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Au pays de la street food, une boisson trône en majesté sur les tables et les comptoirs du Royaume: la bière. Les Thaïlandais vouent à ce breuvage mordoré une ferveur qui tient de la dévotion. Les étrangers, touristes et expats, leur emboîtent le coude. Pour l'essentiel, trois marques de bière locale se disputent les faveurs de la clientèle. Non seulement, elles règnent sur un marché juteux avoisinant les 300 milliards de baht. Mais surtout, elles imprègnent la psyché siamoise. Occasion de plonger avec délice dans une truculente saga...
C'est une histoire thaïlandaise qui évoque l'enfance. Trois noms, deux grandes familles. Singha ( prononcer Singh ) Chang et Leo ont grandi pratiquement côte à côte. Singha est l'ainée. Conçue au siècle dernier. 1933. Suivie peu après par Chang, la cadette. Leo, la petite dernière, a vu le jour plus récemment dans la même famille que Singha. Ce qui a correspondu, à l'époque, à un effet marketing. Un " coup de jeune " dans la stratégie de développement d'une dynastie déjà solidement installée. Enfance placée sous quelques préceptes alliant volonté et ambition. Éducation patiemment acquise dans un milieu d'industriels dynamiques et entreprenants. Des brasseurs. Parmi leurs fréquentations, la confrérie des alcools forts et le cénacle des spiritueux. Dans le grand jeu de mah jong économique d'une Thaïlande en plein essor économique au siècle dernier, le défi à relever n'était pas mince. Créer des marques authentiquement thaïes destinées à remplacer les bières allogènes massivement importées.
Quelques décades plus tard, la " success story " est éclatante. D'emblée, la martingale gagnante a consisté à miser sur les dimensions culturelle et identitaire. Ainsi, Singha, de son nom sanskrit, s'identifie à un lion de légende ( Sintho en thaï ) en forme de dragon et renvoie à la mythologie bouddhiste. Les valeurs de force, courage, persévérance, endurance et de leadership sont une constante dans les récits qui ponctuent la légende des temps pionniers. Singha arbore le Garuda, emblème du royaume, sur le col de ses bouteilles. Pour sa part, Chang ( éléphant en thaï ) incarne l'animal emblématique du pays. Une bière populaire qui revendique les valeurs de la "thainess", quintessence de l'identité thaïe. Enfin, un elixir fabriqué par les Thaïs pour les Thaïs! Le nationalisme de la sapidité. Plus de malt que de houblon? That is the question. Enfin, Leo prolonge cette symbolique animalière magnifiée. Tel un félin, la langue bondit. Leo...léopard. Souplesse et esprit de conquête.
A eux trois, nos industriels se taillent la part du lion sur le marché des gosiers secs. Pour sûr, les acteurs de cette saga savent fédérer les masses populaires. Transmission de flambeau de génération en génération. Paradoxe dans un pays de forte religiosité, la bière donne lieu à une consommation apparemment illimitée. Plus que courante...débridée. Sans doute est-ce pour cette raison qu'elle se savoure en rituel. On la déguste comme un supplément d'âme. D'un point de vue prosaïque, elle renseigne sur la tenue des jours fériés et sur la célébration des grands événements placés sous le sceau de la spiritualité. "Sorry. No sell alcohol" préviennent les panneaux des "convenience stores " à l'occasion des fêtes religieuses. Tous les 7 Eleven du Royaume se conforment à cette injonction comminatoire. Mais, quelques mètres plus loin, à l'abri de leurs rideaux baissés, les mom-pop shops de Thaïlande continuent d'écouler à tour de bras. Aucune restriction n'a réussi, jusqu'à présent, à tarir le flot des ventes.
