"Je ne peux pas me nourrir de la haine" (Justin Pamphile, maire du Lorrain)

   Cette prise de position radiophonique (cf. vidéo ci-après) du maire du Lorrain et conseiller territorial, membre du GRAN SANBLE, principal parti d'opposition à la CTM (Collectivité Territoriale de Martinique), et par ailleurs président de l'Association des Maires de Martinique, est courageuse. Très courageuse même.

    Mais...

    Mais elle pose certaines interrogations. D'abord, est-ce que la position de Justin Pamphile sur la question békée est en adéquation avec celle du GRAN SANBLE ? En effet, les principaux leaders de ce dernier ont toujours affiché une position fortement hostile à la caste békée et ne manquent jamais une occasion de la fustiger. Certes, le GRAN SANBLE est une coalition de plusieurs partis politiques et de personnalités diverses mais est-ce que le discours de J. Pamphile, qui ressemble étrangement à celui de l'association "TOUS CREOLES", ne fait pas désordre ? Car, enfin, c'est le 23 mai 1848, au lendemain matin de l'Abolition de l'esclavage, que les Békés auraient dû avoir proclamé que nous sommes tous Créoles c'est-à-dire Tous Martiniquais. Or qu'ont-ils fait ? Il suffit de se reporter aux journaux de la deuxième moitié du 19è siècle dans le Saint-Pierre d'avant l'éruption de la Montagne Pelée (1902). Les Noirs y étaient systématiquement (et subitement) désignés comme étant "les Affricains" (curieusement écrit avec deux "f"). Subtitement parce que cela n'avait jamais été le cas auparavant. Par exemple, dans le Nouveau voyage aux Isles de l'Amérique du Père Labat (début du 18è siècle), ce dernier écrit : "Le nègre que l'on m'avait donné était créole". D'où une question POURQUOI CETTE NOUVELLE DESIGNATION D'AFFRICAINS ? 

   Il semble que nos historiens ne se soient jamais posé cette question.

   La réponse est pourtant évidente : pendant l'esclavage, juqu'au 22 mai 1848 donc, les Noirs n'étaient pas des citoyens, même pas des êtres humains d'ailleurs, juste du "bois d'ébène". La question de savoir qui est Martiniquais, qui est légitimement Martiniquais, ne se posait donc pas. Mais elle se pose brutalement au lendemain de l'Abolition ! Et là, en qualifiant les Noirs, présents en Martinique dès 1650 au moins, d'Affricains les Békés ont voulu signifier ceci : "Nous sommes les seuls habitants légitimes de l'île ! Les Noirs sont des Africains et ils n'ont par conséquent qu'à retourner en Afrique !". Ils n'inventaient rien : au lendemain de l'Abolition aux Etats-Unis, les Blancs américains ont tenu exactement le même discours (bien avant Marcus Garvey !) et ont financé le prétendu "rapatriement" de leurs anciens esclaves en Afrique, les aidant même à créer deux Etats : le Liberia et le Sierra-Leone. Sauf que partis depuis trois siècles, les affranchis noirs américains se sont considérés comme supérieurs aux Africains et ont constitué une classe dominante jusqu'à aujourd'hui. Classe dont la langue n'est ni le wolof ni le bambara ni le peulh mais le...krio ! Sorte de créole à base lexicale anglaise.

   Nos Békés martiniquais, eux, ont échoué à faire "rapatrier" les Noirs mais ils sont à l'origine de cette définition à la fois mensongère et imbécile que l'on trouve dans les dictionnaires français à partir de la deuxième moitié du 19è siècle : "Créole : Blanc de pure race né aux Antilles". Quand on voit aujourd'hui des gens s'appuyer sur ladite définition pour dénigrer ou rejeter le terme "Créole", ils font tout simplement montre de leur ignorance. En effet, partout sur le continent américain depuis sa conquête par les Européens, deux types de populations ont été assez vite identifiées : celles qui sont nées eu Europe et en Afrique (ces dernières appelées "bossales") ; celles qui sont nées aux Amériques à savoir les Blancs créoles et les Noirs créoles. A ce propos, et là encore nos historiens n'ont pas éclairci la chose : il y a toujours eux aux Antilles des Africains, des esclaves africains. Or, nombre de Martiniquais s'imaginent qu'ils descendent d'un groupe d'Africains importés au 17è siècle et qui s'est agrandie au fil du temps. Comme si pendant 2 siècles et demi, chaque année des navires négriers n'accostaient pas à la...Pointe-des-Nègres ! Evidemment, les Noirs créoles se sont mis à regarder de haut les "bossales", les traitant de "Neg-Djinen" ou de "Neg-Kongo". Mais c'est grâce à ces derniers que le tambour et le bèlè, certaines pratiques médicinales et croyances magico-religieuses ont pu s'enraciner en Martinique. 

