CHLORDÉCONE : DÉCRYPTAGE POST-MANIF

Jean-Laurent ALCIDE

  Le présent texte se veut une sorte de débriefing. En effet, la manifestation réussie du samedi 27 février 2021 contre le chlordécone a suscité une euphorie, y compris sur ce site-web, qu'il semble utile de relativiser.

  Tout d'abord, il est clair que les organisateurs ont gagné leur pari. Que la police elle-même annonce 5.000 manifestants, c'est énorme, surtout quand on sait que celle-ci a tendance à diminuer systématiquement le nombre de gens participant à des manifestations. Autres points positifs pour les organisateurs : la présence de personnes appartenant à toutes les générations avec un fort contingent de jeunes. Positif aussi le nombre de "Métros" car cela permet de déconstruire le discours habituel des Békés selon lequel le combat contre le chlordécone est un combat anti-Blancs. Démonstration vient d'être faite ce 27 février qu'il s'agit de combattre une "caste" et non une "race".

   Mais gardons-nous pour autant de tomber dans l'euphorie ambiante et les phrases grandiloquentes du genre "faire peuple" qui ont fleuri dans la bouche ou sous la plume des uns et des autres, y compris sur ce site. En effet, si près d'une trentaine de mouvements, partis ou associations avaient appelé à la manifestation, chacun donnait l'impression d'avoir son propre agenda et profiter de la mobilisation contre le chlordécone pour le faire avancer :

   . les syndicats, qu'on avait connu assez peu actifs dans le combat contre le chlordécone au cours des quinze dernières années, sont venus en force. Il apparaît que certains cherchent à profiter de l'occasion pour provoquer un Février 2009-bis. Certes, s'opposer à la vie chère et combattre le patronat est tout à fait respectable mais cela n'a pas directement à voir avec le combat contre ce pesticide qu'est le chlordécone.

 

   . les partis politiques étaient presque tous là, sauf le MIM et la Droite. S'agissant de cette dernière, cela n'a rien d'étonnant puisqu'elle a toujours protégé la caste békée, mais l'absence du premier à savoir le MIM d'Alfred Marie-Jeanne est plus que surprenant. D'autant plus surprenant que les quatre partenaires qui lui restent au sein du "Gran Sanblé" après le départ des dissidents du MIM qui ont créé un nouveau parti et celui de la Droite, à savoir le PCM, le PALIMA, le CNCP-APAL et MARTINIQUE-ECOLOGIE étaient bien présents dans la manifestation. C'est un petit mystère qu'il conviendra d'éclaircir un jour ou l'autre. En tout cas, pour en revenir à l'expression euphorique "faire peuple", si c'était le cas chaque parti ne serait pas venu manifester avec son propre tee-shirt. Là encore, comme pour les syndicats, chacun d'eux a profité de l'occasion pour tenter de faire avancer son propre agenda, marginalisant du coup les associations et partis écologistes présents qui pourtant ont été depuis des années à la pointe du combat contre le chlordécone (ASSAUPAMAR, MODEMAS, MARTINIQUE-ECOLOGIE etc.).

 

   . les associations féministes étaient venues en nombre alors qu'on ne les avait jamais entendues sur la question du chlordécone au cours des deux décennies écoulées. Comme pour les syndicats et les partis politiques, elles ont profité de cette mobilisation pour faire avancer leur propre agenda car on ne voit pas très bien le rapport entre le chlordécone et la dénonciation du patriarcat qui a fleuri sur leurs pancartes et encore moins le lien avec l'endométriose. Selon les recherches scientifiques, ce pesticide provoque toutes sortes de cancers, des malformations congénitales et l'apparition précoce du Parkinson et de l'Alzheimer, mais aucune étude n'a jamais prouvé un quelconque lien entre lui et l'endométriose. 

