Saint Ouen (Jersey) (AFP) – "Comment qu'tu'es?" (Comment vas-tu?) demande une institutrice à ses élèves. "J'sis d'charme" (Je vais bien), répond une fillette. Sur l'île anglo-normande de Jersey, le jersiais fait de la résistance face à l'hégémonie de l'anglais.
Après avoir dialogué dans cette langue dérivée du français normand, les jeunes élèves de la Beaulieu Convent School de Saint-Hélier répètent une danse traditionnelle, vêtues de tabliers à carreaux et de foulards rappelant le costume folklorique local. Puis elles écoutent une légende racontée en jersiais par un enseignant, chapeau à plumes sur la tête, à grand renfort de gestes pour aider les enfants à comprendre.
Sur l'île, qui appartient à la couronne britannique mais est indépendante du Royaume-Uni, les écoles ont intégré le jersiais, ou "Jèrriais" en langue originale, à leurs programmes en 2020. Ils enseignent ainsi aux enfants une langue qu'une poignée seulement des 100.000 habitants de cette île de la Manche, pratique encore.
"Le nombre de locuteurs natifs est en train de passer en dessous de 800 et cela signifie que la langue risque de disparaître, (...) nous travaillons donc très dur pour la revitaliser", explique Susan Parker, l'une des sept enseignantes de jersiais de l'île.
Selon le dernier registre de 2012, 1% des habitants affirmaient la maîtriser mais "on perd des locuteurs chez les personnes âgées plus vite qu'on n'en gagne avec les jeunes", explique le linguiste Geraint Jennings.
François Le Maistre, 84 ans, reconnaît appartenir à "la dernière génération" de locuteurs natifs.
"C'est très triste de perdre l'essence même de sa culture", témoigne-t-il autour d'un thé et de gâteaux dans un douillet salon donnant sur un jardin parfaitement entretenu, dans le petit village de Saint Ouen.
Enfants, "on ne parlait rien d'autre à la maison", se rappelle-t-il.
"Le jersiais était considéré comme une langue de paysans", qui ne méritait pas d'être préservée, explique son frère Jean, 77 ans.
Langue officielle
Les enseignants punissaient sévèrement les enfants qui l'utilisaient. Mais la situation a bien changé.
En 2019, proclamée par les Nations Unies Année internationale des langues autochtones, le gouvernement de Jersey a ajouté le jersiais à la liste des langues officielles, aux côtés de l'anglais et du français.
Une décision qui a donné un coup de pouce à l'enseignement de cette langue dans cette île anglo-normande.
Le château Mont Orgueil à Gorey en mars 2008, sur l'île de Jersey ALAIN JOCARD AFP/Archives
Le gouvernement a ainsi suivi le modèle de l'île de Man, également dépendante de la couronne britannique, dont la langue d'origine celtique, le mannois, avait été déclarée éteinte en 1974.
"Avec un fort investissement, beaucoup de temps et d'efforts, (les autorités de Man) l'ont fait revivre et il y a aujourd'hui une école primaire où les enfants apprennent en utilisant cette langue (...). Mais ils ont débuté il y a 40 ans et le chemin est encore long", compare Susan Parker.
Pour Atticus Mawby, un étudiant de 21 ans, "si le jersiais meurt, Jersey ne deviendra qu'un morceau de plus du Royaume-Uni et ce serait terriblement triste". Alors pour faire vivre le patrimoine de l'île, le jeune homme s'est récemment inscrit aux ateliers de conversation que Geraint Jennings organise, cinq jours par semaine, à différents endroits de l'île.
Médias et réseaux sociaux
Les lundis sont consacrés au monde du commerce. "On veut que les gens se disent (...) +je veux qu'il y ait des inscriptions en jersiais sur mes produits ou dans mon magasin+", explique le linguiste, montrant les billets de la livre locale, imprimés dans les trois langues officielles.
Mais pour l'instant, les rues où s'alignent les demeures victoriennes aux façades pastel comptent beaucoup plus d'inscriptions en français, la langue dans laquelle les lois de Jersey ont été écrites pendant des siècles, qu'en jersiais.
Une rue piétonne de Saint-Hélier, sur l'île de Jersey, en novembre 2017 OLI SCARFF AFP/Archives
Aucun média n'utilise cette langue, à l'exception de cinq minutes par semaine sur la radio BBC. "Cela aiderait qu'il y ait des films", suggère Atticus Mawby.
De l'avis de Geraint Jennings, "le meilleur moyen d'atteindre les jeunes c'est par les réseaux sociaux" car "ils veulent des choses à la demande : ils se demandent comment on dit quelque chose, le recherchent sur internet et regardent une vidéo".
Se pose alors de nouveaux défis: trouver des équivalents de termes modernes comme "réseaux sociaux" dans une langue venue du passé.
© 2021 AFP
photo : Vue de Saint-Hélier, sur l'île de Jersey en novembre 2017 Oli SCARFF AFP/Archives
Il faut être un sacré farceur pour faire croire aux Martiniquais qu'un deuxième Cuba est possible Lire la suite
...toute la "classe politique" (qui n’est d’ailleurs pas une "classe sociale") sur le même plan ? Lire la suite
...ou ka trouvé tout diks-li, òben yo ka viré enprimé tou sa i fè-a vitman présé! Lire la suite
...À une époque pas si lointaine, l’adjectif qualificatif "national" était fréquemment utilisé po Lire la suite
ce sera très drôle! Lire la suite