Les habitants du quartier détruit de la vieille ville rappellent la longue histoire de leur communauté alors qu’ils évoquent les nouveaux liens officiels du Maroc avec Israël
De nombreux Palestiniens ont été consternés en apprenant que le gouvernement marocain officialisait ses relations diplomatiques avec Israël, le 10 décembre 2020.
Mais peu ont été touchés aussi personnellement par cette information que ceux de la petite communauté marocaine bien ancrée à Jérusalem-Est occupée. Présents dans la vieille ville depuis des siècles, les Hiérosolymitains marocains ont résisté à la destruction et au déplacement, tout en préservant les liens avec leur culture.
En évoquant les épreuves endurées au fil des ans, les membres de la communauté confient à Middle East Eye leur tristesse de voir Rabat normaliser les relations avec l’État qui a supervisé l’effacement de leurs maisons et de leur patrimoine dans la ville sainte.
Le chercheur spécialiste de l’histoire de Jérusalem Robin Abu Shamsiya raconte à MEE que la présence de Marocains à Jérusalem – baptisés localement « al-Magharbeh » – remonte au califat omeyyade aux VIIe et VIIIe siècles.
La première arrivée de masse de Marocains et d’autres communautés nord-africaines à Jérusalem s’est produite sous le règne du roi Nour al-Din à la fin du XIIe siècle.
Le roi a établi pour eux le quartier al-Magharbeh sur la place al-Buraq près du complexe de la mosquée al-Aqsa, dans la vieille ville de Jérusalem.
La communauté d’al-Magharbeh a été chargée de garder le complexe d’al-Aqsa, ainsi que de répandre le soufisme. L’une des portes de la mosquée al-Aqsa a été surnommée « porte du Maroc », en référence au quartier adjacent et pour reconnaître le rôle des Marocains qui ont combattu les croisés européens à Jérusalem.
L’immigration marocaine ne s’est pas tarie au Moyen-Âge, et de nombreux Nord-Africains se sont installés dans la ville sainte au fil des siècles.
Aisha al-Maslouhi est née à Jérusalem d’un père marocain et d’une mère palestinienne en 1946. Son père avait 20 ans lorsqu’il est venu à Jérusalem dans le cadre d’un convoi de pèlerins qui rentraient chez eux depuis La Mecque.
Au lieu de revenir au Maroc, raconte-t-elle à MEE, il s’est profondément attaché à cette ville et a décidé de se marier et de s’y installer, travaillant comme garde à al-Aqsa pendant des décennies.
Abd al-Latif Sayyid, 73 ans, natif du quartier al-Magharbeh, a une histoire semblable. Son grand-père est arrivé à Jérusalem en 1915 depuis la ville de Laâyoune, dans la région actuelle contestée du Sahara occidental.
Selon la légende familiale, à chaque fois que le grand-père de Sayyid tentait de quitter Jérusalem, il tombait malade jusqu’à ce qu’il décide finalement de se marier et de s’installer à al-Magharbeh.
Aisha al-Maslouhi et Abd al-Latif Sayyid partagent des souvenirs émus des premières années de leur vie dans le quartier marocain.
Aisha al-Maslouhi affirme avoir vécu une enfance « exceptionnelle », dans l' atmosphère de solidarité qui prévalait entre les 138 familles qui vivaient dans le quartier.
Photo non datée d’avant 1946 qui montre le quartier marocain de la vieille ville de Jérusalem, devant le dôme du Rocher du complexe de la mosquée al-Aqsa (Wikicommons)
« J’avais l’habitude de réaliser des rituels marocains spéciaux tous les vendredis après avoir effectué les prières à la mosquée al-Aqsa », témoigne-t-elle. « Nous avions l’habitude d’aller au Abu Madyan-al-Ghawth Corner pour déguster le traditionnel couscous marocain avant de rentrer chez nous à côté pour nous reposer avant de revenir plus tard au Corner pour rejoindre les cercles religieux. »
Abd al-Latif Sayyid indique que sa maison familiale se trouvait à peine à six mètres du complexe d’al-Aqsa. « Nous avions l’habitude de jouer dans un square devant nos maisons », rapporte-t-il à MEE.
« À travers la porte du Maroc menant à la mosquée al-Aqsa, nous avions l’habitude d’entrer dans la cour [du complexe] et avons passé la majeure partie de notre enfance à jouer là-bas. À l’époque, notre vie était calme et sûre. Les portes de la vieille ville se refermaient à minuit et nous dormions sur nos deux oreilles toute la nuit », ajoute-t-il.
Ces rituels et les jours tranquilles de leur enfance ont pris fin en juin 1967, lorsqu’Israël a occupé Jérusalem-Est et la Cisjordanie lors de la guerre des Six Jours.
Trois jours après la fin de cette guerre, les bulldozers israéliens ont rasé le quartier al-Magharbeh, qui avait presque 800 ans, détruisant 135 maisons et laissant des centaines de Palestiniens sans abri, afin d’ouvrir la voie à la prière juive au mur des Lamentations, transformant la zone en vaste place.
