Kristin Surak: «Maurice attire non seulement les investisseurs mais devient aussi un lieu de résidence privilégié»

Kristin Surak, professeure associée en sociologie politique à la London School of Economics, a récemment passé deux semaines à Maurice pour explorer les dynamiques de la mobilité des élites. Selon elle, l’île devient également un lieu de résidence de plus en plus prisé.

L’île Maurice est souvent considérée comme une destination désirable pour les investissements et la résidence. Mais comment ce petit paradis s’inscrit-il dans le marché mondial de la citoyenneté et de l’investissement et la résidence ?

Il y a deux possibilités : la citoyenneté et la résidence. La citoyenneté vous fait devenir un membre de l’État, un statut qui implique un lien plus étroit avec le pays tandis que la résidence se limite à l’endroit où vous vivez sans que vos enfants en héritent. Les enjeux diffèrent entre la citoyenneté et la résidence. Actuellement, environ 20 pays ont des lois concernant la citoyenneté par investissement mais seulement dix d’entre eux ont réellement des programmes naturalisant environ 100 personnes par an.

Maurice dispose d’une loi depuis 1999 permettant la citoyenneté par investissement mais elle n’est pas utilisée. Cinq pays des Caraïbes, qui sont d’anciennes colonies britanniques, ont ce programme. Le plus grand acteur est la Turquie, qui représente la moitié des ventes mondiales de citoyenneté. Cela est intéressant car beaucoup de gens recherchent un accès sans visa à l’Union européenne (UE). Par exemple, si vous êtes un ingénieur en technologie pakistanais et que vous déménagez à Dubaï pour des affaires, vous ne pourrez jamais vous naturaliser dans l’UE.

En tant que citoyen pakistanais, vous ne pouvez voyager sans visa que dans 40 pays, ce qui complique une vie ou des affaires globales, d’où l’intérêt pour des options alternatives. Dans ce sens, l’accès sans visa à l’UE est très utile. Bien que la Turquie n’ait pas d’accès sans visa à l’UE, elle est très demandée. D’ailleurs, la citoyenneté turque était très bon marché pendant un certain temps ; vous pouviez acheter une maison à Istanbul et obtenir la citoyenneté. Dans le domaine de la citoyenneté, Maurice ne fait rien. En observant le pays, on peut comprendre pourquoi : les enjeux sont beaucoup plus élevés avec la citoyenneté. C’est un statut permanent, difficile à révoquer, avec des impacts générationnels car les enfants en héritent. Le gouvernement est donc très prudent.

Ce qui est intéressant avec la citoyenneté par investissement, appelée «passeport doré», c’est que nous pensons généralement que la citoyenneté concerne le lien entre le citoyen et le gouvernement et les droits dans ce pays. Mais la citoyenneté par investissement concerne les droits que la citoyenneté procure en dehors de votre pays. Ces droits sont garantis par des traités, comme l’accès sans visa à d’autres pays, les possibilités d’affaires, des taxes d’importation réduites ou la possibilité d’envoyer vos enfants à l’école à l’étranger. Les gens recherchent cela. Toutefois, cela signifie que des puissances étrangères contrôlent la valeur de votre citoyenneté. Par exemple, si l’UE décide de révoquer l’accès sans visa, la valeur de votre citoyenneté diminue, comme ce fut le cas pour Vanuatu. Le pays avait un programme de citoyenneté par investissement mais ne faisait pas de vérifications approfondies des candidats, ce qui a inquiété l’UE qui a révoqué l’accès sans visa.

La Turquie est un acteur clé dans ce domaine. C’est un grand pays qui naturalise des Russes alors que d’autres pays ne les acceptent pas. 50 % des personnes se naturalisent par le biais de la citoyenneté par investissement en Turquie. Les principaux acteurs des Caraïbes ont l’accès sans visa à l’UE. Les États-Unis, en tant qu’acteur global, s’y intéressent également. Leur politique étrangère influence les politiques de citoyenneté d’autres pays. Les États- Unis imposent des normes que ces pays doivent respecter pour rester en bons termes avec eux. Les géopolitiques de la commercialisation de la citoyenneté sont substantielles.

Quels sont les défis de ces programmes pour les Mauriciens locaux ?

Si vous êtes une petite île en développement comme Maurice, la question est de savoir comment développer votre pays lorsque vous ne disposez pas de nombreuses ressources et que vous devez tout importer. C’est un défi économique sérieux. Pour certains pays avec des programmes de citoyenneté par investissement, cela peut représenter jusqu’à 20 % du Produit intérieur brut. Dans d’autres, cela peut atteindre 50 %. Mais les risques sont bien réels. L’un des plus grands dangers est de perdre l’accès sans visa. Maurice compte une grande diaspora avec des membres de la famille partout dans le monde. Si cet accès est perdu, rendre visite à sa famille devient compliqué. C’est une préoccupation que le gouvernement doit prendre en compte.

L’île Maurice s’intègre-t-elle dans ce contexte ?

Maurice ne s’intègre pas dans ce modèle. Maurice dispose d’une loi depuis 1999 pour l’investissement dans le pays et pour se naturaliser, il faut y résider pendant deux ans. En 2018, le Premier ministre a évoqué dans le Budget l’introduction de la citoyenneté par investissement, ce qui a suscité une forte opposition et l’idée a été abandonnée. Je m’en souviens car je l’étudiais à ce moment-là. Ce que je comprends, c’est que la population a une histoire complexe et une réalité tout aussi complexe. C’est donc une décision mûrement réfléchie de ne pas opter pour ce type de citoyenneté. Maurice bénéficie également de l’accès sans visa à l’UE. Maurice n’a pas de programme actif de résidence par investissement. Environ 50 pays dans le monde ont des programmes de résidence par investissement, où l’on peut faire un investissement particulier. Quand je parle d’investissement, il s’agit d’un investissement passif, non lié à des compétences spécifiques pour créer une entreprise. Il s’agit simplement d’avoir de l’argent. Ces programmes permettent d’obtenir un permis de résidence, parfois permanent, parfois temporaire.