 

   "Faire peuple" comme d'aucuns se sont félicités après cette manifestation est donc un peu exagéré. On ne "fait pas peuple" quand chacun est principalement préoccupé de faire avancer sa propre boutique. Cela d'autant que dans quelques mois (en juin), il y aura des élections territoriales ! S'agissant des élections en général, il convient ici encore de se défaire d'une idée reçue : A. MARIE-JEANNE et ses troupes étaient quasi-absents de Février 2009 et Claude LISE s'était fait huer, voire prendre à partie, alors qu'il se rendait du Conseil général à la Préfecture. Des analystes trop pressés avaient alors annoncé la fin de leur carrière politique. Sauf que onze ans plus tard, en 2021 donc, le premier est président de la CTM et le second président de l'Assemblée de la CTM ! Il y a donc gros à parier que la manifestation de ce 27 février et celles qui suivront n'auront guère d'impact sur les élections de juin. Déjà pour une simple raison arithmétique : de même que 400 ou 500 activistes sont loin de représenter toute le jeunesse martiniquaise, 4.000 ou 5.000 manifestants ne représentent pas la totalité des 376.000 Martiniquais. Nos différents politiciens ont vite fait le calcul !

   Pour en revenir au chlordécone qui aurait dû être au centre des préoccupation et non servir d'alibi pour faire avancer des agendas, quel sera le coup d'après ? Une ou plusieurs nouvelles manifestations ? Des actions moins bisounours ? Car l'instruction est en cours loin de la Martinique, à Paris donc, et les magistrats qui s'occupent du dossier n'en ont rien à faire de quelques milliers d'insulaires qui manifestent. Depuis les Gilets Jaunes, la France entière est abonnée aux manifs permanentes et souvent violentes, donc celle de la Martinique n'a pas de quoi impressionner outre mesure. 

   En tout cas, on aurait aimé voir dans le cortège de ce 27 février davantage d'ouvriers agricoles du secteur bananier, premières victimes du chlordécone, que de citadins et citadines armés de leur IPhone à 600 ou 1.000 euros et vêtus à la dernière mode européenne ou américaine. On aurait surtout aimé que cet ancien député martiniquais, censé être de gauche, qui a déclaré "France-Antilles" que "la question du chlordécone ne va pas se régler dans l'hystérie et l'émotion", la boucle un peu.

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Commentaires

Difficile...

Oui

19/04/2022 - 09:23

La chlordécone est un produit dangereux qui a longtemps été utilisé par les planteurs de bananes. Il en est résulté une pollution persistante et des maladies, notamment des cancers.
Certains souhaitent que les responsables de cette utilisation soient poursuivis et punis selon leur culpabilité.
L'article assimile cette démarche à un combat contre les Békés, comme si tous les Békés étaient planteurs de bananes et comme si tous les planteurs de bananes étaient békés.
Un premier problème est que l'utilisation de la chlordécone s'est toujours faite dans la légalité, du moins selon ce que j’ai compris. Ainsi, après son interdiction générale, la chlordécone a pu continuer à être employée légalement, dans le cadre d'une dérogation du Gouvernement. Dès lors, il est difficile de s'en prendre aux planteurs dans un procès au pénal.
Bien sûr, on reproche à certains Békés d'avoir obtenu cette dérogation, par leur lobbying. Cependant, on notera qu'ils ne l'ont pas fait à titre personnel mais en représentants de leur profession. Le Gouvernement aurait pu refuser, notamment en cas de manifestations de rue, puisque c'était une décision politique. Mais il ne semble pas que beaucoup se soient alors mobilisés.
Le second problème est qu'apparemment, au moment où des plaintes ont fini par être déposées, les faits étaient prescrits. Les autorités judiciaires annoncent donc qu'elles s'orientent vers un non-lieu. Comme pour laisser le temps aux plaignants de trouver des contre-arguments. Non-lieu ne signifie pas qu'il n'y a ni responsables ni coupables mais qu'il n'y a pas lieu de poursuivre, en l'occurrence du fait de la prescription.
Quel que soit le nombre de gens qui manifestent aujourd'hui, la Justice peut difficilement condamner des planteurs pour l'emploi de pesticides qui étaient autorisés, alors même que les faits sont prescrits.
En conséquence, les manifestations d’aujourd’hui ne sont d’aucune utilité judiciaire. Tout le monde le sait. Raison pour laquelle elles sont récupérées par toutes sortes de lobbys.

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