Agé de 79 ans, le poète, compositeur et dramaturge natif de Burao, enchanteur de la langue somalie, était une figure culturelle et politique dans la Corne de l’Afrique.
« Hadraawi n’est plus. Que Dieu le bénisse et l’accueille dans Son paradis », ce sont les derniers mots du tweet envoyé le 18 août à 6 h 15 du matin par une nièce du défunt. Quinze minutes plus tard, je devais être le premier à le relayer en français. Et c’est le déluge.
Un petit tsunami qui s’est propagé principalement en somali, mais également en anglais et en arabe, entretenu sur tous les réseaux tant par des anonymes et que par des personnalités locales ou étrangères. Des photos, des clips et des citations de Hadraawi ont circulé de Hargeisa à Dubaï, de Djibouti à Helsinki, de Minneapolis jusqu’aux confins de l’Australie.
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Jamais la mort d’un homme ou d’une femme n’aura autant suscité d’émotion dans le vaste monde de langue somalie. Qui était cet ange dont la disparition a soulevé une telle vague d’émotion au cœur d’une région où pourtant la mort porte un masque si présent et familier ?
Hadraawi était un poète, un compositeur et un dramaturge ; sans doute le plus grand du siècle dans une culture qui a élevé la poésie au firmament. Hadraawi était un accélérateur de particules philosophiques, un enchanteur de la langue dans un espace humain et culturel où justement la langue est l’un des seuls points d’appui, l’un des rares socles dans un océan de divisions et de fragmentations politiques, géographiques et générationnelles.
De son vrai nom, Mohamed Ibrahim Warsame est né en 1943 à Burao, une grosse bourgade au centre de ce qu’on appelait le Protectorat britannique de Somalie et devenu, en 1991, le Somaliland, une entité autonome en quête de reconnaissance internationale. En 1952, il rejoint un oncle à Aden, au Yémen, autre colonie britannique. Il y reste une décennie, le temps d’achever ses études secondaires.
La mort tragique de Patrice Lumumba en 1961 le touche au point d’éveiller la sensibilité artistique qui sommeillait en lui. En 1967, le voilà enseignant à l’Institut pédagogique de Lafole, tout près de Mogadiscio. Le futur barde a 25 ans et déjà à son actif une pièce de théâtre et quelques chansons, portées par les plus grandes voix, dont celle de Halima Khalif Magool.
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La Somalie, née de la fusion du British Protectorate of Somaliland et de la Somalia Italiana, a tout juste sept ans. A sa tête, un président démocratiquement élu et respecté de tous. Tout semble sourire à ce jeune Etat culturellement homogène et décidé à ramener dans son giron, et sous la même bannière, les trois autres portions de la grande nation somalienne éparpillée par le colonialisme : le Territoire français des Afars et des Issas (TFAI) sous domination française, l’Ogaden annexé par l’Ethiopie et le Northern Frontier District que les Britanniques ont rattaché au Kenya. Cette politique de remembrement, élevée au rang de doctrine nationale, a un nom : le pansomalisme. Et les artistes sont souvent mobilisés pour la promouvoir auprès du peuple.
Dans cette première décennie bénie, de 1960 à 1969, Hadraawi se fait remarquer pour ses pièces et ses chansons d’amour comme la mémorable Jacayl dhiig ma lagu qorax ? (« est-ce qu’on peut écrire l’amour avec du sang ? ») ou Saharla (prénom de la bien-aimée) ou la célébration de certains lieux comme Beledweyn (du nom d’une ville de la Somalie centrale).
L’édification de la nation est loin d’être une promenade de santé. En Afrique et dans le monde arabe, on tranche les différends par le coup de force. En 1969, trois officiers, Mouammar Kadhafi, Jaafar Nimeiri et Siad Barré, prennent le pouvoir respectivement en Libye, au Soudan et en Somalie.
En 1972, la junte militaire lance un énorme chantier : campagnes d’alphabétisation, fondation d’une académie et consécration du somali comme langue officielle avec sa propre graphie. Les artistes sont à nouveau au premier rang. Ils doivent éduquer les masses, inventer des formes nouvelles pour assurer à la poésie son enracinement séculaire et donner corps à la nation. Ils et elles réussissent avec brio cette immense tâche qui allie autorité morale, fierté nationale, engagement auprès du petit peuple et ouverture sur le monde.
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Quand le régime militaire de Siad Barré (1969-1991) s’enfonce dans l’autoritarisme, le clanisme et la corruption, Hadraawi est l’un des premiers à s’insurger, à alerter le grand public en truffant de thèmes politiques les chansons d’amour qu’il écrit pour de grands interprètes comme Mohamed Mooge Liibaan, Magool, Mohamed Suleiman Tubeec ou Hassan Aden Samatar. Son insoumission lui vaut cinq années de prison (1973-1978). Il y compose ses grands poèmes politiques ; sa détermination incite d’autres poètes comme Gaariye à se jeter dans l’arène pour examiner, confirmer, réfuter ou prolonger les grands enjeux exposés par Hadraawi.
De ce combat poétique sortent des séries ou chaînes de poèmes composés par plusieurs orfèvres et s’étalant sur des mois ou des années. La chaîne de poèmes la plus célèbre, Siinleey (appelée ainsi à cause de son allitération en « s »), a engagé outre son auteur, une huitaine de poètes pour les joutes, sans oublier les dizaines, voire centaines, d’auditeurs et d’amateurs qui ont récité et mémorisé les divers segments, souvent dans la clandestinité.
Après sa libération, il s’exile un temps en Ethiopie, soutient le Somali National Movement (SNM), qui a hâté la fin du régime de Barré en 1991 et proclamé la naissance du Somaliland. Hadraawi ne se résout pas à la fragmentation de la nation. Jetant ses dernières forces dans la bataille, il a initié en 2003 une marche pour la paix qui a conduit les participants jusqu’à la ville portuaire de Kismaayo, dans le sud de l’ancienne Somalie. L’âge venant, il se retire à Burao, sa ville natale. Ces dernières années, il a livré un combat acharné contre la maladie.
Si les deux présidents actuels du Somaliland et de la Somalie ont adressé des mots chaleureux à la mémoire de celui que certains ont surnommé « le Shakespeare somali », il reste beaucoup à faire pour promouvoir son œuvre, la traduire et la partager avec les lecteurs et auditeurs du monde.
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Depuis la Norvège, un critique a publié en 1993 un gros volume de poésie accompagnée de la traduction en anglais (Halkaaran : Collection of the Poems of Hadraawi, Kleppe). En 2012, Hadraawi a été récompensé pour l’ensemble de son œuvre par un grand prix de la Fondation du prince Claus (Pays-Bas).
M’est avis que la Corne de l’Afrique et le monde entier ont besoin d’un esprit de l’acabit de Hadraawi, ancré dans son terreau local et ouvert sur le monde. Ses mots, complexes ou ordinaires, frappent d’emblée les esprits par leur force d’évocation et leur douceur naturelle. Mais c’est leur enchaînement, leur combinaison qui trouble, séduit et ravit l’auditeur qui ne peut plus échapper à leur emprise.
Cette poésie en appelle à la félicité, à la beauté et à l’imaginaire, à rebours de la langue vindicative, celle des frontières, des conflits, des dogmes et des territoires qui parvient à cadenasser les consciences. Adieu Hadraawi ! J’aurais tant aimé te rencontrer. Me restent tes mots de feu sacré, de myrrhe, de baume et de soie.
Abdourahman Waberi
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