"Les téléphones portables sont un cancer dans l’enseignement supérieur"

Enseignant-chercheur au BETA et responsable du master 1 Économie de l’entreprise et des marchés, à Nancy, Thierry Aimar décrit les problèmes que posent les téléphones portables, dans les amphithéâtres et salles de cours.

Quiconque a eu l’occasion de pénétrer dans un amphithéâtre lors d’un cours universitaire a vu son regard immédiatement attiré par un océan de lumières qui clignotent un peu partout sur les pupitres. Qu’est-ce donc, se demande le visiteur intrigué ? Ce sont tout simplement les SMS, notifications et alertes de tout genre qui éclairent les téléphones portables des étudiants et qui vont occuper leur attention tout le long du cours.

L’enseignant du supérieur est confronté à une nouvelle génération née avec les écrans, biberonnée par le numérique et mentalement structurée par les réseaux. Le téléphone fait tellement partie de l’univers cérébral des jeunes étudiants que leur demander de s’en passer quelques minutes provoque chez eux un état de panique. Ne pas communiquer à tout moment en ligne, cela revient à ne plus exister du tout.

ADDICTION AU NUMÉRIQUE

Mais d’un point de vue pédagogique, la situation est très préoccupante. Les analyses les plus récentes montrent les conséquences de ce fléau digital : inaptitude à conserver sa concentration, perte de capacité de conceptualisation et de capitalisation de la connaissance, troubles psychologiques, impuissance à gérer ses émotions, avec pour conséquence logique une baisse des résultats aux examens. Le téléphone portable pourrait constituer un fantastique outil d’accompagnement éducatif s’il était utilisé par les étudiants pour vérifier une information, compléter une définition, éclairer un concept. Mais l’expérience montre qu’il n’est manié que pour se connecter aux réseaux sociaux et se divertir (au sens étymologique du terme) du cours.

« Des collègues universitaires initialement passionnés par leur métier, baissent les bras face à une telle démission des esprits. »

Lorsque les examens durent plus d’une heure, certains étudiants deviennent nerveux, des angoisses traversent leur regard. Leur langage corporel exprime tous les signes d’une véritable détresse. Ces tensions ne sont pas liées à la difficulté du sujet, mais au fait que durant l’épreuve, ils sont contraints de renoncer à leur téléphone portable. Certains préfèrent d’ailleurs ne pas utiliser tout le temps disponible plutôt que de rater plus longtemps une notification et ne pas être présent sur un réseau qui conditionne leur sentiment d’identité. De fait, ils souffrent d’un phénomène que beaucoup, (jeunes ou moins jeunes) n’osent pas qualifier ainsi car ils en sont eux-mêmes les victimes : celui de l’addiction. Doit-on rester passif devant ce phénomène qui nourrit l’échec ?

Certains répondront que les étudiants sont majeurs, qu’ils sont responsables de leurs résultats et tant que leurs attitudes n’empêchent pas l’enseignant d’effectuer son cours, elles se doivent d’être tolérées. C’est une réponse facile. Un cours, pour qu’il soit réussi, implique un partenariat avec l’étudiant. Autant l’éducateur a le devoir de transmettre son savoir avec enthousiasme, sérieux et implication, autant son auditoire doit lui consacrer en retour toute l’attention indispensable à la transformation de l’information en connaissance. Demander à un enseignant de faire un cours devant des étudiants absorbés par leur téléphone portable, c’est demander à un acteur de jouer une pièce de théâtre devant une salle vide. Sa prestation ne peut être la même et ce sont les quelques étudiants restés sérieux qui sont les victimes de cette déperdition de qualité. Des collègues universitaires initialement passionnés par leur métier, baissent les bras face à une telle démission des esprits.

OSONS DÉBRANCHER

D’autres diront alors qu’il faut intéresser, faire preuve d’innovation pédagogique (terme à la mode), incorporer dans nos enseignements des images, des vidéos humoristiques permettant de nourrir l’attention. Mais où va-t-on ? Un cours n’est pas un show et les universitaires ne sont pas des saltimbanques chargés de faire de l’audience auprès de spectateurs. Leur travail est de construire les esprits, pas d’être les complices de leur déconstruction. On ne peut légitimement leur demander de surfer sur la culture du divertissement (cache-sexe du malaise existentiel) et de s’éloigner de la voie du normatif, afin d’éviter les conflits, de faire des vagues au sein d’institutions souvent soucieuses de conformisme administratif, ou encore d’être catalogué comme autoritaire, ringard et rétrograde.

« L’aliénation mentale aux réseaux est un drame dont l’actualité nous apporte trop souvent le témoignage. »

Même dans le secteur privé, les étudiants ne sont pas des clients. Ils ne paient pas simplement pour accéder à un réseau ou profiter d’une marque, mais pour bénéficier des conditions d’apprentissage. Dans cette perspective, la mission de l’enseignant n’est pas uniquement d’être un vecteur d’information. Son rôle est de placer les étudiants en situation d’intégrer dans leurs cerveaux la connaissance qu’il est chargé de transmettre. Réfléchir n’est pas un luxe, mais un acte de salubrité publique dont l’université est l’incarnation même. L’aliénation mentale aux réseaux est un drame dont l’actualité (cyberharcèlement) nous apporte trop souvent le témoignage.

Face à cette épidémie digitale qui empoisonne l’atmosphère de tous les établissements supérieurs, il conviendrait, au niveau ministériel, de formaliser les règles d’un contrat pédagogique digne de ce nom, associant présence physique et présence mentale. Engageant à la fois tous les enseignants et tous les étudiants, ce contrat dont les termes se devront d’être rigoureusement respectés dans la pratique, aura pour vocation d’exclure tout comportement ou attitude contrevenant aux règles et aux valeurs de l’apprentissage. Exiger (de part et d’autre de la chaire) d’arriver à l’heure le temps d’un cours, de consacrer 100 % de son attention à l’acquisition de la connaissance dispensée (et donc de placer son téléphone portable hors de vue) ne correspond pas à de la violence psychologique, ni à une forme de nostalgie de temps révolus. C’est tout simplement la condition d’exercice d’une mission pédagogique qui prend au sérieux l’argent public ou privé qui la finance.

photo : SYSPEO/SIPA

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Commentaires récents

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    Albè, je voulais dire...

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    25/11/2024 - 14:16

    "National" au sens "national Mquais". Ça va sans dire, mais ça va mieux en le disant...

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    Sa pa "Daniel" mwen té lé matjé...

    Frédéric C.

    25/11/2024 - 14:13

    ...mè "dannsòl".

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    25/11/2024 - 07:47

    Si on vous comprend bien, MoiGhislaine, le charbon de Lorraine devrait, pour reprendre votre expr Lire la suite

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