se chiffre en milliards de dollars.
En fuite à Dubaï, Ajay, Atul et Rajesh, alias « Tony », Gupta, trois frères d’origine indienne, ont été les maîtres de l’Afrique du Sud du début des années 2010 jusqu’à la démission forcée de Jacob Zuma en 2018. « [Jacob] Zuma a diligemment ouvert les portes des entreprises publiques aux Gupta en les invitant à se servir dans l’argent et les actifs du peuple de l’Afrique du Sud », écrit le juge Zondo.
A la tête de la commission d’enquête sur ce que l’Afrique du Sud appelle la « capture d’Etat », Raymond Zondo a entendu, pendant quatre ans, plus de trois cents témoins livrer le récit des « neuf années gâchées » du mandat de Jacob Zuma. Chemin de fer, aviation, services pénitentiaires, etc. : les premiers volets du rapport de la commission ont montré comment la fratrie a fait main basse sur des pans entiers de l’économie sud-africaine avant de les siphonner méthodiquement.
Dans ce nouvel opus, rendu le 29 avril, le juge Zondo détaille notamment le rôle « central » de Jacob Zuma dans la prise de contrôle de l’exécutif par les Gupta. Chargé de faire le ménage chez les récalcitrants, « le président Zuma était capable de renvoyer quelqu’un qui était excellent dans son travail si cette personne n’était pas préparée à collaborer avec les Gupta », poursuit Raymond Zondo.
Nhlanhla Nene, ministre des finances de mai 2014 à décembre 2015, en sait quelque chose. A l’époque, ce haut fonctionnaire respecté se soucie des caisses de l’Etat. Mais l’équilibre budgétaire n’est pas au programme des Gupta. Il ne s’inscrit pas non plus dans la conception des finances publiques de Jacob Zuma. « Dans les autres pays du monde, les ministres des finances ne disent pas au président qu’il n’y a plus d’argent, leur boulot est de trouver l’argent », s’est un jour agacé l’ex-chef de l’Etat auprès du directeur du Trésor public.
Au premier rang des préoccupations de M. Nene figure alors la situation catastrophique de la compagnie aérienne nationale, South African Airways. Sous la direction d’un conseil d’administration acquis aux Gupta, les pertes de la compagnie ont doublé entre 2012 et 2014. L’instabilité financière de l’entreprise menace l’intégrité des finances publiques. M. Nene veut un nouveau conseil d’administration pour restaurer la crédibilité de la société qui ne peut plus emprunter.
A la tête du conseil d’administration, Dudu Myeni est une protégée des Gupta et de Jacob Zuma. M. Nene a prévenu : c’est lui ou elle. Quelques semaines plus tard, c’est lui qui est remercié. Le départ du respecté Nhlanhla Nene provoque la panique sur les marchés financiers. En quarante-huit heures, le rand s’effondre et les obligations sud-africaines perdent 10 % de leur valeur. Un député sans expérience, Des van Rooyen, remplace le ministre bien aimé. La veille de sa nomination, il a fait un détour chez les Gupta. Le jour de son arrivée au ministère, M. van Rooyen est flanqué de deux « conseillers » dont certains s’étonnent de l’autorité que ces derniers semblent avoir sur le nouveau ministre. Le directeur du Trésor public raconte également avoir été prévenu par un cadre du Congrès national africain (ANC), le parti au pouvoir, du parachutage d’un « ministre des Gupta ».
Il s’en ira au bout de trois jours. Vétéran de la fonction publique, Pravin Gordhan est nommé en urgence pour rassurer les marchés. Déjà passé par le poste, il entend stopper la gabegie financière. Les ennuis ne tardent pas à lui tomber dessus. En 2016, il est poursuivi dans le cadre d’une enquête sur une supposée « unité voyou » au sein de l’administration fiscale du temps où il dirigeait celle-ci. La presse dénonce une cabale. Le dossier est vide. Cette fois, la manipulation fait pschitt.
Les Gupta avaient pourtant tout calculé. « Vous devez comprendre que nous contrôlons tout et que le vieux fera tout ce qu’on lui dit de faire », a un jour menacé l’un des frères au cours d’une visite du vice-ministre des finances à leur résidence. Police, services de renseignement, fisc… En plus de placer leurs pions au sommet de l’Etat, les Gupta ont mis à leur service les administrations susceptibles de leur chercher des poux. Ne reste plus aux frères et à leurs obligés, ainsi protégés, qu’à traire l’Etat en captant toujours plus de commandes publiques.
Combien d’argent ce système mafieux a-t-il volé à l’Afrique du Sud ? En 2021, le cofondateur de l’ONG britannique Shadow World Investigations, Paul Holden, estimait la somme des contrats frauduleux alloués à des sociétés liées aux Gupta à plus de 3,5 milliards de dollars (3,3 milliards d’euros). Le coût réel va bien au-delà. « Si on regarde par exemple ce qui s’est passé à Prasa [la compagnie publique de transport ferroviaire], ce n’est peut-être pas la même échelle que les détournements à Eskom [société d’électricité publique], mais ça a eu un impact sur des millions de gens qui ont perdu leur travail parce que le réseau ne fonctionne plus », souligne Hennie van Vuuren, directeur d’OpenSecrets, une organisation sud-africaine de lutte contre la corruption.
Et après ? Le juge Zondo a jusqu’au 15 juin pour rendre le dernier volet de son rapport. Il a déjà recommandé l’ouverture de poursuites contre plus de cent trente personnes, dont plusieurs anciens ministres. Elu sur la promesse d’une « aube nouvelle » et souvent critiqué depuis pour la mollesse de sa lutte contre la corruption, Cyril Ramaphosa est sous pression. C’est qu’il doit composer avec les luttes de factions au sein de son parti, dont une partie a longtemps profité de ce système que certains n’ont pas envie de voir disparaître.
Début mars, le président a envoyé un signal fort en nommant le juge Zondo à la tête de la Cour constitutionnelle, faisant de lui le premier magistrat du pays. « Mais il ne peut changer le système à lui tout seul, tempère M. van Vuuren, d’OpenSecrets. Il nous faut un NPA [National Prosecuting Authority (bureau du procureur)] vigoureux et déterminé à aller au bout. Pour le moment, ce n’est pas le cas. »
En fuite, à Dubaï, depuis l’explosion du scandale, en 2016, les Gupta font l’objet de notices rouges d’Interpol. Jacob Zuma a été condamné à quinze mois de prison pour avoir refusé de témoigner devant la commission Zondo, en juillet 2021. Il a depuis été remis en liberté pour raison médicale dans des circonstances controversées. A 80 ans, déjà poursuivi pour corruption dans une affaire de vente d’armes, il s’est fait une spécialité d’échapper à la justice.
Il faut être un sacré farceur pour faire croire aux Martiniquais qu'un deuxième Cuba est possible Lire la suite
...toute la "classe politique" (qui n’est d’ailleurs pas une "classe sociale") sur le même plan ? Lire la suite
...ou ka trouvé tout diks-li, òben yo ka viré enprimé tou sa i fè-a vitman présé! Lire la suite
...À une époque pas si lointaine, l’adjectif qualificatif "national" était fréquemment utilisé po Lire la suite
ce sera très drôle! Lire la suite