Quant aux visiteurs venus des cinq continents, un petit vade-mecum à leur intention s'impose pour terrasser la canicule. D'abord, il leur faut apprendre à balbutier aussi distinctement que possible " bia ( bière en thaï ). C'est la base. Bien sûr, il est requis de savoir psalmodier par coeur le nom des trois marques principales. De Bangkok à Pattaya, de koh Samui à Phuket, de Hua Hin à Nakhon Phanom à l'est de l'Isaan, en passant par Chiang Mai, autrement dit, des bords du Mékong aux archipels plein sud, de Chumphon à Mukdahan, peu importe la géolocalisation. Un maillage serré de milliers de bars, d'estaminets, de petits restos et d'échoppes artisanales assure la diffusion de ce qui est appellé folkloriquement les mousquetaires de l'ivresse. En première ligne pour désaltérer des millions de sujets en proie aux maintes épidémies de pépie aggravée.
Dans un contexte de chaleur extrême, évidemment récurrent en Thaïlande, ce qui guette tout organisme normalement constitué est l'implosion physiologique par combustion. C'est ici qu'intervient le célèbre trio, façon Saint Bernard des Tropiques. Toujours prêts à porter assistance aux papilles frappées de déshydratation prolongée. Gorgée après gorgée, de lampées en rasades répétées, les secours s'organisent. Incidemment, la bière est livrée avec un accessoire jugé incongru par le buveur farang, une pince à glaçons. Autre latitude, autres moeurs. Une mousse onctueuse à la commissure des lèvres indique la satisfaction non dissimulée du client. Pour autant, mieux vaut, en cas de conduite, ne pas abuser des bienfaits émoustillants du taux alcoolisé à 6% des bières thaïes. La maréchaussée locale est prompte à dégainer ses éthylotests. Surtout à la fin du mois quand le budget familial est irrémédiablement amenuisé. Dotés de leur légendaire conscience professionnelle, beaucoup de fonctionnaires si élégamment sanglés dans leur uniforme beige veillent à renflouer leur caisse personnelle. C'est ce qui s'appelle avoir le sens de l'économie familiale.
Une fois énoncée cette précaution de bon sens, on peut apprécier la compagnie d'une savoureuse blonde siamoise. Émotion esthétique garantie au moment de passer à table. Un repas devient instantanément un festin qu'il convient d'arroser à satiété. Plaisirs imbibés au moment de la dégustation d'un somtam ( salade de papaye verte ) constellé de piments rouge vif ou de " plaa meuk " ( calamar ) séché. Une telle observation vaut jusqu'au fin fond de la ruralité la plus authentique car la mieux préservée des habitudes de consommation étrangère. Dans n'importe quel village d'Isaan surgi d'entre les rizières, peu importe la " jangwat " ( province )...
Scénario immuable chaque dimanche. Pour récupérer d'une semaine de rude labeur, rien de mieux qu'un après-midi détente en regardant à la télé une enfilade de pugilats " muay thai ". Sur le ring, les coups sont assénés sans ménagement, salués à chaque point gagnant par des gerbes de clameurs venues des tripes. Comme de juste, la bière coule à flots au côté du whisky local tord-boyaux. Moment de communion très humectée et vociférations joyeuses dans ces hameaux du bout du monde. On est à Sakhon nowhere. A moins que ce ne soit Nakhon quelque chose....Quand tombe la nuit d'encre, tout le monde regagne sa natte pour un sommeil réparateur de première nécessité. Cuver les hectolitres de Singha, Chang ou Leo préalablement ingurgités est même une obligation. Au moins jusqu'à 4H du matin, quand de bruyantes pétarades déchirent la torpeur collective, annonçant une journée nouvelle. Ce sont les " e-ten " ( prononcer itène ), sorte d'engins mécanisés servant aux labours. Tonitruants, ils ont le champ libre en rase campagne. Évolution inexorable. Un jour, nombre de ces paysans ont dû s'expatrier, venant grossir au fil des décennies le flot des populations paupérisées. Agglutinées en lisière des villes. Particularité, ils ont transbahuté avec eux une culture, repérable entre autres à cet engouement atavique pour les bières autochtones. De proche en proche, tous les citadins ont été convertis aux vertus de la boisson empathique et cordiale par excellence, admirant son élégance racée, la panoplie de ses couleurs chatoyantes et, une fois en bouche, sa pointe d'amertume. Il faut pourtant éviter la surenchère laudative.
