Migration étudiante algérienne : mobilité ou exode des compétences ?

La migration intellectuelle a une longue histoire qui remonte à l'Antiquité — même alors, des philosophes et des mathématiciens se sont rendus dans des pays d'outre-mer pour échanger des connaissances. Le terme fuite des cerveaux est apparu dans les années 60 du siècle dernier en lien avec la délocalisation massive de scientifiques, d'ingénieurs et de techniciens hautement qualifiés du Royaume-Uni vers les États-Unis. Le but de ceux-ci, à travers ce mouvement, était de trouver un nouveau lieu pour l'application de leurs qualifications professionnelles et de leurs capacités intellectuelles, tout en leur apportant le revenu et le statut social souhaités.

En revanche, l'augmentation significative de l'ampleur de la migration intellectuelle ces dernières années est due à un certain nombre de facteurs. Parmi lesquels, la demande élevée et en croissance rapide de l'économie de la connaissance en personnel scientifique et technique, qui n'est souvent pas en mesure de satisfaire les systèmes éducatifs et les marchés du travail locaux, ce qui nécessite une large implication de spécialistes et d'étudiants étrangers. Le développement des industries de haute technologie et des industries de services à forte intensité de savoir est étroitement lié à la croissance des ressources humaines dans le secteur de la recherche développement. Ainsi, depuis le début du XXIe siècle, de nouvelles tendances ont commencé à se former dans la politique des États pour attirer les étudiants étrangers. Il s'agit tout d'abord de mesures administratives et juridiques : assouplissement du régime des visas pour les sujets de la migration éducative ; simplification des procédures de naturalisation dans le pays après l'obtention du diplôme d'un établissement d'enseignement supérieur ; adoption d'actes législatifs permettant l’emploi des étudiants étrangers et l'internationalisation des programmes. Puis, il s'agit également de mécanismes financiers : réduction du coût de la formation des étudiants étrangers ; fourniture de prêts pour études ; soutien financier aux étudiants les plus talentueux, etc. D’après les statistiques de l’Unesco, la proportion d’étudiants en mobilité sortante dans le monde était de 5,3 millions d’étudiants en 2017, en croissance de 71% en 10 ans (2007-2017). Aux taux actuels, elle pourrait dépasser 10 millions d’étudiants en 2030.

Les études à l'étranger sont souvent financées sur fonds personnels, aux frais du pays d'accueil ou des établissements d'enseignement eux-mêmes (par le biais de subventions, de bourses, de programmes d'échange d'étudiants, etc.). Dans ce contexte, les ressources étudiantes sont l'un des facteurs les plus importants déterminant les avantages compétitifs des pays sur les marchés mondiaux. La pénurie de personnel scientifique et technique, qui s'observe aujourd'hui dans tous les pays développés, et l'intensification des démarches pour ramener des scientifiques étrangers, des spécialistes hautement qualifiés et des jeunes compétents ont mis en avant la migration étudiante parmi les facteurs clés assurant la sécurité nationale et intellectuelle des États.

L’Algérie va-t-elle perdre ses Hawking ?

Le problème de migration étudiante algérienne vers l’Occident suscite de nombreuses controverses dans notre société. Cela dit, les déplacements temporaires pour étudier, faire un stage ou travailler avec un changement de statut ultérieur deviennent un canal de migration intellectuelle vers l'Occident. De ce fait, le nombre d’Algériens étudiants à l’étranger a progressé de 33.33% en 4 ans, entre 2014 et 2018, pour atteindre 30 000 étudiants avec une proportion importante de près de 83% en France (ISU/Unesco, 2020).

En 2019-2020, 29 527 étudiants algériens sont inscrits dans les établissements d’enseignement supérieur français, soit près de 8% du nombre d’étudiants étrangers, avec une progression de 39% en 5 ans, entre 2014 et 2019 (Campus France, mars 2021). L'éventail des spécialités dans lesquelles les Algériens étudient à l'étranger est assez large : physique, mathématiques, informatique, chimie, biologie, écologie, sciences appliquées, sciences médicales... Cela est largement dû à la qualité traditionnellement élevée de l'enseignement algérien dans les disciplines naturelles et techniques et à une situation relativement insatisfaisante dans le domaine des sciences humaines et sociales.

Les facteurs importants qui entrent en ligne de compte lors du choix d'un pays d'études est la disponibilité du montant des frais de scolarité, le coût de la vie dans le pays d’accueil, la proximité avec le pays d’origine, ainsi que les liens sociaux et historiques avec le pays choisi...

