Au lendemain du 22 mai...

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         La Martinique entière (sauf le Cap Est surnommé "Békéland") a donc célébré le 22 mai, date à laquelle les esclaves martiniquais brisèrent leurs chaînes sans attendre l'arrivée (par bateau) de l'acte officiel d'Abolition.

        Toutes les municipalités, mouvements politiques, associations, historiens, artistes etc...se sont mobilisés pour faire de cette date un moment fort. Comme chaque année...

         Ce fut partout une réussite. Comme chaque année...

         Puis, chacun a repris son train-train habituel dès le 23 mai au matin sans s'interroger sur l'impact réel de cette célébration sur la société martiniquaise. Sans se demander si ladite célébration nous permet de sortir "hors des jours étrangers" (Aimé Césaire). Sans se demander si une population qui vote à 80% contre un tout petit début de commencement d'autonomie prend toute la mesure du 22 mai. Sans se demander si une population qui place le parti raciste de Marine Le Pen en tête lors des élections présidentielles et lui donne 73.000 voix marche sur le même chemin que l'esclave Romain. Sans se demander si une population qui manifeste pour pouvoir "vivre comme en France hexagonale" a bien conscience qu'il s'agit-là d'une forme de trahison de l'esprit du 22 mai. 

          Nous avons horreur de jeter un regard lucide sur nous-mêmes et encore plus de nous autocritiquer.

          Pourtant, le message du 22 mai est clair et dans les iles de la Caraïbe qui nous environnent où chacune, à des dates différentes, a connu la même insurrection antiesclavagiste, on a su le mettre en pratique. Sans ambigüité ou compère-lapinisme. Sans tanbou-dé-bonda. Sans hystérie ni discours racialiste envers l'ancien colonisateur espagnol, britannique et hollandais. Que l'on arrête un peu avec l'antienne selon laquelle il y aurait une spécificité de la colonisation française qui la différencierait de toutes les autres et serait la principale cause de notre indécision et notre inaction tout à la fois ! Arrêtons de nous chercher des excuses ! Nos grands penseurs (Césaire, Ménil, Fanon, Glissant et tant d'autres) nous ont parfaitement éclairé sur ce que l'on peut appeler "le mal martiniquais" et leurs idées se sont largement diffusées au sein de la société martiniquaise. Au point qu'en cette année 2025, le 100è anniversaire de la naissance de Frantz Fanon sera fêté partout, dans toutes nos communes, par nos artistes, intellectuels, mouvements politiques etc...

            Le "mal martiniquais" est très simple à analyser : la peur de perdre l'acquis (ou les acquis) en cas de rupture avec "la France hexagonale" comme disent sans rire ceux qui cherchent à aligner les prix des denrées alimentaires sur ce qu'ils appellent__toujours sans rire !__la "Métropole", terme a pourtant été banni par décision de l'Assemblée nationale française en 2024...

            Si l'on établit une hiérarchie des responsabilités dans ce qui est plus qu'une impasse mais bien un danger mortel (les 340.000 Martiniquais finiront tôt ou tard noyés dans les 450 millions d'Européens), il y a au tout premier chef les Békés ou Blancs créoles mais aussi la classe moyenne qualifiée de "Mulâtre" et en dernier lieu, les classes populaires. Les Békés (1% de la population martiniquaise) qui, contairement à leur alter ego caribéens (Barbade : 5% ; Jamaïque : 3% etc...) ne se sont, tout au long de notre histoire jamais sentis martiniquais. Ainsi, au 19è siècle, après deux siècles de colonisation, Pierre Dessales, possesseur d'une des plus grandes plantations de la Martinique ("Nouvelle Cité", à Sainte-Marie) se lamente dans ses mémoires sur sa crainte de ne pouvoir..."retourner en France". Il y enverra d'ailleurs toute sa famille. Quant au Béké Gradis, de Basse-Pointe, il demande qu'à sa mort, on mette son corps dans un tonneau de rhum afin de pouvoir le conserver et qu'il soit enterré à...Bordeaux. Ce qui fut fait ! Aucun Simon Bolivar (Colombie), Georges Washington (Etats-Unis) ni José Marti (Cuba) dans les "Isles françoises de l'Amérique", même pas à Saint-Domingue (aujourd'hui Haïti) qui fut pourtant au 18è siècle la plus riche colonie du monde. La classe békée porte donc la première responsabilité dans l'impasse dans laquelle nous nous trouvons, se montrant même plus bornée que ses cousins afrikaners (békés sud-africains), ce qui est un comble ! Elle n'a jamais, à aucun moment de notre histoire, joué son rôle de bourgeoisie nationale. 