   Quant à cette histoire de "Blanc de pure race", il y a de quoi sourire. Ceux qui étaient devenus au fil du temps des Békés n'ont jamais été assez nombreux pour réussir à conserver leur "pureté" génétique, chose qui d'ailleurs n'a scientifiquement aucun sens. Mettons nos Békés au défi : que l'un d'eux ait le courage de faire le test All ancestors et en publie les résultats. Cela ne coûte que 300 dollars. Il suffit de mettre un peu de sa salive sur un bout de gaze contenu dans un kit qu'une société américaine vous envoie par la poste. Elle vous retourne les résutats deux semaines plus tard. Michèle Obama a eu ce courage et son test a révélé qu'elle a 27% de gènes...irlandais. Allez, messieurs les Békés, un peu de courage vous aussi ! Donc, répétons-le, c'est le 23 mai 1848 que les Békés auraient du avoir proclamé que nous sommes "Tous Créoles", pas en 2007, date de création de l'association qui porte ce nom. Trop tard, les gars ! serait-on tenté de leur dire. Mais Justin Pamphile a raison sur ce point : ne cultivons ni haine ni rancoeur à leur égard. Mais faisons-leur savoir haut et forts que les Noirs et les mélangés sont aussi "Créoles" (dans le sens de "légitimes habitants de la Martinique") qu'eux, sinon davantages créoles qu'eux, car les contes, la musique, le jardin, la cuisine, le costume féminin, la pharmacopée, les croyances magico-religieuses, la vannerie, la poterie, les techniques de pêche etc...sont principalement issus de l'inventivité des Noirs et des mélangés. 

   Pour en revenir à la déclaration du maire du Lorrain, là où il a tort, c'est quand il dit à ceux qui s'opposent aux Békés pourquoi beaucoup d'entre eux sont employés par des entreprises békées et pourquoi ils ne créent pas leurs propres entreprises. J. Pamphile oublie qu'à l'Abolition, non seulement les Békés ont été remboursés par l'Etat français pour la perte de leurs esclaves mais qu'en outre, les "affranchis" n'ont pas reçu un seul centime pour pouvoir commencer une vie d'hommes désormais libres. Ayen menm ! Ce qui fait qu'ils se sont vus contraints de continuer à couper la canne pour les Békés, cela pour des salaires de misère. Jusqu'à aujourd'hui, notamment dans le secteur de la banane ! Or, aux Etats-Unis, chaque esclave s'était vu octroyer (ou en tout cas promettre) 22 acres and a mule. C'est à dire 22 acres de terres et un mulet. Profitons-en pour rappeler qu'aux Etats-Unis, quand il y avait une révolte d'esclaves ou un début de révolte, les Blancs menaçaient d'en vendre ses meneurs aux...colons de la Martinique !!!

   En conclusion, personne ne le dit ni n'ose le dire mais la question békée ne sera résolue que du jour où certains Békés se proclameront indépendantistes et militeront dans des partis de cette obédience. C'est ce qu'on fait les Békés Barbadiens (5% de la population) et les Békés jamaïcains (3% de la population) mais que se sont toujours obstinément refusés à faire les Békés martiniquais (1% de la population). D'ailleurs, se montrer plus cons et bornés que les Afrikaners (Békés sud-africains), qui ont fini par comprendre que leur survie était en jeu, faut le faire !...

   Zafè kò-yo !