L’Abu Madyan-al-Ghawth Corner – où Maslouhi passait ses vendredis quand elle était enfant – est l’un des derniers vestiges aujourd’hui de la longue histoire du quartier marocain. À ce jour, il est considéré comme une dotation marocaine et abrite approximativement une quinzaine de familles d’origine palestinienne et marocaine.
Abd al-Latif Sayyid se souvient de la destruction des maisons et les effets personnels des habitants ensevelis sous les gravats et que ceux qui avaient refusé d’évacuer leur maison ont vu les murs tomber autour d’eux.
Le vieil homme évoque le sort d’un palmier situé près de sa maison d’enfance.
« Ce palmier recelait des souvenirs particuliers dans notre communauté », indique-t-il. « Dès que quelqu’un de la vieille ville ou de la ville adjacente de Silwan mourait, on prenait l’une des feuilles du palmier aux funérailles pour la fixer sur la tombe du défunt. Ce palmier est mort huit mois après notre départ du quartier. »
Après la démolition du quartier, ses habitants ont été éparpillés. Certains d’entre eux ont fui en Cisjordanie, d’autres sont retournés au Maroc des générations après en être partis, tandis que l'Abu Madyan-al-Ghawth Corner qui, historiquement, accueillait les pèlerins, est devenu le foyer de certains déplacés.
Aisha al-Maslouhi fait partie de ceux qui ont vécu comme déplacés pendant des années à l’étranger. Elle est retournée à Jérusalem en 1988 et vit dans une pièce du Corner depuis.
Interrogée sur son ressenti à la vision de son ancien quartier désormais transformé en site de prière pour les fidèles juifs et les touristes, elle déclare : « Je considère les constantes prières d’étrangers sur les décombres de nos maisons comme un état transitoire et cela passera », confie-t-elle.
« J’essaie autant que possible de convoquer mes souvenirs », indique Aisha al-Maslouhi depuis le Abu Madyan-al-Ghawth Corner où elle vit depuis les années 1980 (MEE/Aseel Jundi)
« Cela me peine énormément que ma famille ait été déplacée à cause de l’occupation israélienne et que le quartier dans lequel je vivais ait été détruit sur le plan démographique et social. Cela me soulage d’avoir une chambre qui surplombe le quartier où j’essaie autant que possible de convoquer tous mes souvenirs. »
Aisha al-Maslouhi n’est pas la seule à désirer ardemment préserver la mémoire d’al-Magharbeh. Encore aujourd’hui, Abd al-Latif Sayyid conserve les photos et documents qui racontent la vie de sa famille – parmi eux, la licence de l’épicerie de son père dans le quartier marocain.
Étant donné l’expérience difficile de la communauté marocaine de Jérusalem sous l’occupation israélienne, la décision de Rabat de normaliser ses relations diplomatiques avec Israël a été une mauvaise nouvelle.
Le Maroc et Israël ont noué des relations en 1993 après la conclusion d’un accord de paix avec l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) dans le cadre des accords d’Oslo. Mais Rabat a suspendu les relations avec Israël après l’éclosion de la seconde Intifada palestinienne en 2000.
La communauté d’al-Magharbeh avait néanmoins continué à saluer le soutien du Maroc à Jérusalem, notamment la création par le roi Hassan II de l’agence Bayt Mal al-Qods en 1998, qui a mis en œuvre un certain nombre de projets au bénéfice des habitants palestiniens de la vieille ville de Jérusalem.
« La politique joue un énorme rôle et je ne nie ni ne cache ma profonde consternation à la signature de ces accords », affirme Aisha al-Maslouhi.
« Mais en tant que Hiérosolymitaine, j’ai également été très déçue lorsque les dirigeants palestiniens se sont précipités pour signer les accords d’Oslo avec l’occupation [en 1993]. C’était pour moi le plus grand coup de couteau dans le dos. »
Abd al-Latif Sayyid exprime lui aussi son profond chagrin à propos de l’accord de normalisation et indique que les membres de sa famille étendue au Maroc ressentent la même déception à propos de la décision de leur gouvernement.
« Le quartier al-Magharbeh me manque énormément », soupire-t-il. « J’avais espéré que les Hiérosolymitains d’origine marocaine s’y réuniraient encore une fois, et non pas entendre que le Maroc allait coopérer avec Israël, qui a démoli nos maisons jusqu’à la dernière pierre. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
Il faut être un sacré farceur pour faire croire aux Martiniquais qu'un deuxième Cuba est possible Lire la suite
...toute la "classe politique" (qui n’est d’ailleurs pas une "classe sociale") sur le même plan ? Lire la suite
...ou ka trouvé tout diks-li, òben yo ka viré enprimé tou sa i fè-a vitman présé! Lire la suite
...À une époque pas si lointaine, l’adjectif qualificatif "national" était fréquemment utilisé po Lire la suite
ce sera très drôle! Lire la suite