            Ensuite, viennent les descendants des "gens de couleur libres", dont tous n'étaient pas des Mulâtres contrairement à une idée reçue (le Père Labat, par exemple, peste, dans son Nouveau voyage aux Isles de l'Amérique publié en 1722__soit plus d'un siècle avant l'Abolition !)__contre "un nègre libre" qui fait le transport de passagers avec son canot entre Fort-Royal et Saint-Pierre parce qu'il juge le prix du passage beaucoup trop élevé). Cette classe a été la première à réclamer l'assimilation et cela dès la fin du 19è siècle et non en 1946 comme d'aucuns le croient, lorsque par une loi rapportée par Aimé Césaire à l'Assemblée nationale, les quatre "vielles colonies" (Guadeloupe, Guyane, Martinique, La Réunion) furent transformées en "Département français d'Outremer". En fait, cette loi a été l'aboutissement d'une vieille revendication, la bourgeoisie de couleur voyant l'Etat français comme un rempart face à l'omnipotence de la classe békée. Bourgeoisie qui a, au fil du temps, remplacé les Békés à tous les postes politiques, ces derniers, autrefois, maires, députés ou sénateurs, se recentrant désormais sur leurs activités agricoles, industrielles et commerciales. Qu'ont fait les descendants des "Nouveaux libres" de ce pouvoir politique quand bien même il était limité, centralisme jacobin français oblige ? Répondre "Rien !" serait malhonnête car la Départementalisation, puis la Régionalisation, ont apporté des améliorations considérables à l'existence de la population, certes grâce à des luttes syndicales, menées d'abord par les communistes, puis par les indépendantistes, luttes ininterrompues jusqu'à aujourd'hui. Il y a eu aussi la construction d'écoles, d'hôpitaux, de routes etc..., l'accès à la Sécurité sociale et à des allocations (chômage, personnes handicapées, aide au logement etc...) qu'il serait tout aussi cavalier de considérer comme néglibeables. Ce serait ignorer la misère effroyable dans laquelle vivait une grande partie, voire la majorité des Martiniquais, avant 1960. Mais tout cela a eu un revers : placer la Martinique sous la dépendance économique quasi-totale de la "Métropole". Ce n'était pas le cas lorsqu'elle était une colonie. En 2025, malgré les beaux discours de nos politiciens sur l'autonomie alimentaire, l'autonomie énergétique, le renforcement des liens avec la Caraïbe etc..., la Martinique est tenue financièrement à la gorge par à la fois la France et l'Europe. Nos différents partis politiques se disputent pour savoir si, quand l'un d'eux est au pouvoir local, il a bien dépensé la totalité des Fonds européens ou si une partie de ces derniers retourneront à Bruxelles. Cette guéguerre annuelle et rituelle peut être vue comme l'emblème de notre impuissance. Lorsque la Première ministre de Barbade se réveille le matin, elle se préoccupe de savoir quel est le cours mondial des principales monnaies, comment de porte le dollar barbadien, à quel niveau se situe les réserves de change du pays, comment rembourser tel prêt contracté auprès de la Banque mondiale et sourtout comme l'Etat barbadien pourra payer en fin de mois ses enseignants, infirmiers, policiers, douaniers, magistrats, pompiers etc... A l'inverse, un président de CTM (Collectivité Territoriale de Martinique), quel que soit son bord politique, n'a aucune de ces préoccupations. En fait, il a deux tâches principales : distribuer des aides aux municipalités, entreprises, associations etc...et veiller à consommer la totalité des fonds européens. 

           Tout comme les Békés, la classe moyenne martiniquaise a donc failli à sa mission historique.

            S'agissant enfin de la classe populaire, il convient d'en distinguer deux fractions : une minorité (27%) qui vit sous le seuil de pauvreté et une majorité qui vivote, voire tire le diable par la queue, avec au mieux le Smig lequel est insuffisant pour permettre de vivre décemment étant donné les prix exorbitants pratiqués dans les supermarchés des Békés mais aussi des "Mulâtres" (Place d'Armes, La Galleria, Rond-Point). Les 27% sont totalement hors de cause, incritiquables. Ils ne portent aucune responsabilité dans l'impasse dans laquelle se trouve la Martinique. Cependant, bien qu'exploités, les autres se sont retrouvés piégés au fil du temps par un système qui favorise la vieille débrouillardise coloniale, le compère-lapinisme et le discours absurde selon lequel toute séparation avec la France les feraient "mourir de faim". Piégés aussi par la surconsommation et le désir (compréhensible) de vivre comme les "Mulâtres". Et, par exemple, posséder chacun une voiture (320.000 véhicules pour 340.000 habitants !). Sauf que si le smicard peut rouler en 4/4 ou BMW c'est bien souvent parce qu'il ne paie pas sa pension alimentaire ou, s'il n'est pas marié, ce qui est très souvent le cas (42% des femmes martiniquaisex élèvent seules leurs enfants), c'est qu'il n'apporte aucune aide à ceux qu'il a mis au monde. L'effroyable irresponsabilité masculine qui sévit en Martinique, même si elle est liée aux difficultés de la vie, à la "vie chère", au chômage etc...fait partie également de notre impuissance à nous assumer en tant que peuple.

          Békés prédateurs jusqu'à l'obscénité, classe moyenne assimilationniste et hédoniste, classe populaire contrainte de "se débrouiller" au jour le jour : tel est le constat que l'on peut faire. 

          Il est tout simplement affligeant. 

          Alors, on pourra toujours fêter le 22 mai chaque année, battre du tambour, se secouer l'arrière-train, se déguiser en Africains, se réclamer bruyamment de "nos vaillants ancêtres réduits en esclavage", exiger des réparations pour l'esclavage alors qu'on ne dispose pas d'un Etat qui pourrait recevoir les éventuelles sommes restituées par les colonisateurs, brandir à tout bout de champ le drapeau rouge-vert-noir etc..., au lendemain de cette (certes nécessaire) célébration; nous nous retrouverons dans la même impasse. Le discours anti-Blanc sert de cache-sexe à notre impuissance, à notre irresponsabilité et à notre refus d'assumer les conséquences d'une séparation avec Maman la France et Papa l'Europe. Nous avons, hélas, raté le train de la décolonisation des années 1960-70 et nous ne cessons pathétiquement de lui courir après pour tenter d'y monter alors qu'il est peut-être trop tard. Avec, en plus, re-hélas !, une jeunesse décérébrée par les réseaux sociaux, en particulier cet instrument de crétinisation massive qu'est Tik-Tok.

          Il est en tout cas minuit moins cinq. 

         Quand sonneront les douze coups, nous nous transformeront en Hawaï (prédiction d'E. Glissant datant des années 80)...

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