A quoi bon faire mousser des marques déjà archi-dominantes? Quand il s'agit de rameuter de nouveaux segments de clientèle, les bières locales font assaut de persuasion. Hotels, bars, restaurants, discothèques, boîtes de nuit .. Des escouades de sémillantes hôtesses en tenue légère immédiatement identifiable écument cet éventail de lieux d'agrément. Couleurs et tons spécifiques à chaque fournisseur deviennent un mode d'incitation à rejoindre la flopée des fan-clubs respectifs. Ceux de Chang et de Singha sont particulièrement dynamiques. Sponsorisent à tout va. Evénements musicaux, rencontres sportives. Leur rayon d'action s'élargit sans relâche. Jusqu'à créer des collections de parasols ornés de leur patronyme commercial.
De son côté, Leo, ayant fait le choix d'une plus ample discrétion, ne cherche à susciter aucune révolution de palais mais entretient à coups de pubs très stylisées une réputation d'extrême fraicheur. Il lui faut accréditer l'idée d'une déferlante réparatrice dans le contexte du réchauffement climatique. Terrain de jeu privilégié des marques: les bien nommés Beer Garden. Dès le crépuscule, ces établissements ad hoc s'illuminent. Disséminés, en général, dans des écrans de verdure, ils resplendissent. En ces lieux, le précieux élixir est déversé dans des ballons géants et des colonnes à bulles. Verres, chopes, pintes et canettes dupliquent à l'envi une étonnante sarabande. Simultanément, des orchestres complices inondent les convives de décibels de jour, décibels de nuit. Notes chaudes, ambiance conviviale. Comme pour faire oublier la pression croissante d'une vie trépidante dans un milieu urbain incessamment plus frénétique, Chang, Singha et Leo rafraichissent les âmes. Façonnent un art de vivre et d'aimer à la thaïlandaise. Les bières sont parfois immodérément prolixes. Outrancièrement bavardes à l'image de ceux qu'on appelle les piliers de comptoir. Souvent des expats en capilotade devenus pochetrons invétérés après des années de lente dérive. Signe d'un épuisement psychologique et mental. Leur dextérité à aligner des canons à la queue-leu-leu est rarement un acte festif. Des aurores aux heures les plus indues, ils macèrent dans un brouet d'histoires aussi improbables qu'aléatoires. Toutefois, les langues de bon aloi se délient volontiers pour peu que l'environnement s'y prête. Faire le plein de ce breuvage tant apprécié est alors une circonstance favorisante pour vider son sac. Un cadre propice à l'échange de quelques secrets immémoriaux. Il faut le boire pour y croire. Un argument rhétorique prend l'allure d'un subtil panaché d'érudition et de curiosité. A ce moment précis, la bière démontre qu'elle est, par excellence, la boisson de la socialisation. Un agent facilitateur d'humeur guillerette. Sabai sabai selon l'expression consacrée en ces régions du bas Mékong. Singha, Chang et Leo, bières thaïes, naturellement bières du sourire. Jamais elles ne rechignent à enchanter nos papilles.
Au goulot!
Patrick Chesneau
Votre arabophobie et vos changements incessants de pseudos pour pouvoir poster vos commentaires s Lire la suite
Je suis frappée par le peu d'enthousiasme que manifestent les media martiniquais (en général, si Lire la suite
Cette situation n'est absolument pas étonnante :au delà de cet exemple pris en France, il ne faut Lire la suite
En deux occasions, j'ai eu un sentiment ressemblant, mais heureusement de façon fugace. Lire la suite
..tu fais ce genre de confusion :même un mauvais élève de sixième ne confondrait pas Non-Blancs e Lire la suite