Comment les politiques migratoires de l’UE influencent-elles les programmes de résidence par investissement dans d’autres pays, y compris Maurice ?

Au sein de l’UE, les visas deviennent très controversés car ils sont perçus comme réservés aux riches tandis que les réfugiés sont souvent ignorés. Les politiques migratoires sont toujours complexes. La Turquie est le premier pays en termes de réfugiés dans le monde, avec environ quatre millions de réfugiés principalement originaires du Moyen-Orient. Pourquoi ? Parce que l’UE paie la Turquie EUR 9 milliards pour garder les réfugiés hors de l’UE. Pour la Turquie, il s’agit essentiellement de monétisation. La politique est donc très compliquée. La moitié des États membres de l’UE ont des programmes de résidence par investissement. Au niveau mondial, environ 50 pays offrent ces programmes, y compris Maurice.

Découvrir les progrès de Maurice dans ce domaine a été fascinant. Le Portugal, l’Espagne et la Grèce ont de grands programmes de résidence par investissement. Mais le plus grand programme de ce type se trouve dans le Sud global, aux Émirats arabes unis, qui approuvent environ 50 000 visas dorés par an. La Malaisie, le Panama et la Corée du Sud sont également de grands acteurs. Globalement, c’est une dynamique intéressante dans le Sud global. Maurice se positionne bien dans cet espace, mais n’est pas énorme. Cependant, dans le contexte mauricien, c’est un programme significatif, notamment en termes de nombre d’approbations par an comparé aux États-Unis et à la population locale.

Comment les programmes de résidence par investissement influencent-ils l’économie mauricienne ?

Il est intéressant de voir ce que cela apporte à l’économie mauricienne. Un pays peut ou non avoir ce programme, mais la question est de savoir comment il est conçu. De nombreux problèmes peuvent survenir, notamment dans le secteur immobilier, où l’argent n’entre pas dans le pays. J’ai été surprise de constater que beaucoup de problèmes survenus ailleurs ne se manifestent pas ici. Parfois, les projets immobiliers sont mal construits ou inachevés. Mais à Maurice, les projets sont terminés et ont de la valeur. Les investisseurs veulent réellement rester ici, ce qui n’est pas le cas dans d’autres pays avec des programmes de résidence par investissement. Maurice attire les gens. En termes de retombées économiques, Maurice en bénéficie beaucoup plus. Ensuite, bien sûr, il y a la question de savoir si ces retombées vont dans la direction souhaitée pour le pays. Il est important de maintenir une discussion continue sur le programme pour s’assurer qu’il nous mène là où nous voulons aller. Des évaluations périodiques sont nécessaires.

En quoi la fierté nationale mauricienne influence-t-elle la politique de citoyenneté et de résidence par investissement ?

Il y a beaucoup d’accès publics aux plages publiques et les Mauriciens y tiennent beaucoup. Ils protestent lorsque cet accès est menacé. Je pense que les Mauriciens sont fiers de leur pays, comparé à d’autres. Je pense que Maurice s’en sort plutôt bien.

Quels sont les principaux risques associés aux programmes de citoyenneté par investissement?

Les risques sont beaucoup plus élevés pour la citoyenneté car il est plus difficile de la révoquer. De nombreux pays avec des programmes de citoyenneté par investissement se tournent vers des institutions internationales pour la vérification des antécédents en raison des risques importants. Maurice n’en fait pas partie. Pour les programmes de résidence par investissement, les vérifications sont principalement effectuées par les banques. C’est probablement le cas à Maurice et dans de nombreux pays ayant ces programmes. Mais il pourrait y avoir plus de pression de la part des institutions internationales si ces programmes de résidence par investissement se multiplient.

Quelles tendances futures peuton prévoir sur le marché mondial de la citoyenneté et comment Maurice pourrait-elle s’adapter à ces évolutions ?

De plus en plus de gens se concentrent sur les affaires régionales. Pour ceux qui font des affaires en Afrique, posséder un passeport de l’UE ou des États-Unis pourrait devenir un handicap. En effet, avoir un passeport africain rend les transactions plus sûres, réduisant l’attention portée à l’Occident. Avant la pandémie de Covid-19, les citoyens américains s’intéressaient rarement à la citoyenneté d’un autre pays. Cela concernait surtout ceux qui avaient quitté les États-Unis depuis longtemps. Aujourd’hui, incertains des décisions futures de leur gouvernement, beaucoup cherchent une option de sortie. De nombreux Européens suivent également cette tendance. Sans nécessairement déménager, ils veulent un plan B. Le marché de la citoyenneté par investissement connaît une évolution notable. Les programmes de résidence par investissement deviennent de plus en plus courants. Dans ce contexte, Maurice se distingue. Elle attire non seulement les investisseurs, mais devient aussi un lieu de résidence privilégié. Contrairement à d’autres destinations, Maurice forge sa propre voie en attirant et en retenant ceux qui cherchent à y vivre et à y investir.

Enfin, les préoccupations éthiques liées à la vente de citoyennetés dans une petite nation insulaire comme Maurice doivent être prises en compte. Comment garantir une pratique équitable et transparente ?

Nous devons nous poser la question si ce sont ces types de personnes que nous voulons. Nous devons aussi nous demander si nous sommes xénophobes. La xénophobie est un véritable poison.

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