Par conséquent, lors d'un voyage d'études à l'étranger, le rôle prépondérant est joué par la richesse matérielle de la famille que par l'ensemble des qualités personnelles de l'étudiant lui-même (haut niveau de formation, professionnalisme, initiative, etc.), qui lui permettent d’attirer des sources de financement externes... Pour la plupart des étudiants, les principales sources de revenus sont l'aide des parents, les bourses et les salaires perçus de leurs emplois effectués parallèlement à leurs études. En ce qui concerne les objectifs d'études à l'étranger, les étudiants sont souvent dominés de prime abord par des considérations purement «étudiantes» : compléter la formation obtenue en Algérie pour avoir un diplôme étranger qui pourrait, ensuite, être une autre raison de motivation. En effet, les étudiants migrants considèrent plus souvent les études à l'étranger comme un accélérateur de carrière et le diplôme obtenu en Occident est la clé pour être compétitif sur le marché du travail occidental. S’ajoutent à ces raisons d’autres qui sont de l’ordre du personnel, citons à titre d’exemples : l’opportunité de voir le monde, de se faire de nouveaux amis, etc.

Du point de vue de la politique des pays d’accueil, deux avantages de la stimulation de l'immigration intellectuelle algérienne sont particulièrement importants.

Les étudiants qui restent à l’issue de leurs études offrent et permettent la possibilité d’accroître la migration qualifiée. Or, les étudiants qui retournent par la suite chez eux contribuent au développement de leur pays d’origine et à l’accroissement de l’influence du pays d’accueil.

Une enquête menée par le sociologue Mohamed Saib Musette et ses collègues (2018) du Centre de recherche en économie appliquée pour le développement (Cread) montre, en effet, que 57% des étudiants algériens sondés ont l’intention de rester vivre et travailler en France à la fin de leurs études (Afkar wa Affak, v 8, n° 1, 2020). Y ajouter les étudiants qui partiront s’installer dans d’autres pays. Plus encore, la majorité des étudiants entreprennent déjà des démarches pratiques pour trouver un futur emploi avant d’être diplômés. Leur motivation première est soutenue par une évaluation plus élevée de leurs chances de faire un métier réussi en Occident par rapport à l’Algérie.

En effet, par exemple, le salaire brut annuel moyen d'un chargé de recherche en France (27 600 euros environ + indemnités), en Allemagne (35 400 euros environ + primes), aux USA (40 000 dollars environ), ou d’un médecin généraliste débutant en France (36 000 euros environ+primes). L’Etat américain offre aux jeunes scientifiques dans des situations précaires une assurance médicale complète et propose des logements économiques à des prix abordables. La recherche du facteur bien-être est également très importante pour les étudiants migrants. Cette situation, plutôt favorable, n'empêche pas nombre d’étudiants de connaître de réelles difficultés de trouver un emploi correspondant à leur niveau d'études.

En somme, la principale raison pour laquelle les étudiants diplômés ne veulent pas revenir est l'incertitude quant à leurs projets professionnels d'avenir. Cela est dû, tout d'abord, au faible niveau de développement des industries à forte intensité de connaissance dans notre pays et, par conséquent, au manque de propositions sur le marché du travail. Le non-retour de ces jeunes après l'obtention du diplôme entraîne la perte pour l’Algérie d'une partie importante de son potentiel intellectuel. Si, après avoir terminé leurs études, ces diplômés rentrent chez eux armés de nouvelles connaissances, cela ne jouera qu'un rôle positif. En particulier, selon les experts de la Banque mondiale, les pays donateurs fournissent des «subventions budgétaires implicites» pour les pays bénéficiaires. Nous parlons dans ce contexte des fonds dépensés pour la formation du professionnel émigré par la suite. Un étudiant à l’université coûte en moyenne 1095 dollars par an à l’État algérien, contre 1993 dollars dans les écoles supérieures (MESRS, octobre 2020). Les dotations en équipements, en amortissements, ainsi que les charges générales d’entretien peuvent augmenter de façon significative le niveau de dépenses par étudiant. De plus, ce montant n'inclut pas le profit perdu du fait du départ des auteurs de découvertes, innovations, etc., potentiellement rentables. L’Algérie court le risque de perdre non seulement l'argent dépensé pour former les étudiants qui sont partis, mais aussi des spécialistes et des scientifiques potentiels hautement qualifiés.

Par ailleurs, ceux qui sont partis entretiennent des relations très faibles avec le pays. Ils communiquent davantage au niveau du ménage avec des parents, des amis. Il n'y a pratiquement aucune interaction professionnelle avec les entreprises algériennes.

In fine, il ne faut pas que l’université algérienne soit une pépinière de formation pour les autres pays. Il est urgent d'introduire des mécanismes de rétention du capital intellectuel par la mise en place d’une forte politique qui se fixe des objectifs tels que la modernisation des infrastructures universitaires, l’amélioration des conditions de vie, l’attractivité des études, les programmes de formation, les méthodes pédagogiques d’enseignement et d’évaluation, l'amélioration de l’attractivité des laboratoires de recherche, la création de technopoles, la créativité et l’innovation sont autant de variables d’ajustement indispensables à cette transformation.

L’accueil des étudiants étrangers en Algérie, un atout pour la croissance

L'Algérie des années 1970 a poursuivi une politique active et assez efficace de formation d’étudiants pour les pays en développement et les pays socialistes d'Asie, d'Afrique, d'Amérique latine et du monde arabe. Par exemple, aux instituts nationaux de Boumerdès, des centaines d’étudiants de plus de 36 nationalités étudiaient dans les domaines d’hydrocarbures, des mines, du génie mécanique, de l’électronique, des industries manufacturières, du management...

L'Algérie a construit un pôle technologique unique en Afrique, selon la sémantique utilisée aujourd'hui, où toutes les conditions pour un séjour confortable des étudiants étrangers ont été créées. Sur un vaste territoire, il y avait des infrastructures académiques, de recherche, des centres de soins, des cantines et des cafés étudiants, ainsi que des centres de fitness, où les étudiants faisaient du sport, des salles de cinéma, des interclubs, où chaque étudiant pouvait trouver des activités qui correspondaient à son centre d’intérêt. Les dirigeants algériens espéraient que les étudiants étrangers deviendraient, non seulement des spécialistes hautement qualifiés, mais aussi des amis de l'Algérie. Après les années 1980, l’Algérie n'a pas prêté une attention particulière à cette question et les choses ont pris une autre tournure. Parmi les causes, nous pouvons citer : une massification des effectifs ; une faible lisibilité des formations supérieures ; une politique de communication à l’international insuffisante ; une faible capacité de l’enseignement des langues étrangères ; les problèmes d’accueil, d’information et d’orientation d’étudiants étrangers. Cette attractivité moindre de notre université appelle donc à une politique cohérente d’amélioration de notre compétitivité éducative, qui tiendrait compte des expériences positives de notre pays et des pays étrangers. L'objectif est d'attirer des étudiants étrangers en provenance des pays alentour et lointains dans l'intérêt du développement politique, socio-économique, culturel et de l’image de marque du pays.

Au demeurant, il faudra orienter l’action de formation des étudiants étrangers dans une direction tant économique que politique. L'admission d'étudiants étrangers deviendra une source de financement externe du pays via les frais d’inscription et les dépenses annexes. Les étudiants étrangers contribueront également à l’innovation en Algérie et favoriseront les liens économiques et commerciaux avec leurs pays d’origine. Selon le rapport Open Doors de 2018, 1 094 millions de personnes ont étudié aux États-Unis. Les étudiants internationaux contribuent de manière significative au budget américain dans son ensemble, payant les frais de scolarité, l'hébergement, la restauration, les loisirs et autres dépenses. En 2017, ce montant était de 42,4 milliards de dollars.

Pour attirer les étudiants étrangers (en mobilité diplômante, d’échange et résidents temporairement), une stratégie ciblée d’Etat sera nécessaire, dont les axes seront la création de conditions d’accueil et de vie favorables pour attirer et former les étudiants étrangers ; la promotion du système universitaire algérien comme modèle international à l’anglo-saxonne ; et enfin la mise en place de programmes d’excellence dont l’objectif sera d’attirer l’élite, surtout des pays émergents d’Afrique. À cet égard, 54% des talents africains préfèrent émigrer vers un pays africain. Un facteur important est la notation des universités algériennes sur la scène mondiale, ainsi que l'augmentation du nombre de programmes d'enseignement en langues étrangères. Autant dire, la mise en place d’un tel plan aura pour conséquences la progression de la compétitivité de l'enseignement supérieur algérien sur la scène internationale et la génération de revenus économiques.

Pour ne pas conclure

Tout compte fait, nous pensons qu'il faut développer des solutions originales pour recevoir des moments positifs des migrations étudiantes. Ceci passe par, au moins, trois approches. L'une consiste à actionner le levier de l’enseignement supérieur pour que l’université retrouve sa confiance et devienne une référence en matière de formation en Afrique et dans le monde. L'autre est d'améliorer les conditions économiques, professionnelles et sociales d'insertion.

Enfin, créer le cadre institutionnel le mieux adapté à la situation en adoptant, s’il y a lieu, des dispositions légales sur le retour, la stimulation de la recherche et le développement de la société de l'information. Indissociablement lié au retour durable au pays, le développement de la mobilité internationale étudiante à destination de l’Algérie devra devenir un soft power à travers lequel les positions internationales de l’Algérie seront renforcées.

B. K.

(*) Professeur des universités. Expert de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique. Expert en conduite de changement. Université Mohamed

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    Frédéric C.

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